Cour constitutionnelle (question préjudicielle) - Articles 3, § 5, al. 3 et 3, §6, alinéa 2 de la loi sur le bail de résidence principale - Articles 10 et 11 de la Constitution
Cour constitutionnelle (question préjudicielle) - Articles 3, § 5, al. 3 et 3, §6, alinéa 2 de la loi sur le bail de résidence principale - Articles 10 et 11 de la Constitution
Présentation des faits1
Les affaires ci-dessous, inscrites sous les numéros 4523 et 4551 du rôle de la Cour, ont été jointes, en ce qu'elles portaient sur la même question préjudicielle.
Affaire n°4523
Par un contrat de bail signé le 8 juillet 2005, Madame P. a donné location à Madame T. un appartement situé à Etterbeek pour une durée de trois ans prenant cours le 1er septembre 2005. Un deuxième bail, identique au premier bail, a été signé entre Madame P. et la fille de Madame T., portant également la date du 8 juillet 2005 et enregistré au troisième bureau de l’enregistrement d’Ixelles, le 3 septembre 2007.
Le 17 septembre 2007, la fille de Madame T. invoque la nullité de la convention qu’elle a signée au motif de l’existence d’une manœuvre dolosive dans le chef de Madame P.
Le 19 septembre 2007, Madame T. (Anne) a mis fin à son bail en donnant un congé avec effet au 31 décembre 2007, précisant qu’elle estime ne devoir aucune indemnité de résiliation.
Le 22 janvier 2008, Madame P. a déposé une requête contre la fille de Madame T. en vue d’entendre déclarer résiliée la convention de bail conclue entre parties aux torts et griefs de Madame T. et de sa fille.
Madame P. a également réclamé l’expulsion de Madame T. et de la fille de Madame, ainsi que le paiement d’une indemnité de résiliation équivalente à trois mois de loyer. Madame P. a encore réclamé devant le juge a quo la condamnation de Madame T. et de la fille de Madame T. au paiement des arriérés de loyers jusqu’au mois d’août 2008 ainsi que la désignation d’un expert pour procéder à l’état des lieux de sortie.
Le 25 janvier 2008, la fille de Madame T. a déposé une requête auprès du juge de paix pour débloquer la garantie locative constituée. Madame T. et la fille de Madame T. ont contesté le bien-fondé de la demande de Madame P., arguant que le premier bail signé avec Madame T. n’avait pas été enregistré, tandis que le deuxième bail conclu avec la fille de Madame T. a fait l’objet d’un enregistrement.
D’après Madame T. et la fille de Madame T., l’absence d’enregistrement du premier bail aurait pour conséquence que le locataire a la possibilité de quitter les lieux sans devoir payer l’indemnité visée à l’article 3, § 5, alinéa 2, de la loi du 20 février 1991 portant les règles particulières aux baux relatifs à la résidence principale du preneur. Elles prétendent également qu’il existe une discrimination injustifiée entre les baux de courte durée et les baux de longue durée quant aux conséquences civiles liées à l’enregistrement ou l’absence d’enregistrement des baux, dès lors que l’absence d’enregistrement d’un bail de location de neuf ans aurait pour conséquence que le preneur peut quitter les lieux à n’importe quel moment sans devoir payer une indemnité quelconque, tandis que cette possibilité n’existe pas pour les baux non enregistrés d’une durée maximum de trois ans.
Par jugement du 25 septembre 2008, le Juge de paix du canton d’Etterbeek a interrogé la Cour Constitutionnelle sur la différence de traitement qui résulte de la modification opérée par l’article 73 de la loi-programme du 27 décembre 2006, de l’article 3, § 5, de la loi du 20 février 1991 portant sur les baux relatifs à la résidence principale du preneur, entre, d’une part, le preneur qui a conclu un contrat de bail d’une durée de neuf années et se voit appliquer ladite disposition en l’absence d’enregistrement du bail par le bailleur et, d’autre part, le preneur qui a conclu un contrat de bail de plus courte durée et ne peut se voir appliquer la disposition en cause dans la même hypothèse.
Affaire n°4551
Le 1er août 2007, la SA G. et Monsieur V. concluent un contrat de bail pour résidence principale portant sur un studio situé à Gand, pour une durée de trois ans, prenant court à compter du 1er juillet 2007.
Monsieur V. a mis fin au bail par un courrier du 28 avril 2008, dans lequel il a fait savoir à la SA G. que le contrat prendrait fin le 31 mai 2008.
Par jugement du 3 novembre 2008, le juge de paix de Gand observe tout d’abord que le contrat ne contient en l’espèce aucune mention relative à l’enregistrement. Il renvoie en conséquence à l’article 5bis de la loi sur les baux d’habitation qui impose l’obligation d’enregistrement au bailleur ainsi qu’à l’article 3, § 5, alinéa 2, tel qu’il a été inséré par la loi-programme du 27 décembre 2006 qui prévoit que le preneur peut mettre fin au bail à tout moment, sans délai de préavis et sans paiement d’une indemnité.
