Cour de cassation - Droit de préemption
Cour de cassation - Droit de préemption
Présentation des faits1
Les consorts V. sont propriétaires de deux parcelles de terrains, faisant l’objet d’un bail à ferme au profit de Madame X. et Monsieur Y.
Ces parcelles de terrains louées par Madame X. et Monsieur Y., ainsi qu’une ferme avec terrain, qui ne faisait pas l’objet du contrat de bail, ont été vendus à Madame A. et Monsieur B. par les consorts V. Le prix des biens loués a été fixé à 3.000.000 francs et celui des biens non loués à 2.000.000 francs.
Le droit de préemption a été notifié à Madame X. et Monsieur Y. pour les parcelles louées pour un montant de 3.000.000 francs.
Madame X. et monsieur Y. n’ont toutefois pas pu exercer leur droit de préemption, en raison du prix élevé et ont alors agi en justice, s’estimant lésés.
Par ses jugements du 7 décembre 1999 et 19 novembre 2001, le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degré d’appel, a considéré que le prix élevé des biens loués était artificiellement compensé par le bas prix fixé pour la ferme et que Madame X. et Monsieur Y. avaient été empêché de manière frauduleuse d’exercer leur droit de préemption.
Madame A. et Monsieur B. ont alors formé un pourvoi de cassation contre ces deux jugements.
Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation rappelle tout d’abord que conformément à l’article 47 de la loi sur le bail à ferme dispose qu’en cas de vente d’un bien rural loué, le preneur jouit du droit de préemption pour lui-même ou pour les autres personnes citées par cet article, qui participent effectivement à l’exploitation de ce bien.
L’article 50, alinéa 3 de cette loi dispose que lorsque le bien loué ne constitue qu’une partie de la propriété mise en vente, le droit de préemption s'applique au bien loué, et le propriétaire est tenu de faire une offre distincte pour ce bien.
Aux termes de l’article 51, alinéa 1er, en cas de vente faite en méconnaissance des droits de préemption du preneur, celui-ci peut exiger soit d’être subrogé à l’acquéreur, soit de recevoir du vendeur le versement d’une indemnité.
Il ressort de ces dispositions, qui visent à protéger le preneur, que lorsque le bien loué ne constitue qu’une partie des biens mis en vente, le vendeur qui met en vente l’ensemble des lieux ne peut fixer la valeur respective des biens loués et des biens qui ne sont pas loués d’une manière qui vise à empêcher le preneur d’exercer le droit de préemption qui en est légalement garanti.
La Cour rappelle ensuite que les juges d’appel ont considéré dans la décision attaquée que le prix élevé des biens loués était artificiellement compensé par le bas prix fixé pour la ferme et que le preneur a ainsi été empêché de manière frauduleuse d’exercer son droit de préemption.
La Cour estime qu’indépendamment de leur appréciation de la simulation du prix, ils ont pu légalement décider que les vendeurs avaient méconnu le droit de préemption du preneur.
Celle-ci indique par ailleurs qu’en vertu de l’article 51, alinéa 3 de cette loi, le preneur subrogé rembourse à l’acheteur le prix payé par le premier acheteur ainsi que les frais de l’acte.
Elle précise que lorsque le droit de préemption du preneur est méconnu parce que, pour les biens vendus ensemble, le bailleur a fixé le prix des biens loués de manière anormalement élevée en vue d’éviter l’application du droit de préemption et que, pour compenser, il a évalué de manière proportionnellement basse les biens qui n’étaient pas loués, le preneur subrogé n’est pas tenu de payer le prix stipulé de manière formelle mais bien le prix qui aurait été dû si le droit de préemption n’avais pas été méconnu.
Selon la Cour, le moyen qui suppose que le prix payé effectivement par l’acheteur doit en tout cas être remboursé ne peut être accueilli.
Par conséquent, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Bon à savoir
Le droit de préemption, également appelé pacte de préférence, peut être défini comme étant un droit reconnu à une personne lui permettant d’avoir priorité sur tout autre candidat si le bien immobilier venait à être mis en vente.2 Autrement dit, s’il y a un droit de préemption, le titulaire aura la préférence pour conclure la vente aux mêmes conditions que celles proposées par le tiers.3
Ce droit est systématiquement reconnu, en matière de bail à ferme, au preneur.4
Le droit dont peut se prévaloir le preneur, bénéficiaire du droit de préemption, ne produit ses effets que si la vente du bien est décidée.5 Le vendeur est, à cet égard, tenu d’adresser une offre précise auprès du titulaire du droit avant de pouvoir vendre à un autre candidat.
Lorsque le bien faisant l’objet d’un bail à ferme ne constitue qu’une partie de l’ensemble des biens mis en vente par le vendeur, ce dernier ne peut fixer la valeur respective des biens loués et des biens qui ne sont pas loués d’une manière qui vise à empêcher le preneur d’exercer son droit de préemption.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass., 20 décembre 2004, C.02.01.56.N, www.juridat.be
2. Voyez : E. BEGIUN, « Droit de préemption : quelques réflexions liées à la pratique notariale », Rev. dr. rur. , 2003, pp. 85 et suivantes.
3. M. VANWIJCK-ALEXANDRE et S. BAR, « Le pacte de préférence ou le droit de conclure par priorité », in Le processus de formation du contrat, Coll. Commission Université-Palais, vol. 72, Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 133 et suivantes.
4. Articles 47 et suivant de la loi du 4 novembre 1969 contenant des règles particulières aux baux à ferme ; E. BEGUIN, « Le droit de préemption », in Guide de droit immobilier, Waterloo, Kluwer, 1994, p. VI.1.11-1 et suivants ; E. BEGUIN, « 2.b. - Bail à ferme et droit de préemption. Chronique (1er janvier 2007- 30 juin 2009) » in Chroniques notariales – Volume 50, Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 263-321.
5. P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, T. I, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 586.