Tribunal civil de Dinant - Droit de préemption
Tribunal civil de Dinant - Droit de préemption
Présentation des faits1
Les consorts B. étaient propriétaires de parcelles de pâture pour une superficie de 1ha 87a 18ca.
Désireuses de vendre, les consorts B. ont contacté le notaire, actuel défendeur en intervention forcée, et, le 24 juin 2002, elles ont signé un compromis de vente avec les époux H.-P. Il a été conclu sous la condition suspensive que les personnes indiquées comme étant les locataires des consorts B. n'exercent pas leur droit de préemption.
Le 24 juin 2002, le notaire C. a ainsi notifié une offre de préemption à Monsieur G. et Madame H.
Par une lettre du 22 juillet 2002, Monsieur G. a répondu dans le délai légal d'un mois qu'il exerçait son droit de préemption. L’offre a, par contre, été adressée à tort à Madame H., dans la mesure où Monsieur G. semble, après vérifications, être le seul et unique locataire des consorts B.
Par lettre du 24 octobre 2002, le notaire C. a informé le notaire D., notaire de Monsieur G., que la signature de l'acte était prévue en l'étude du notaire B. C. le lundi 4 novembre 2002.
Par une lettre du 30 octobre 2002 adressée par le conseil des époux H.-P. aux consorts B., au notaire et à Monsieur G., les époux H.-P. ont fait savoir qu’ils s’opposaient à l’usage du droit de préemption, contestant la qualité d'exploitant agricole de monsieur G. Cette lettre a ainsi empêché la signature de l’acte prévue le 4 novembre 2002.
A cette lettre, le conseil de Monsieur G. a répondu que l’opposition faite par les époux H.-P. doit être considérée comme étant tardive puisque monsieur G. a déclaré faire usage de son droit de préemption depuis le 22 juillet 2002 et c'est plus de trois mois après cette communication que l’opposition est intervenue. Par ailleurs, les terrains litigieux sont exploités par la famille de monsieur G. depuis plus de quarante années et le fait que monsieur G. ait créé une société agricole, appelée la SA G., à partir de 1992 ne change rien à l'occupation personnelle des terrains par Monsieur G., celui-ci étant associé-gérant de la société agricole. Le conseil de Monsieur G. estime par conséquent que l’opposition doit être considérée comme non fondée et signale qu’il a demandé aux notaires de passer l’acte de vente des terrains au profit de Monsieur G.
L’acte de vente a été signé le 21 janvier 2003.
Les époux H.-P. ont ensuite cité en justice les consorts B. et Monsieur B., ainsi qu’en intervention forcée, le notaire C. La société agricole est ensuite intervenue volontairement comme partie défenderesse.
Les époux H.-P. ont demandé au tribunal de dire pour droit que la condition suspensive à laquelle était subordonné l'acte de vente conclu le 24 juin 2002 s'était réalisée, et que ladite vente était devenue parfaite. Ils demandent également au juge de dire pour droit qu'en acceptant cette offre le 22 juillet 2002, Monsieur G. n'a pas exercé un droit de préemption dont il ne disposait pas et de déclarer nul ou inopposable aux concluants l'acte de vente passé en fraude de leurs droits le 21 janvier 2003. Les époux H.-P. postulent la condamnation des consorts B. à passer l'acte authentique de vente avec eux dans le mois de la signification du jugement, sous peine d’astreinte. Ils sollicitent enfin la condamnation des défendeurs solidairement, ou l'un à défaut des autres, à couvrir tout dommage résultant ou pouvant résulter du retard avec lequel l'acte authentique sera passé et, plus spécialement, à payer aux concluants la somme de 4.500 euros en réparation du dommage causé par l'obligation dans laquelle ils se sont trouvés d'agir en justice.
Les consorts B., Monsieur G. et le notaire C. concluent tous à l'irrecevabilité de l'action, voire à son absence de fondement. Monsieur G. sollicite en outre l'octroi à son profit d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour action téméraire et vexatoire. La SA G. demande, quant à elle, à titre subsidiaire de dire pour droit qu'à défaut de considérer Monsieur G. comme titulaire du droit au bail des parcelles litigieuses, il y a lieu de dire pour droit que c'est bien la SA G. qui est titulaire du droit au bail sur lesdites parcelles.
Décision du Tribunal civil de Dinant
Sur le droit de préemption
Le tribunal civil de Dinant rappelle tout d’abord que conformément à l'article 48.1 de la loi sur les baux à ferme, le propriétaire ne peut vendre de gré à gré à une personne autre que le preneur qu'après avoir mis celui-ci en mesure d'exercer son droit de préemption. A cet effet, le notaire notifie au preneur le contenu de l'acte établi sous condition suspensive de non-exercice du droit de préemption, l'identité de l'acheteur exceptée. Cette notification vaut offre de vente.
C'est ainsi que les consorts B. se trouvaient dans l'obligation de notifier leur intention de vendre à leur preneur.
