Tribunal de première instance de Bruxelles - Rupture des pourparlers
Tribunal de première instance de Bruxelles - Rupture des pourparlers
Présentation des faits1
En novembre 2009, Madame et Monsieur D. ont décidé de mettre en vente, au prix de 199.000 €, un appartement dont ils étaient propriétaires.
Le 14 novembre 2009, Madame O. a visité cet appartement et a envoyé, le 22 novembre 2009, aux vendeurs un courrier qui précise que: «Suite à votre annonce concernant la vente de votre bien immobilier sis à Etterbeek, (...) en l’occurrence un appartement deux chambres que j’ai visité le 14 novembre, voulez-vous noter ce qui suit? Celui-ci pourrait m’intéresser. Cependant j’aimerais poursuivre nos négociations sur la base d’un prix de cent septante mille euros. Je souhaiterais connaître votre position à ce sujet dans un délai de huit jours, soit au plus tard pour le 30 novembre, que ce soit par courrier ou par téléphone au (...)» Passé ce délai, je considérerai que ma proposition de négociation n’a pas retenu votre attention, étant bien entendu que la présente ne constitue en aucun cas un compromis de vente».
Le 25 novembre 2009, les vendeurs ont renvoyé à Madame O. une copie de son courrier avec la mention manuscrite: «Pour accord pour un montant de 170.000 € (hors frais de notaire)».
Le 28 novembre 2009, Madame O. a effectué une deuxième visite des lieux en compagnie d’un ami entrepreneur et a envoyé un courrier aux vendeurs le 30 novembre 2009 signalant que suite à cette deuxième visite, l’achat de l’appartement ne l’intéressait plus car elle s’était rendue compte que le prix proposé était disproportionné par rapport aux travaux à effectuer, notamment au niveau de l’installation électrique à refaire.
Par courrier du 7 décembre 2009, les vendeurs ont informé Madame O. qu’ils considéraient qu’un contrat de vente avait été conclu le 25 novembre 2009 et qu’ils réclamaient dès lors une indemnité de résolution de 17.000 €.
Le 15 décembre 2009, le notaire de Madame O. a contesté la prétention des vendeurs en soulignant notamment qu’il « ressort clairement du courrier de ma cliente (du 22 novembre 2009) que cette proposition faite n’emportait aucunement offre de vente, la vente n’étant conclue qu’après éventuelle signature d’un compromis définitif ».
Les vendeurs ont introduit la présente action en vue de condamner Madame O. à lui payer : une indemnité de 2.500 € et les dépens de l’instance, en ce compris l’indemnité de procédure fixée à 715 €. Madame O. conclut, au non fondement de la demande et sollicite une indemnité de procédure fixée à 715 €.
Décision du Tribunal de Bruxelles
Le Tribunal constate que les demandeurs ne précisent pas le fondement légal de leur action. Il se déduit toutefois de leurs écrits de procédure qu’ils mettent en cause la responsabilité de Madame O. pour avoir retiré son offre après que celle-ci ait été acceptée par le destinataire ou à tout le moins, pour avoir rompu de manière fautive les pourparlers entre parties.
Madame O. soutient quant à elle que la proposition qu’elle a formulée ne constituait pas une offre d’achat mais une offre de pourparlers et qu’elle n’a commis aucune faute dans la rupture des pourparlers.
Le Tribunal rappelle que l’offre se définit comme étant une proposition contractuelle ferme et complète à laquelle il ne manque que l’acceptation du destinataire pour que le contrat soit formé2.
Or, la présence de réserves disqualifie l’offre en une simple proposition, non contraignante. Par ailleurs, lorsque l’offrant prétend retirer son offre après que celle-ci ait été acceptée par le destinataire, il commet une faute assimilée à un défaut d’exécution et engage par conséquent sa responsabilité contractuelle3.
S’agissant des pourparlers, le Tribunal rappelle que les parties peuvent mener librement les négociations et y mettre un terme quand elles le désirent. En soi, la rupture des pourparlers n’est pas fautive, elle ne l’est que si l’auteur de la rupture ne s’est pas comporté de bonne foi4.
