Jurisprudence en droit belge - Licenciement pour motif grave - Cour constitutionnelle : Arrêt du 10 juillet 2014
Cour constitutionnelle : arrêt du 10 juillet 2014 (1/2)
1. Présentation des faits
Une ASBL notifie par lettre recommandée son intention de licencier pour motif grave un de ses employés, lequel est par ailleurs délégué du personnel effectif au conseil d'entreprise et suppléant au comité pour la prévention et la protection au travail.
Elle introduit également une requête auprès du tribunal du travail conformément à ce que prévoit l'article 4 de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel.
Le président du Tribunal du travail de Dinant constate l'absence de conciliation et autorise la suspension du contrat de travail. durant la procédure. Par la suite, l'ASBL confirme son intention de procéder au licenciement et lance une citation pour faire reconnaître la régularité du motif grave.
L'employé soulève que la procédure de licenciement est irrégulière pour non respect du délai de citation prévu par l'article 6 de la loi précitée, lequel énonce que « l'employeur qui, à l'expiration de la période de négociation, maintient sa décision de licencier doit saisir, selon les formes du référé, le président du tribunal du travail dans les trois jours ouvrables qui suivent l'échéance de la période de négociation s'il s'agit d'un candidat délégué du personnel et dans les trois jours ouvrables qui suivent le jour où le président du tribunal du travail a rendu sa décision sur l'opportunité d'une conciliation, s'il s'agit d'un délégué du personnel ».
2. Question préjudicielle
La juridiction saisie pose deux questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle :
I. « L'article 6 de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel combiné avec l'article 5, paragraphe 3, de la même loi, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme :
- en ce qu'il fait courir, pour les délégués du personnel, le délai de trois jours ouvrables pour saisir le président du tribunal du travail selon les formes du référé, à dater du jour qui suit celui où le président du tribunal du travail a rendu la décision visée à l'article 5, paragraphe 3, alors que le point de départ des délais de recours est calculé à dater de la notification (entendue comme le jour de la présentation du pli judiciaire ou du recommandé à la poste avec accusé de réception) ou de la signification d'une décision,
- en ce qu'il conditionne en conséquence le droit d'accès au tribunal au respect d'un délai dont la prise de cours correspond à une date qui n'est pas certaine ni nécessairement portée à la connaissance de son destinataire au contraire des autres délais de recours dont la prise de cours est liée à la connaissance du fait générateur du recours ? »
II. « L'article 6 de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel, combiné avec l'article 5, paragraphe 3, de la même loi viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'il fait courir, pour les délégués du personnel, le délai de trois jours ouvrables pour saisir le président du tribunal du travail selon les formes du référé, à dater du jour qui suit celui où le président du tribunal du travail a rendu la décision visée à l'article 5, paragraphe 3, soit une date qui n'est ni certaine ni portée à la connaissance de son destinataire alors que le point de départ du même délai d'action pour le candidat non élu prend cours à dater du jour qui suit l'échéance de la période de négociation prévue à l'article 5, paragraphe 1er, soit une date fixe ? »
3. Décision de la Cour constitutionnelle 1
La Cour répond qu'il y a effectivement violation des articles 10 et 11 de la Constitution combiné avec l'article 6 de la Convention européenne des Droit de l'Homme.
Elle rappelle que bien qu'il soit justifié, en matière de licenciement d'un travailleur protégé, que la période d'incertitude quant à la régularité du licenciement soit très courte, un équilibre raisonnable doit être maintenu entre, d'une part, l'objectif de célérité de la procédure et, d'autre part, les droits de la défense des parties et le droit d'accès à un juge, garantis par l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
Il découle des articles 6 et 7 de la loi du 19 mars 1991 que l'employeur n'est en réalité en mesure de prendre connaissance de la date à laquelle l'ordonnance du président du tribunal est rendue et de son contenu qu'au moment où elle lui est notifiée, soit au plus tard le troisième jour ouvrable qui suit son prononcé.
Il en résulte que le délai de trois jours ouvrables pour saisir le président du tribunal du travail commence à courir à un moment où l'employeur peut ne pas encore avoir connaissance de la teneur de la décision relative à conciliation, ou peut même être expiré avant qu'il ne reçoive la notification de cette décision. Une telle situation a pour effet de limiter de manière disproportionnée la sécurité juridique et le droit d'accès à un juge de l'employeur et partant est inconstitutionnelle.
4. Modification législative
L'article 6 devrait être modifié en ce que le délai de trois jours ouvrables dont dispose l'employeur pour saisir le président du tribunal du travail, à l'expiration de la période de négociation, court non pas à dater du jour qui suit celui où le président du tribunal du travail a rendu la décision relative à la conciliation mais à partir du jour qui suit celui où cette décision a été notifiée à l'employeur.
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1. Cour. Const., 10 juillet 2014, J.L.M.B., 2014/31, p. 1471