Le juge de paix constate toutefois que le contrat de bail d’une durée inférieure à trois ans est régi par l’article 3, § 6, de la loi sur les baux d’habitation et non par l’article 3, §§ 2 à 5. Il en déduit que l’article 3, § 5, alinéa 2, de la loi sur les baux d’habitation ne s’applique pas au contrat de bail conclu en l’espèce et se pose la question de la différence de traitement entre le contrat de bail de neuf ans auquel il peut être mis fin moyennant un congé de trois mois et, à défaut d’enregistrement, sans préavis, et le contrat de bail de courte durée, qui prend fin à l’expiration de la durée prévue sans que l’on puisse y mettre un terme moyennant un congé de trois mois.
Le juge de paix relève encore que les articles 62 à 66 de la loi-programme du 27 décembre 2006 ont fait l’objet d’un recours en annulation devant la Cour. Ce recours a donné lieu à l’arrêt n° 84/2008 du 27 mai 2008. Il s’inscrivait toutefois dans le cadre de la question de savoir si une différence de traitement était créée entre les contrats de bail affectés exclusivement ou non au logement d’une famille ou d’une personne seule, tandis qu’il est question ici d’une différence de traitement entre les contrats de bail de neuf ans et les contrats de bail de maximum trois ans.
Le Juge de paix de Gand a ainsi demandé à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la question de savoir si le fait que l’article 3, § 5, alinéa 2 [lire : alinéa 3], de la loi sur les baux d’habitation ait été inséré dans cette loi par la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 sans avoir été rendu également applicable aux contrats de bail de courte durée visés à l’article 3, § 6, de la loi sur les baux d’habitation, est compatible ou non avec la Constitution.
Décision de la Cour constitutionnelle
La Cour constitutionnelle constate tout d’abord qu’il existe certes une différence de traitement entre, d’une part, le preneur qui a conclu un contrat de bail d’une durée de neuf ans et se voit appliquer l’article 3, § 5, al. 3 de la loi en l’absence d’enregistrement du bail par le bailleur et, d’autre part, le preneur qui a conclu un contrat de bail de courte durée et ne peut se voit appliquer ladite disposition dans la même hypothèse.
La Cour estime cependant que cette différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir la durée du bail pour une durée déterminée. Elle est également raisonnablement justifiée, dans la mesure où la sanction de l’absence d’enregistrement du contrat de bail dans le chef du bailleur concerne exclusivement le régime relatif au délai de préavis des baux et à l’indemnité de préavis qui serait éventuellement due par le locataire à cette occasion, un régime dont l’article 3, §6, alinéa 2, exclut expressément l’application aux baux de résidence principale de trois ans ou moins. En effet, en juger autrement perturberait l’économie de la différence de régime des contrats de bail de neuf ans et des contrats de bail de trois ans au maximum.
La Cour constitutionnelle considère enfin que le législateur pouvait partir du principe que les effets civils du défaut d’enregistrement du contrat de bail étaient plus sérieux dans le cas des contrats de bail souscrits pour une longue durée de neuf ans que pour les contrats de bail de courte durée, auquel cas le preneur pourrait se prémunir en prenant lui-même l’initiative de procéder à l’enregistrement du bail.
Bon à savoir
La position de la Cour constitutionnelle dans l’arrêt dont question a été confirmée et complétée par deux arrêts ultérieurs, rendus par la même juridiction2.
Dans son arrêt du 4 février 20103, la Cour relève le commentaire additionnel suivant fait lors des travaux préparatoires de la loi : « par ailleurs, il est souligné que cette nouvelle règlementation sera applicable à tous ces types de baux quelle que soit la date de la conclusion du contrat. Cet article a été adapté suite aux remarques du Conseil d’Etat »4. Ce commentaire permet de préciser les conditions d’application dans le temps de la règle nouvelle aux seuls baux faisant l’objet de l’article 73, et non pas aux baux de courte durée.
Dans son arrêt du 29 avril 20105, la Cour donne son avis comme suit : « le législateur a en effet pu considérer que les circonstances qui justifiaient la protection du preneur et la sanction du défaut d’enregistrement du bail sont, en règle, étrangères à celles dans lesquelles les baux de courte durée sont conclus : la durée de ceux-ci rend généralement moins probable, en effet, la survenance d’évènements imprévus pouvant conduire à l’éviction du locataire que lorsqu’il s’agit de baux de longue durée, la multiplication de ces évènements pouvant résulter du simple fait de cette durée ».
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. C.C. n° 109/2009, 9 juillet 2009 (question préjudicielle), J.L.M.B., 2009, liv. 31, p. 1447.
2. M. DE SMEDT et M. HIGNY, "Le bail de résidence principale : questions choisies", in Actualités en droit du bail, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 110.
3. C.C., arrêt n°10/2010, 4 février 2010, M.B., 12 mars 2010.
4. Doc. parl., Chambre, 2006-2007, n°51-2773/001, p. 56.
5. C.C., arrêt n°50/2010, 29 avril 2010, M.B., 10 juin 2010.