Cour d'appel de Liège - Droit de préférence - Locataire
Cour d'appel de Liège - Droit de préférence - Locataire
Présentations des faits1
Madame S. est propriétaire d’une maison sise à Montegnée. Les époux A.-M. sont quant à eux propriétaires d’un garage atelier sis à la même adresse.
Le 30 avril 2001, Madame S. a donné sa maison en location à Monsieur C.
Le même jour, les époux A.-M. ont également donné en location l’atelier garage à Monsieur C.
Les deux contrats de bail contiennent un pacte de préférence en faveur du preneur.
Le 10 juillet 2007, Monsieur C., son épouse Madame G., ainsi que Madame S. et les époux A.-M., ont signé un compromis de vente portant sur la maison et sur le garage pour le prix respectivement de 124.000 euros et de 198.500 euros, sous la condition suspensive octroyée à la partie acquéreuse de l’obtention d’un prêt ou d’une ouverture de crédit d’un montant maximum de 375.000 euros dans un délai de six semaines à compter du compromis.
Toutefois, la Société ING a refusé l’octroi d’un crédit pour la partie professionnelle, à savoir l’atelier garage.
Le 17 avril 2008, un acte authentique de vente a été passé entre, d’une part, Madame S. et les époux A.-M., et d’autre part, Monsieur Cr., Madame F. et la SPRL E. portant sur les immeubles en question.
Monsieur C. estime que cet acte de vente a été passé en fraude de son droit de préemption. Il a introduit une action en justice. Les premiers juges ont considéré la demande irrecevable en raison du fait que le litige était indivisible et imposait dès lors la présence tant du vendeur que de l’acquéreur.
Monsieur C. a interjeté appel de ce jugement.
Décision de la Cour d’appel de Liège
La Cour d’appel déduit de la signature du compromis de vente sous condition suspensive du 10 juillet 2007 que les droits de préférence accordés à Monsieur C. par les baux ont été respectés. Ce dernier a en effet non seulement été informé de la volonté de vendre du bailleur mais il a en plus exercer son droit de préférence puisqu’il a signé un compromis de vente portant sur les deux biens loués.
Les juges d’appel rappellent en outre la définition de la condition suspensive, à savoir « un évènement futur et de réalisation incertaine qui suspend l’exécution d’une obligation par ailleurs existante (et non qui suspend la naissance de l’obligation) en sorte que la défaillance de la condition n’a nullement pour effet de supprimer rétroactivement la convention, mais a pour conséquence que l’obligation contractée sous condition suspensive ne devra jamais être exécutée ».
Toutefois, la Cour d’appel estime que Monsieur C. n’a pas été informé complètement et loyalement. Il était en effet prévu dans les contrats de bail qu’en cas de refus, le bailleur sera autorisé à vendre l’immeuble de gré à gré à une tierce personne, à condition d’informer le preneur, par lettre recommandée, du prix et des conditions offerts. En effet, le compromis de vente envoyé à Monsieur C. ne faisait pas mention des conditions suspensives relatives à l’octroi de crédits qui avaient été octroyées aux tiers acquéreurs, alors que les baux prévoyaient bien une information à propos du prix et des conditions offerts.
Les conditions suspensives octroyées aux acquéreurs concernant l’obtention de crédits devaient en effet, selon l’opinion de la Cour, proposées à Monsieur C. en exécution du droit de préférence qui lui avait été accordé par les baux.
Les juges considèrent que Madame S. ainsi que les époux A.-M. ont manqué à leur obligation conventionnelle avec la complicité des tiers acquéreurs. Ces derniers ne se sont en effet pas comportés comme tout homme normalement prudent et raisonnable dans les mêmes circonstances.
Toutefois, la faute commise par Madame S. et les époux A.-M., ainsi que celles commises par les tiers acquéreurs ne justifient pas automatiquement l’annulation de la convention litigieuse.
En l’espèce, les juges sont d’avis que l’appelant parvient uniquement à rapporter la preuve d’un dommage moral causé par la déloyauté dont il a été victime. Celle-ci ne justifie cependant pas de prononcer l’annulation de la vente.
Bon à savoir
Le droit de préemption, également appelé pacte de préférence, peut être défini comme étant un droit reconnu à une personne lui permettant d’avoir priorité sur tout autre candidat si le bien immobilier venait à être mis en vente2.
Lorsque le pacte de préférence n’est pas respecté, plusieurs sanctions sont possibles3. Deux situations doivent être distinguées, celle où le tiers est de bonne foi et celle où il est de mauvaise foi.
Si le tiers ignorait l’existence du pacte de préférence, la vente sera conclue et le bénéficiaire n’aura droit qu’à des dommages et intérêts4.
Si le tiers est de mauvaise foi, c’est-à-dire s’il était au courant de l’existence du pacte de préférence, il conviendra de le considérer comme étant un tiers complice de la violation du droit de préférence5. Face à une telle situation, le juge pourra annuler l’acte de vente conclu avec le tiers de mauvaise foi et ordonner la vente au profit du bénéficiaire du droit de préférence6.
A titre d’exemple, il est possible que le locataire d’un bien bénéficie d’un pacte de préférence, selon lequel le bailleur ne pourra vendre l’immeuble de gré à gré à une tierce personne, en cas de refus du locataire de conclure la vente, que s’il l’informe par lettre recommandée du prix et des conditions offerts. Lorsque le locataire ne reçoit pas cette information, il peut demander l’indemnisation du dommage résultant de l’inexécution par le vendeur du pacte de préférence. Il est toutefois nécessaire qu’il apporte la preuve que s’il avait correctement et loyalement été informé, il aurait exercé son droit de préférence.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Liège (3e ch.), 1er février 2011, J.L.M.B., 2012/30, p. 1416.
2. Voyez : E. BEGIUN, « Droit de préemption : quelques réflexions liées à la pratique notariale », Rev. dr. rur. , 2003, pp. 85 et suivantes.
3. Cass., 27 avril 2006, Pas., 2006, I, p. 976.
4. J. DE VISSCHER, Le pacte de préférence. Ses applications en droit civil et en droit commercial, Bruxelles, Paris, Bruylant, Libraire générale de droit, 1938, p. 128.
5. J. DABIN, « De la sanction de la violation d’un pacte de préférence accordé à trois enfants devenus ultérireument héritiers, quand l’immeuble a été vendu à deux d’entre eux à l’exclusion du troisième », note sous Cass., 30 juin 1965, R.C.J.B., 1966, p. 77.
6.M. VANWIJCK-ALEXANDRE ET ST. BAR, « Le pacte de préférence ou le droit de conclure par priorité », in Le processus de formation des contrats, Larcier, CUP, n° 09/2004, Vol. 72, pp. 137 à 187.