Les troubles de voisinage
Le trouble excessif de voisinage (2/6)
Le premier élément qui fonde la théorie des troubles de voisinage est le trouble de voisinage. C'est-à-dire le fait générateur qui va créer une obligation dans le chef du voisin qui le commet. Ce trouble résulte en une atteinte au droit de jouissance qu'a un voisin sur son fonds ou son immeuble. Néanmoins, toute activité humaine exercée sur un fonds est susceptible de générer des troubles et des gênes pour le voisinage, il faut donc établir une distinction entre les inconvénients normaux que chaque voisin doit de supporter, et les troubles excessifs, c'est-à-dire ceux qui dépassent la limite des inconvénients normaux de voisinage 1. Ce sont ces troubles excessifs qui justifient l'application de la théorie des troubles de voisinage.
Suivant la Cour de cassation, le fondement de cette théorie doit être recherché dans un principe général de droit en équilibre. En effet, les voisins ont un droit égal à la jouissance de leur propriété. Ainsi, une fois les rapports fixés entre les propriétés, compte tenu des charges normales résultant du voisinage, cet équilibre ainsi établi doit être maintenu entre les droits respectifs des voisins. Il en résulte qu'une fois cet équilibre rompu par un trouble excédant la mesure des inconvénients normaux de voisinage, il y aura obligation de la part du voisin responsable de compenser 2.
Le concept de troubles de voisinage est un concept évolutif. La Cour de cassation ne définit pas ce qu'il convient d'entendre par charges normales du voisinage, ce qui est laissé à l'appréciation souveraine du juge du fond selon les circonstances de l'espèce. À titre d'illustration, ont été considérés comme des troubles excessifs le tapage nocturne résultant de l'exploitation d'un commerce, l'utilisation d'un instrument de musique, la détention de chiens de garde bruyants et dangereux ou encore la plantation d'un arbre provoquant une perte d'ensoleillement chez le voisin.
Par ailleurs, l'application de la théorie des troubles de voisinage requiert la preuve non seulement d'une rupture d'équilibre entre voisins, mais également de l'imputabilité de cette rupture au voisin poursuivi. Il s'agit d'une imputabilité objective du trouble, c'est-à-dire que le juge doit pouvoir constater que le trouble trouve son origine dans le comportement du voisin poursuivi 3. Ce comportement peut résulter d'un fait positif ou d'une omission attribuable au voisin et qui soit la cause du dommage 4.
Il faut encore qu'il existe un rapport de voisinage entre le fonds du voisin qui cause le trouble et le fonds de celui qui le subi. S'il n'est pas indispensable que les deux fonds en litige soient contigus, il faut néanmoins que ceux-ci aient une proximité suffisante entre eux 5. Cette proximité sera appréciée souverainement par le juge saisi en fonction du trouble et du cas d'espèce.
L'application de la théorie des troubles de voisinage n'est donc pas soumise à la démonstration d'une faute dans le chef du voisin. Cependant, pareil trouble peut également être causé par un fait fautif de ce voisin. Dans ce cas, la personne lésée peut agir soit sur base des troubles de voisinage, soit sur base de la responsabilité extracontractuelle, soit en cumulant les deux. Si la victime agit sur base des troubles de voisinage, elle sera dispensée de démontrer la faute de l'auteur, mais, par contre, elle devra rapporter la preuve du trouble excessif qui excède la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage et qui entraîne de ce fait une rupture de l'équilibre. Si par contre elle agit en responsabilité fautive, elle devra apporter la preuve de la faute, du dommage et du lien de causalité entre la faute et le dommage.
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1. Cass., 19 octobre 1972, Pas., 1973, I, p. 177.
2. Cass., 6 avril 1960, Pas., 1960, I, p. 915.
3. Cass., 12 mars 1999, Pas., 1999, I, p. 371.
4. Cass., 18 novembre 1999, Pas., I, p. 1519.
5. J. Hansenne, Précis, II, n° 834bis, pp. 809 et 810.