Tribunal civil de Bruxelles - Culpa in contrahendo
Tribunal civil de Bruxelles - Culpa in contrahendo
Présentation des faits1
Madame V. est propriétaire d’un appartement, sis au deuxième étage de l’immeuble situé à Bruxelles. Désireux de le vendre, il a fait appel à l’agence immobilière H.
Le 12 mars 2010, l’agence H. a signé un document avec les époux C. par lesquels ces derniers se sont engagés à acheter l’appartement.
Le compromis de vente a été signé le 16 mars 2010 pour un prix de 170.000 EUR. Le compromis comportait notamment une déclaration des acquéreurs aux termes de laquelle ils étaient informés de la situation et des circonstances de la copropriété, et ce, depuis 2005.
Par courrier du 7 avril 2010, le conseil des époux C. a avisé Madame V. de ce qu’il y avait lieu de considérer le compromis nul et non avenu au motif que les époux C. avaient appris récemment du syndic de l’immeuble la mauvaise situation comptable et immobilière de la copropriété, qu’ils n’en avaient pas été informés par Madame V. ni par l’agence H., alors même que cela était connu depuis 2009, et qu’en présence d’une telle situation, ceux-ci n’auraient pas marqué leur accord pour acquérir le bien.
Par courrier du 27 avril 2010, les époux C. ont informé le notaire qu’ils ne signeraient pas l’acte authentique de vente dont la passation était prévue le 29 avril.
Par courrier recommandé du 5 juin 2010, Madame V. a mis les époux C. en demeure de renoncer au bénéfice du compromis et les a renvoyés à l’article 13 dudit compromis, lequel prévoyait une indemnité de 17.000 EUR en cas de résolution de la vente.
Par procès-verbal de comparution volontaire, déposé le 24 juin 2010, les parties ont soumis leur litige au tribunal civil de Bruxelles. Les époux C. poursuivent l’annulation de la vente en invoquant à titre principal un dol commis par Madame V. et à titre subsidiaire une culpa in contrahendo dans son chef les ayant induits en erreur au moment de la conclusion de la vente.
Décision du tribunal civil de Bruxelles
Le Tribunal civil de Bruxelles rappelle tout d’abord qu’il y a dol, lorsqu’une partie contractante, par des manœuvres, mensonges ou réticences, exerce intentionnellement une influence déterminante sur la volonté de l’autre partie.
Le tribunal civil rappelle également qu’aux termes de l’article 1110 du Code civil, l’erreur n’est une cause de la nullité de la convention que lorsqu’elle porte sur la substance de la chose qui en est l’objet. Le caractère substantiel de l’erreur implique que celle-ci porte sur un élément qui a déterminé la partie à contracter, de sorte que le contrat n’aurait pas été conclu en l’absence de cet élément.
Il ressort des pièces du dossier que la situation financière de la copropriété était effectivement mauvaise depuis plusieurs années, tant à cause de défaillances du précédent syndic qu’à cause du défaut de paiement de plusieurs copropriétaires. Bien que Madame V. ne semble pas faire partie des copropriétaires défaillants, pareille situation grevait tout de même son appartement.
L’important passif de la copropriétaire, la défaillance de certains copropriétaires et l’impossibilité de gérer l’immeuble constituent des éléments déterminants de nature à influencer les époux C. dans leur volonté de contracter.
Par ailleurs, rien ne permet d’établir que les époux C. auraient reçu, avant la signature du compromis de vente, les décomptes de charges ainsi que les procès-verbaux des assemblées générales permettant de constater les problèmes de gestion.
Contrairement à ce que soutient Madame V. il ne peut être reproché aux époux C. de ne pas avoir pris contact avec le syndic avant la signature du compromis de vente.
L’abstention de Madame V. de communiquer les éléments essentiels d’information sur l’état de la copropriété, alors qu’elle en était informée est donc constitutive d’une culpa in contrahendo justifiant l’annulation de la convention de vente pour vice du consentement des époux C. ainsi que l’indemnisation du dommage subi par ceux-ci.
Par conséquent, le tribunal civil de Bruxelles déclare la demande des époux C. recevable et fondée.
Bon à savoir
Durant la phase précontractuelle, il existe une obligation de collaboration qui s’impose aux parties contractantes2. Par cette obligation de collaboration, les parties doivent avoir un comportement loyal et honnête l’une à l’égard de l’autre3.
D’ailleurs, ce fondement est repris par l’article 1134 du Code civil, qui dispose que « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. »4.
Il est utile de souligner que le principe de base étant la liberté contractuelle, la rupture de pourparlers n'est pas en soi fautive5. Seules les circonstances de la rupture et le comportement de son auteur peuvent donner lieu à responsabilité6.
Par conséquent, la violation des obligations d’une des parties dans la phase précédant le contrat, notamment les normes de bon comportement, est susceptible d’engager la responsabilité de cette partie défaillante7.
La responsabilité d’une partie dans la phase précontractuelle peut ainsi être engagée, lorsque le contrat est annulé. En effet, dans cette situation, le contrat est conclu, mais est atteint d’un vice affectant sa validité, de sorte qu’il est annulé. Le fait pour le vendeur de ne pas informer les acheteurs des problèmes de gestion affectant la copropriété de l’appartement mis en vente constitue notamment une culpa in contrahendo justifiant l’annulation de la vente pour vice du consentement.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Civ. Bruxelles, 22 décembre 2011, J.T., 2012, p. 282
2. Comm. Brux. (13e ch.), 17 février 1977. – Jur. comm. Belg., 1977, p. 624.
3. Ph. MARCHANDISE, « La libre négociation. Droits et obligations des négociateurs », in Le droit des affaires en évolution. Le juriste dans la négociation, Bruxelles, Bruylant, Anvers, Kluwer, 1998, p. 10.
4. Article 1134 du Code civil.
5. Comm. Liège (6 ech.), 26 avril 2012, R.G.D.C., 2014/6, p. 273-277.
6. I. DURANT, « La rupture unilatérale des pourparlers ou l’exercice d’une liberté surveillée », in La volonté unilatérale dans le contrat, Bruxelles, JBB, 2008, p. 62.
7. P. VAN OMMESLAGHE, « Section 3 - La responsabilité précontractuelle (la culpa in contrahendo) » in Traité de droit civil belge, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 535-555.