En l’espèce, le Tribunal considère que le courrier du 22 novembre 2009 de Madame O. ne constitue pas une offre ferme mais une simple proposition de négociation.
De plus, il ne résulte d’aucun élément du dossier que Madame O. aurait été de mauvaise foi dans la rupture des négociations. En effet, elle a directement fait savoir aux demandeurs, par courrier du 30 novembre 2009 et après une deuxième visite de l’appartement avec un ami entrepreneur, qu’elle n’était plus intéressée dans la mesure où l’électricité était à refaire.
Eu égard à ce qui précède, le Tribunal considère la demande des vendeurs comme étant non fondée.
Bon à savoir
La culpa in contrahendo est née de la pratique doctrinale et jurisprudentielle5. Cette notion vise la violation des obligations dans la phase précontractuelle, à savoir pendant les pourparlers ou durant la formation des contrats.
Le principe général est que les parties disposent d’une liberté pour conclure des contrats, ceci relève des principes de la liberté contractuelle et de la liberté de commerce6.
Il est utile de préciser que le principe de la liberté contractuelle impose que lorsque deux personnes négocient un contrat, elles restent libres de ne pas se lier par le contrat envisagé. Cela étant, cette liberté n’est pas absolue et une partie pourrait voir sa responsabilité engagée à la suite du comportement qu’elle a adopté durant les négociations7. Cette responsabilité précontractuelle est également appelée culpa in contrahendo8.
Durant la phase précontractuelle, il existe une obligation de collaboration qui s’impose aux parties contractantes9. Par cette obligation de collaboration, les parties doivent avoir un comportement loyal et honnête l’une à l’égard de l’autre10.
Autrement dit, les parties conservent la faculté de ne pas contracter, aussi longtemps qu’elles se situent dans la phase des négociations précontractuelles. Toutefois, elles doivent adopter un comportement cohérent et conforme à la bonne foi11.
Il est utile de souligner que le principe de base étant la liberté contractuelle, la rupture de pourparlers n'est pas en soi fautive12. Seules les circonstances de la rupture et le comportement de son auteur peuvent donner lieu à responsabilité13.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Civ. Bruxelles (74e ch.) 8 avril 2011, R.G.D.C., 2013, liv. 9, 486.
2. Cass., 23 septembre 1969, Pas., 1970 I, p.73.
3. C. DELFORGE, “L’offre de contracter et la formation du contrat”, R.G.D.C., 2005, p.9.
4. P. WERY, Droit des obligations, Théorie générale du contrat, Volume 1, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 136.
5. B. DE CONINCK et C. DELFORGE, « La rupture des négociations et le retrait intempestif de l’offre. Régime général et sanctions », in Le processus de formation du contrat, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 77; M. COIPEL, Eléments de théorie générale des contrats, Anvers, Story-Scientia, 1999, p. 31.
6. M. BERLINGIN., « La formation dynamique du contrat de vente », in Manuel de la vente, Kluwer, Waterloo, 2010, pp. 37 et suivantes.
7. M. DUPONT, « La culpa in contrahendo : une application particulière de la responsabilité civile (note d'observations sous Liège, 3e ch., 7 mai 2008) », For. Ass., 2009/2, n° 92, p. 50.
8. J. STICHELBAUT, « La période précontractuelle. La rencontre des consentements », in Obligations. Traité théorique et pratique, Editions Kluwer, Bruxelles, 2007, II.1.4-11 - II.1.4-66.
9. Comm. Brux. (13e ch.), 17 février 1977. – Jur. comm. Belg., 1977, p. 624.
10. Ph. MARCHANDISE, « La libre négociation. Droits et obligations des négociateurs », in Le droit
des affaires en évolution. Le juriste dans la négociation, Bruxelles, Bruylant, Anvers, Kluwer,
1998, p. 10.
11. Bruxelles (4e chambre), 27 janvier 2003, J.L.M.B., 2006/19, p. 841-842.
12. Comm. Liège (6 ech.), 26 avril 2012, R.G.D.C., 2014/6, p. 273-277.
13. I. DURANT, « La rupture unilatérale des pourparlers ou l’exercice d’une liberté surveillée », in La volonté unilatérale dans le contrat, Bruxelles, JBB, 2008, p. 62.