Le sort des travaux et constructions réalisés par le preneur à la fin du bail
Le sort des travaux et constructions réalisés par le preneur à la fin du bail
En principe, en l'absence de disposition légale spécifique, les parties peuvent librement prévoir la possibilité pour le preneur d'effectuer des travaux loués 1.
Tant que le contrat de bail n'a pas pris fin, le locataire peut librement enlever les aménagements ou constructions qu'il a réalisés dans le bien loué. S'il ne les a pas enlevés spontanément, à l'expiration du bail, c'est au bailleur qu'il appartiendra de décider du sort de ceux-ci 2.
Compte tenu de l'obligation qu'a le preneur de restituer les lieux loués dans l'état dans lequel il les a reçu, le bailleur, est, à l'expiration du contrat, en droit d'exiger la démolition des ouvrages érigés par le preneur.
Il peut toutefois décider de les conserver. Dans ce cas, il sera tenu d'indemniser le preneur 3. Le montant de cette indemnisation varie toutefois selon que les aménagements sont dissociables du fonds et dès lors susceptibles d'enlèvement, ou selon qu'ils sont incorporés au fond et donc non susceptibles d'enlèvement. A cette distinction, il y a lieu d'en ajouter une autre selon que les travaux effectués par le preneur ont été réalisés régulièrement ou non.
Les travaux susceptibles d'enlèvement sont ceux dont l'existence se conçoit indépendamment de leur réunion au bien loué, avec pour conséquence qu'il doit être possible de les enlever sans détruire la chose principale 4.
Par opposition, les travaux non susceptibles d'enlèvement sont ceux qui, par leur nature, sont indissociables au bien loué de sorte tel qu'il devient matériellement impossible de les enlever sans détruire la chose principale ou sans occasionner des travaux disproportionnés. C'est le cas, par exemple, des travaux de peinture et tapissage des murs, de pose du parquet, d'asphaltage d'une allée de jardin, ….
La régularité des travaux s'apprécie, quant à elle, par rapport à l'obligation pour le locataire d'user de la chose louée en bon père de famille et de la restituer dans l'état dans lequel il l'a reçu 5.
Les travaux réalisés par le preneur sont donc considérés comme réguliers lorsqu'ils respectent la destination du bien loué et lorsqu'il apparait que les travaux ont été réalisés par le preneur en vue de donner une valeur objective plus grande au bien loué 6.
Par ailleurs, quand bien même les travaux réalisés ne répondraient pas au critère précité, ils seront considérés comme réguliers s'ils ont été tacitement ou expressément agrées par le bailleur 7.
En pratique, pour les travaux susceptibles d'enlèvement, il n'y a pas lieu de faire de distinction selon que les travaux étaient réguliers ou irréguliers. Si les travaux ont été autorisés par le bailleur, celui-ci ne peut, sauf convention contraire, exiger leur enlèvement et, ce, en vertu du principe de l'exécution de bonne foi des conventions 8. A contrario, si les travaux n'ont pas été autorisés par le bailleur, celui-ci peut en exiger l'enlèvement aux frais du preneur, et ce qu'ils soient réguliers ou irréguliers.
Le bailleur peut néanmoins décider de les conserver, à charge pour lui rembourser le prix des matériaux et de la main d'œuvre au preneur, et ce, en vertu de l'application de la théorie de l'enrichissement sans cause 9. Le preneur aura donc droit à une indemnité égale à la plus-value apportée au bien, sans pour autant que ce montant ne puisse dépasser le montant de l'appauvrissement réel du preneur, c'est-à-dire le coût des ouvrages diminué du profit que leur jouissance lui a assuré durant le bail 10.
Pour les travaux non susceptibles d'enlèvement, il y a lieu de distinguer selon que ceux-ci sont réguliers ou non.
