Cour de cassation - Article 57, § 1 du Code d'instruction criminelle
Cour de cassation - Article 57, § 1 du Code d'instruction criminelle
Présentation des faits1
La police a effectué une perquisition. Au cours de cette perquisition, ils ont trouvé une coupure de journal de laquelle il ressort que Monsieur R. aurait participé à des meurtres commandités sur la police en Albanie.
Monsieur R. est inculpé pour ce fait.
Lors de la perquisition, Monsieur D., interprète, était présent. À cette occasion, il a mentionné aux enquêteurs de police présents qu’il avait participé à une autre instruction, auprès de la section homicide, concernant la même affaire.
En effet, l’Albanie avait demandé des renseignements sur Monsieur R. à la Belgique. Elle avait aussi demandé sa recherche par les services de police belges. Une photo était par ailleurs jointe à ce premier dossier.
Monsieur R. considère que Monsieur D. était tenu au secret de l’instruction et ne pouvait pas partager ces informations avec les enquêteurs lors de la perquisition effectuée à son domicile.
La Cour d’appel d’Anvers, chambre correctionnel dans son arrêt du 15 avril 2009, considère qu’il n’y a pas eu de violation du secret professionnel auquel est tenu Monsieur D. en tant qu’interprète prêtant son assistance aux services de police. Elle a, en effet, estimé que l’interprète qui communique aux enquêteurs lors d’une seconde instruction la seule existence d’une première instruction ne viole pas le secret professionnel auquel il est tenu.
Monsieur R. a introduit un pourvoi en cassation contre cette décision.
Décision de la Cour
La Cour commence par rappeler le contenu et la portée des articles 28quinquies, § 1 et 57, §1 du Code d’instruction criminelle. En effet, le premier dispose que l’information est secrète et que toute personne qui prête son concours professionnel à l’information est tenue au secret professionnel. L’article 57, §1 du Code d’instruction criminelle énonce la même règle concernant l’instruction.
La Cour mentionne également la sanction attachée par le législateur à la violation du secret de l’instruction ou de l’information, à savoir les peines prévues par l’article 458 du Code pénal.
Lorsqu’un interprète participe à une perquisition et qu’il prête son assistance aux enquêteurs des services de police lors d’une information ou d’une instruction, il prête son concours à cette instruction ou cette information au sens des articles 28quinquies, § 1 et 57, §1 du Code d’instruction criminelle.
Dès lors que l’interprète partage avec des tiers le secret qu’il a appris lors d’une information ou d’une instruction, il viole le secret professionnel et les peines prévues par l’article 458 du Code pénal peuvent lui être applicables.
Cependant, la Cour rappelle que l’interprète peut partager ce secret avec les autres personnes tenues au même secret professionnel et agissant pour la recherche de la vérité. Il faut également que l’information soit partagée des personnes tenues au même secret professionnel à l’égard du même commettant, c’est-à-dire le Ministère public ou le Juge d’instruction.
La Cour de cassation considère dès lors que les juges d’appel ont appliqué correctement le droit. En effet, lorsqu’un interprète partage avec les enquêteurs de police lors d’une deuxième instruction l’existence d’une première instruction, il ne viole pas le secret professionnel auquel il est tenu.
Bon à savoir
L’article 57, §1 du Code d’instruction criminelle dispose que : « sauf les exceptions prévues par la loi, l'instruction est secrète. Toute personne qui est appelée à prêter son concours professionnel à l'instruction est tenue au secret. Celui qui viole ce secret est puni des peines prévues à l'article 458 du Code pénal ».
Cet article énonce le principe du secret de l’instruction. Selon ce principe, lors de la phase préliminaire du procès pénal, les pièces du dossier sont couvertes par le secret et seules les personnes intervenant dans le cadre de ce dossier peuvent y avoir accès2.
Deux fondements peuvent être invoqués pour justifier le secret de l’instruction et de l’information. Tout d’abord, il s’agit de respecter la présomption d’innocence, le respect de la vie privée et de l’intégrité morale des personnes faisant l’objet du dossier. Ensuite, il convient également de permettre aux autorités judiciaires de mener de manière efficace l’instruction3. Ce principe est, par ailleurs, d’ordre public4.
Le législateur a prévu trois exceptions au secret de l’instruction.
Tout d’abord, toute personne interrogée a le droit de demander une copie de cette audition, qui doit alors lui être délivrée gratuitement5.
Dans le cadre de l’instruction, les parties ont également le droit de demander l’accès au dossier6.
Enfin, l’article 57, § 3 du Code d’instruction criminelle a prévu la possibilité pour le Procureur du roi de communiquer des informations à la presse, et ce lorsque l’intérêt public l’exige. Lorsque l’affaire est à l’instruction, l’accord du juge d’instruction est toutefois nécessaire. Il est admis que cet accord puisse être verbal7.
L’avocat peut également communiquer des informations à la presse, et ce lorsque l’intérêt de son client l’exige8.
Aussi bien lorsque c’est le Procureur du roi que lorsque c’est l’avocat qui communique à la presse, certaines balises ont été posées par le législateur. En effet, la présomption d’innocence, les droits de la défense des suspects, des victimes et des tiers, la vie privée ainsi que la dignité des personnes doivent être respectés9.
Un interprète prêtant son concours à une instruction est tenu au secret de celle-ci. Il est toutefois autorisé à partager le secret avec les personnes agissant dans le même but, c’est-à-dire la manifestation de la vérité, et à l’égard d’un même commettant. Lorsqu’il agit dans le cadre d’une deuxième instruction et partage avec les enquêteurs de police le seul fait de l’existence d’une première instruction concernant la même affaire, il ne viole dès lors pas le secret professionnel auquel il est tenu.
En cas de violation du secret professionnel, les sanctions prévues à l’article 458 du Code pénal sont applicables. Il s’agit d’emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de cent euros à cinq cents euros.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass. (2e ch.), 6 octobre 2009, Pas., 2009, liv. 10, 2175.
2. M.-A. Beernaert, C. Guillain et D. Vandermeersch, Introduction à la procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 2008, p. 114.
3. Ibid.
4. Cass., 25 juin 1976, Pas., I, p. 1170.
5. Article 57, §2 du Code d’instruction criminelle.
6. Article 61ter, § 1 du Code d’instruction criminelle. Pour plus d’informations, voy. également M.-A. Beernaert, C. Guillain et D. Vandermeersch, op. cit., pp. 211-212.
7. Rapport de la Commission de la Justice, Doc. parl., Sén., sess. ord. 1997-1998, n°1-704/4, p. 219.
8. Article 57, § 4 du Code d’instruction criminelle.
9. Article 57, §§ 3 et 4 du Code d’instruction criminelle ; M.-A. Beernaert, C. Guillain et D. Vandermeersch, op. cit., p. 115.