Cour d’appel de Liege – article 9 § 4 de la loi du 22 aout 2002
Cour d’appel de Liege – article 9 § 4 de la loi du 22 aout 2002
Présentation des faits1
Par ordonnance de la chambre du conseil de Liège du 09 août 2006, Monsieur M. a fait l'objet d'une mesure d'internement, suite à des coups de couteau portés à sa mère, Madame V., alors qu'il se trouvait dans un état délirant.
Dans le cadre de cette mesure d'internement, il a notamment été placé, à partir du mois de mai 2007, au centre universitaire provincial La Clairière, où il était régulièrement suivi par le docteur S.
Le 30 janvier 2009, la Commission de Défense Sociale a ordonné la libération à l'essai de Monsieur M., moyennant le respect de plusieurs conditions, dont celles de se soumettre à la tutelle médicale du docteur S., de résider à l'institution « Le Manoir » à Izel et de respecter l'interdiction de rencontrer sa mère.
Monsieur M. a, suite à cette ordonnance, continué à fréquenter le centre universitaire provincial « La Clairière » à raison de plusieurs jours par semaine où il a continué à être suivi par le docteur S.
Le 14 février 2010, Monsieur M., sujet à des crises d'épilepsie, a été hospitalisé au centre universitaire provincial « La Clairière » où il a été découvert sans vie dans son lit le 21 février 2010.
Souhaitant être informée sur les circonstances du décès de son fils, Madame V. a mandaté le docteur B. en vue de solliciter du docteur S. qu'il lui communique copie des pièces du dossier médical en sa possession, ou à tout le moins qu'il lui permette d'en prendre connaissance.
Par courrier du 28 janvier 2012, le docteur S. a notifié au docteur B. son refus d'accéder à sa requête au motif que « de son vivant, Monsieur M. avait expressément demandé que tout contact avec sa mère soit rompu et qu'aucune information le concernant ne lui soit transmise, pour raison d'inadéquation de cette dernière ».
Le psychologue P., travaillant au centre universitaire provincial « La Clairière » qui a aussi suivi Monsieur M., a relevé également la volonté de celui-ci de couper les ponts avec sa mère.
Face à ce refus, Madame V. a assigné d'une part, la SCCRL V, dont dépend le centre universitaire provincial « La Clairière » et d'autre part, le docteur S., devant le tribunal de première instance de Neufchâteau, sollicitant que ces deux parties soient tenues de permettre au docteur B. de consulter des éléments du dossier médical de Monsieur M.
Par jugement du 01 février 2013, le tribunal de première instance de Neufchâteau a dit les demandes de Madame V. recevables mais non fondées et l'a déboutée de son action.
Madame V. a interjeté appel de ce jugement en intimant exclusivement le docteur S. Elle a réitéré, à l'encontre du docteur S., la demande de consultation du dossier médical de Monsieur M.
Décision de la Cour d’appel
La Cour d’appel rappelle tout d’abord l'article 9 § 4 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient aux termes duquel « après le décès du patient, l'époux, le partenaire cohabitant légal, le partenaire et les parents jusqu'au deuxième degré inclus ont, par l'intermédiaire du praticien professionnel désigné par le demandeur, le droit de consultation, visé au paragraphe 2, pour autant que leur demande soit suffisamment motivée et spécifiée et que le patient ne s'y soit pas opposé expressément. Le praticien professionnel désigné consulte également les annotations personnelles visées au paragraphe 2 alinéa 3 »2.
La Cour d’appel rappelle également les travaux préparatoires de la loi du 22 août 2002 qui indiquent qu'« il appartient au médecin de juger de l'opportunité de la consultation et de faire la part des choses entre le respect de la vie privée du patient et les intérêts réels de la famille »3.
Il en résulte, selon la Cour, que c’est sur le médecin que repose avant tout le respect des dispositions de la loi du 22 août 2002. C'est en effet à lui qu'il incombe de veiller à l'équilibre des valeurs en présence et au respect de la volonté de son patient défunt quant à la divulgation de son dossier médical à ses proches.
Ce droit est en conséquence encadré par des conditions strictes énumérées audit article que sont, l’octroi à certains proches limitativement énumérés, la consultation indirecte par le biais d'un praticien professionnel, l’exigence d'une demande motivée et spécifiée et l’absence d'opposition expresse du patient.
En l'espèce, la Cour estime que s'il n'est pas contesté que les trois premières conditions sont respectées, il est par contre soutenu que la dernière condition n'est pas remplie.
La cour relève par ailleurs que dans le cadre des contrats d'entrée établis entre Monsieur M. et l'unité 2 de La Clairière, Monsieur M. a clairement exprimé le souhait que le corps médical joue le rôle de rempart entre sa personne et celle de sa mère.
Il y a lieu de considérer qu'en exprimant, à plusieurs reprises, de manière orale et écrite, sa volonté de rompre de manière définitive toute relation avec sa mère, Monsieur M. a manifesté de manière non équivoque sa volonté expresse de s'opposer à toute intrusion de sa mère dans la sphère de sa vie privée et à tout droit d'accès de celle-ci à ses données à caractère personnel, fut-ce après sa mort.
Dès lors, en décider autrement reviendrait à annihiler la volonté du patient et serait contraire à l'intention du législateur de conférer au patient la maîtrise sur le sort de ses données médicales après son décès.
La Cour reçoit l’appel de Madame V mais le dit non fondé et confirme le jugement a quo.
Bon à savoir
L'article 9 § 4 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient prévoit qu’ « après le décès du patient, l'époux, le partenaire cohabitant légal, le partenaire et les parents jusqu'au deuxième degré inclus ont, par l'intermédiaire du praticien professionnel désigné par le demandeur, le droit de consultation, visé au paragraphe 2, pour autant que leur demande soit suffisamment motivée et spécifiée et que le patient ne s'y soit pas opposé expressément. Le praticien professionnel désigné consulte également les annotations personnelles visées au paragraphe 2 alinéa 3 »4.
Le droit de consultation indirecte du dossier du patient décédé consacré à l'article 9 § 4 de la loi du 22 août 2002 constitue une exception légale à la règle du secret médical et au droit du respect de la vie privée du patient, droit qui devient « objectif » à son décès5.
En effet, le refus manifesté par le patient à la consultation de son dossier est contraignant ; la loi lui confère la maîtrise sur le sort de ses données médicales après son décès tout en précisant que son opposition à la consultation de son dossier doit être expresse.
Le texte légal n'exige cependant nullement que cette opposition expresse résulte d'un écrit de sorte qu'il doit être admis qu'elle peut avoir été formulée verbalement6.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cour d'appel de Liège, 4 septembre 2014, arrêt n° F-20140904-1 (2013/RG/735).
2. Article 9 § 4 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.
3. Travaux préparatoires de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.
4. Article 9 § 4 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.
5. G. GENICOT, Droit médical et biomédical, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 258.
6. En ce sens, avis du Conseil National des Médecins - 01.09.2007, www.ordomedic.be