S'il s'agit de travaux réguliers et non susceptibles d'enlèvement, la majorité de la doctrine et de la jurisprudence estiment qu'il y a lieu d'appliquer la théorie des impenses 11. Le bailleur sera redevable envers le preneur d'une indemnité calculée en prenant en considération, d'une part, l'enrichissement dont le bailleur bénéficie, et, d'autre part, l'appauvrissement subi par le preneur. A cet égard, il y a lieu de distinguer les impenses nécessaires, utiles et voluptuaires.
Les impenses nécessaires sont les frais indispensables à la conservation de la chose tels que la consolidation d'un mur menaçant de s'écrouler, le colmatage des fuites dans un toit, etc…. Ces frais doivent être remboursés intégralement, coût des matériaux et mains d'œuvre compris, puisque de toute manière le bailleur aurait dû les exposer 12.
Les impenses utiles sont celles qui, bien que non indispensables, ont engendré une plus-value du bien (ainsi, la construction d'un étage ou d'une aile supplémentaire augmentant le volume d'une maison, l'installation du chauffage central ou d'une salle de bain). Dans ce cas, l'indemnité due par le bailleur est égale à la plus faible des deux sommes constituées, d'une part, par le prix des travaux et, d'autre part, par le montant de la plus-value.
Enfin, les impenses voluptuaires ou somptuaires sont celles qui ont accru le confort de celui qui les a faites sans pour autant être objectivement utiles au bien (ainsi, l'installation d'un câble de télévision). Dans ce cas, le bailleur n'est tenu à aucune indemnité.
Pour les travaux non susceptibles d'enlèvement et irréguliers, la sévérité doit être de mise puisque le bailleur ne les a pas autorisés et qu'il est privé, en fait, de la possibilité d'en exiger l'enlèvement. Or, la jurisprudence considère que le droit de l'occupant de procéder à des améliorations ne peut jamais aboutir, même indirectement, à créer pour le propriétaire une charge qu'il n'a pas souhaitée et qu'il n'est peut-être pas à même de supporter. En outre, les travaux ayant été effectués par le preneur dans son intérêt, il doit en supporter les conséquences et ne peut contraindre le propriétaire à lui payer une indemnité pour ces travaux 13. Il en résulte que le bailleur ne peut, dans cette hypothèse, être tenu à une quelconque indemnité 14.
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1. G. Benoît et Cie, Le droit commun du bail, La Charte, Bruxelles, 2006, p. 270.
2. Voy. A. Gosselin et L. Herve, Du sort des constructions et aménagements immobiliers réalisés par l'occupant. Aspects civils et fiscaux, Rev. Not., 2004, p. 550.
3. N. Verheyden-Jeanmart et M. Calvie, « Le sort des travaux et constructions réalisés par le preneur à la fin du bail », in La fin du bail et son contentieux, Ed. Jeune Barreau, Bruxelles, 1998, p. 127.
4. Cass., 23 décembre 1943, Pas., 1944, I, p. 123.
5. Article 1728 et 1732 du Code civil.
6. C. Renard et J. Hansenne, Les biens, la propriété des choses et les droits réels principaux, Pr. Univ. Liège, 1984, vol. II, p. 220.
7. L. Herve, « Du sort et de l'indemnisation des travaux irréguliers et non susceptibles d'enlèvement effectués par le preneur en droit commun du bail : ad huc sub judice lis est ou tempête dans un verre d'eau, J.J.P., 19997, p. 139.
8. Cass., 23 avril 1965, R.C.J.B., 1966, p. 76.
9. Cass., 18 avril 1991, Pas., 1991, I. p. 741.
10. Civ. Liège, 5 nov. 1985, J.L., 1985, p. 645.
11. Civ. Louvain, 23 mars 1988, Pas., 1988, III, p. 85 ; Civ Malines, 17 juin 1987, Pas., 1987, III, p. 19,
12. G. Benoît et Cie, Le droit commun du bail, La Charte, Bruxelles, 2006, p. 279.
13. J.P. Mouscron, 3 octobre 1994, J.J.P., 1997, p. 132.
14. Cass., 18 avr. 1991, Pas., 1991, I, p. 740.