Cette obligation n'implique pas qu'automatiquement que le preneur serait titulaire de ce droit de préemption et pourrait l'exercer pleinement, encore faut-il que le bien soit exploité par lui personnellement ou par sa famille, conformément à l’article 52,1° de la loi.
Ces deux conditions sont cumulatives.
En l'espèce, l'obligation prévue par l'article 48.1 de la loi a été régulièrement respectée à raison des termes de la lettre du 24 juin 2002 de Maître C.
Concernant l’exploitation personnelle, le tribunal précise que ce n'est pas parce qu'un bailleur reconnaît la qualité de preneur à un tiers que ce tiers se voit, nécessairement, investi de la qualité d'exploitant.
En l’espèce, Monsieur G. plaide qu'il exerce l'exploitation des terres données à bail par l'intermédiaire d'une « société agricole », la SA G.
Toutefois, il résulte des statuts de la SA G. que cette dernière n'est pas du tout une société agricole, au sens de la loi, mais est bien, et uniquement, une société commerciale, qui ne peut bénéficier de la protection offerte par l'article 36 de la loi du 12 juillet 1979.
C'est ainsi qu'il y a lieu de considérer que Monsieur G. n'exploite pas personnellement les biens litigieux et qu'il ne peut établir que cette exploitation serait exercée par le biais d'une société agricole, laquelle n'existe pas.
En conséquence, à défaut de qualité d'exploitant, Monsieur G., titulaire du droit au bail, ne peut exercer le droit de préemption que lui accorde la loi.
Sur la demande subsidiaire de la SA G.
D'une façon assez paradoxale, la SA G. expose à titre subsidiaire que si Monsieur G. n'est pas le titulaire du bail à ferme, c'est elle qui en serait le titulaire, et qu'alors, l'article 48.1 de la loi sur le bail à ferme n'aurait pas été respecté à son égard.
Cette argumentation ne peut être accueillie, le bail à ferme étant acquis à Monsieur G., ce qui n'est pas contesté.
Sur la responsabilité du Notaire C.
A raison des précisions fournies en temps utile par le conseil des époux H.-P., il s'imposait au notaire, même au-delà de son devoir de conseil, de refuser de recevoir l'acte.
En effet, le notaire était au courant de l'introduction de la présente procédure et alors qu'il devait savoir que les problèmes juridiques ainsi posés n'étaient pas dénués de tout fondement, même au niveau de l'apparence du droit.
Le notaire a donc commis une faute professionnelle en acceptant de passer l’acte de vente.
Quant au préjudice subi par les époux H. et P. suite à cette faute, il se limite à la seule obligation qu'ils ont eue de procéder à la transcription de leurs conclusions au bureau des hypothèques de Dinant, le 31 janvier 2003, ce qui représente une somme totale de 40,20 euros.
En effet, indépendamment de la faute commise par le notaire, la procédure judiciaire était inévitable compte tenu des points de vue opposés des parties.
Par conséquent, le Tribunal civil de Dinant déclare la demande des époux H.-F. recevable et entièrement fondée.
Bon à savoir
Le droit de préemption est le droit reconnu à une personne lui permettant d’avoir priorité sur tout autre candidat si le bien immobilier venait à être mis en vente2. En pratique, cela signifie que le titulaire du droit de préemption aura la préférence pour conclure la vente, et ce aux mêmes conditions que celles proposées par le tiers3.
Lorsqu’un droit de préemption a été accordé, le propriétaire du bien est obligé de soumettre au titulaire du droit de préemption une offre de vente précise avant de pouvoir vendre à un autre candidat. Ce faisant, le propriétaire ne renonce pas au droit d'exiger du preneur d’un bail à ferme, titulaire du droit de préemption, qu'il justifie d'une exploitation personnelle du bien donné en location, surtout si la notification du notaire était assortie de réserves.
Les parties sont libres de convenir des modalités concernant la notification de la vente et l’exercice du droit de préférence4. Il faut cependant savoir que si rien n’a été prévu à cet égard dans le pacte de préférence, le droit doit être exercé dans un délai raisonnable5.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Civ. Dinant (4e Ch.), 26 février 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1821.
2. Voyez : E. BEGIUN, « Droit de préemption : quelques réflexions liées à la pratique notariale », Rev. dr. rur. , 2003, pp. 85 et suivantes.
3. M. VANWIJCK-ALEXANDRE et S. BAR, « Le pacte de préférence ou le droit de conclure par priorité », in Le processus de formation du contrat, Coll. Commission Université-Palais, vol. 72, Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 133 et suivantes.
4. P. RENIERS, «Droit de préemption – Les notifications modalisées», in Les baux. Actualités législatives et jurisprudentielles, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 209 ; Mons, 14 juin 2005, J.L.M.B., 2009, p. 153; Civ. Dinant, 26 février 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1821.
5. Mons (2e chambre), 19 avril 2010, J.L.M.B., 2012/11, pp. 500-507.