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DROIT IMMOBILIER

SERVITUDES

8 Octobre 2015

Cour d'appel de Liege – Articles 702 et 710bis du Code civil

Cour d'appel de Liege – Articles 702 et 710bis du Code civil

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Présentation des faits1

Monsieur D. a conclu un contrat de vente en vue de l’acquisition d’un immeuble.

Les actes authentiques passés les 22 septembre 1955, 8 octobre 1959 et 15 juin 1961 font mention de l'existence d'une servitude de passage s’exerçant sur le fonds de Monsieur D. d'une largeur de trois mètres cinquante, créée par acte notarié.

En août 1999, la société A, propriétaire du fonds dominant, a fait procéder à des travaux de remise en état du chemin constituant l'assiette de la servitude.

La Société A a aussi posé un portique empêchant le passage de tout véhicule de plus de deux mètres de haut, un panneau limitant la vitesse à vingt kilomètres par heure, deux casse-vitesse et a imposé un sens unique de circulation.

Ayant fait construire sur sa parcelle un centre de loisir (hôtel, bowling, dancing), elle a agi de la sorte afin d'utiliser la servitude de passage comme deuxième sortie pour les usagers de ses installations.

Monsieur D, par citation du 30 septembre 1999, a décidé d’introduire une action contre la Société A devant le tribunal de première instance de Liège.

Dans cet acte introductif d'instance, Monsieur D a postulé qu'il soit dit pour droit que la servitude de passage est éteinte.

En examinant le fondement de la demande sur la base de l'article 702 du code civil, le premier juge a considéré que la servitude permettait uniquement le passage pour piétons et que la servitude pour les besoins de l'exploitation agricole était éteinte.

La Société A a donc décidé d’interjeter appel de ce jugement.

Décision de la Cour

La Cour constate que la servitude de passage litigieuse s'exerce uniquement de façon pédestre, sauf pour une petite partie concernée par le présent litige, où elle s'exerce également pour l'exploitation agricole des parcelles auxquelles il donne accès.

La Cour rappelle l'article 702 du code civil selon lequel «celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire, ni dans le fonds qui doit la servitude ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier»2.

En conséquence, en entendant utiliser la servitude de passage pour permettre à la clientèle de son centre de loisirs, de le quitter, autrement que de façon pédestre, la Société A entend user de son droit de passage en dehors des limites fixées par le titre constitutif, modifiant de la sorte unilatéralement le type d'exploitation pour lequel la servitude avait été constituée.

En outre, la Cour estime que la Société A aggrave la situation du fonds servant.

Il n'y a, à l'évidence, aucun rapport entre le passage saisonnier de véhicules destinés à une exploitation agricole et celui de jour comme de nuit, en toutes saisons, de véhicules à moteur d'une clientèle fréquentant un centre de loisirs tel celui créé par la Société A.

La Cour considère donc qu’en s'opposant à une telle extension unilatérale de la servitude, Monsieur D ne commet donc aucun abus de droit vu l'aggravation considérable de la situation de son fonds.

Il s'en déduit que toute exploitation agricole ayant disparu, ce mode spécifique de la servitude a perdu toute utilité pour le ou les propriétaires du ou des fonds dominants.

Vu le développement urbanistique et commercial du quartier, il n'est pas établi ni même crédible qu'un jour une exploitation agricole d'une ou de plusieurs parcelles pourrait être recréée.

Dès lors, la Cour condamne la Société A à réaliser sur ses propres terrains, les travaux nécessaires pour empêcher tout passage depuis ses terrains sur ceux de Monsieur D, autre que pédestre, en lui accordant un délai raisonnable pour ce faire.

Bon à savoir

L’article 702 du Code civil prévoit que «celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire, ni dans le fonds qui doit la servitude ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier»3.

Pour déterminer s'il y a ou non aggravation des charges de la servitude au sens de l’article 702 du Code civil, il faut d’abord déterminer quelles étaient les charges de la servitude conventionnelle4.

Il résulte de l’article précité que le propriétaire du fonds dominant est tenu d’une part, d'user de la servitude suivant son titre par rapport à la lettre même de l'acte constitutif, et d’autre part, de n'aggraver en rien la situation du bien asservi, alors même qu’il resterait dans les limites du titre constitutif de son droit5.

Une servitude peut être éteinte partiellement, en raison de son inutilité. Ainsi, une servitude concédée d’une part, pour un passage pédestre et, d’autre part, pour une exploitation agricole, ne pourra plus être utilisée sur sa surface que par des piétons, lorsqu’il n’y a plus aucune activité agricole.

Cet article 702 du Code civil interdit au juge de tolérer qu'une servitude de passage soit exercée plus largement que ce qui a été stipulé conventionnellement, aggravant ainsi la situation du fonds servant6.

La seule possibilité d’obtenir un passage plus étendu que celui prévu par la convention serait d’invoquer « l’enclave relative » prévue par l’article 682 du Code civil7.

Celui-ci prévoit que « le propriétaire dont le fonds est enclavé parce qu'il n'a aucune issue ou qu'il n'a qu'une issue insuffisante sur la voie publique, qui ne peut être aménagée sans frais ou inconvénients excessifs, peut réclamer un passage sur le fonds de ses voisins pour l'utilisation normale de sa propriété d'après sa destination, moyennant paiement d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner »8.

Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.

________________

1. Appel Liège (3ème ch.), 9 février 2005, J.T., 2007/5, p. 96.

2. Article 702 du Code civil

3. Article 702 du Code civil

4. Civ. Bruxelles (16e ch.) 5 février 2010, Res Jur. Imm. 2010, liv. 4, p. 316.

5. J. HANSENNE, Les biens, tome II, n° 1125.

6. Civ. Bruxelles 3 décembre 2002, Res Jur. Imm., 2004, liv. 1, p. 64. 

7. P. LECOCQ, Chronique de jurisprudence en droit des biens, Liège, 2008, p. 268.

8. Article 682 du Code civil.