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DROIT PENAL

Abrégés juridiques

21 Février 2018

Le régime des nullités de la loi sur l’emploi des langues en matière pénale

Le régime des nullités de la loi sur l’emploi des langues en matière pénale

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La loi sur l’emploi des langues du 15 juin 1935 dispose des règles qui déterminent laquelle du français, néerlandais ou allemand est utilisée devant les cours et tribunaux et par la police, en Belgique.

En Wallonie et en Flandres, les règles sont assez simples : le français est utilisé par tous les juges en Wallonie, sauf dans les cantons germanophones où c’est l’allemand. Le néerlandais est d’usage dans les 5 provinces flamandes, soit en Flandres occidentale et orientale, à Anvers, au Limbourg, et dans le Brabant flamand (arrondissements de Louvain et de Halle-Vilvoorde).[1]

Un juge ou un policier dépendant d’une province flamande doit utiliser le néerlandais. Un magistrat ou un inspecteur de police de Namur, du Hainaut, du Brabant wallon ou du Luxembourg ne peut s’exprimer qu’en français, à peine de nullité de l’acte qu’il prendrait en contravention avec cette règle.

Le principe d’une langue devant les juges des cours et tribunaux et les magistrats du parquet par région linguistique connaît des dérogations, lorsque le suspect, l’inculpé ou le prévenu fait une demande de changement de langue. Cette requête doit être actée soit par le parquet, soit par le juge d’instruction et le changement peut être accordée ensuite par le Ministère public ou par le juge du fond du dossier. Un appel en cas de refus du tribunal de police ou d’une chambre correctionnelle du tribunal de première instance d’accorder le renvoi de l’affaire vers un juge de la langue demandée est toujours possible.

A Bruxelles, la législation est plus compliquée[2].

Les procès-verbaux rédigés par la police dans une des 19 communes de la région de Bruxelles-Capitale ([3]) peuvent être rédigés en français ou en néerlandais selon la langue utilisée par le magistrat en charge de l’affaire ou selon celle des enquêteurs tant qu’aucun suspect n’a été entendu.

En effet, le procès-verbal d’audition d’un suspect doit être rédigé en français ou en néerlandais, selon le choix du suspect qui y est entendu, peu importe où ce dernier est domicilié [4].

« Le procès-verbal sera nul dans son ensemble, quant à la forme et quant au contenu, s’il a été rédigé dans une autre langue que celle choisie par le contrevenant pour ses déclarations…»[5]

La règle est un peu différente pour déterminer la langue de la procédure utilisée par les magistrats.

Les magistrats du parquet de Bruxelles peuvent utiliser le français ou le néerlandais. Par contre, les juges des tribunaux francophones de Bruxelles doivent s’exprimer uniquement en français. Et ceux des tribunaux néerlandophones ne peuvent utiliser que le néerlandais.

Le jugement rédigé en français partiellement ou totalement par un juge dépendant d’un tribunal néerlandophone s’avérera nul[6].

Les enquêtes ouvertes par le Parquet de Bruxelles peuvent se faire soit en français, soit en néerlandais selon les nécessités de la cause (langue utilisée par les enquêteurs ou celle du magistrat en charge de l’affaire) jusqu’à ce que le suspect soit auditionné.

L’article 16 alinéa 1er de la loi impose le français si le suspect est domicilié en Wallonie (cantons germanophones compris) et détermine le néerlandais lorsqu’il est inscrit sur les registres de la population en Flandres (arrondissement de Halle-Vilvoorde (dans les communes à facilités également) ou de Louvain).  Ainsi le francophone domicilié à Tervuren ou à Linkebeek pourra s’exprimer en français au commissariat de police lorsqu’il sera entendu comme suspect mais se verra imposer le néerlandais comme langue de la procédure devant le juge correctionnel bruxellois dès lors que son domicile est inscrit en Flandres. Il en est de même pour le néerlandophone domicilié à Waterloo qui se verra imposer le français devant le tribunal de police de Bruxelles alors même qu’il a choisi le néerlandais lorsqu’il a été entendu par la police.

Ce n’est que s’il est domicilié dans la région bruxelloise que le choix de la langue du suspect s’impose comme celle de la procédure.

Ainsi, une enquête menée en néerlandais par un juge d’instruction du tribunal néerlandophone devra être renvoyée finalement à un homologue du tribunal francophone si le suspect domicilié à Bruxelles fait le choix du français lorsqu’il se fait entendre par la police.

Dans les autres cas, lorsqu’il n’a pas de domicile en Belgique, la langue sera déterminée selon les nécessités de la cause.  Par exemple, le rotterdamois néerlandophone interpellé à Bruxelles pourra utiliser le néerlandais dans le cadre de son audition mais n’aura pas la garantie d’être jugée dans cette langue dès lors qu’il n’a pas de domicile à Bruxelles.

Ces règles trouvent évidemment une possibilité de dérogation par la voie de la demande de changement de langue de la procédure qui peut être faite devant les magistrats du Parquet et les juges d’instruction ainsi que devant les tribunaux correctionnels et de police à Bruxelles par tout prévenu peu importe où il est domicilié.

Ce changement s’impose dès l’instant où celui qui le demande maitrise suffisamment la langue qu’il choisit.

Ainsi un étranger qui souhaite être jugé en français mais ne le parle pas très bien, se verra refuser sa demande de modification de la langue de la procédure du néerlandais vers le français.

Par ailleurs, si d’autres suspects s’opposent à la demande de changement de langue ou qu’ils ont fait choix de l’autre langue possible à Bruxelles, la langue de la procédure initiale restera inchangée[7].

Une autre exception a été introduite lors de la dernière réforme de la loi uniquement à Bruxelles : En cas d’urgence, lorsque le suspect reste détenu préventivement par exemple, le juge d ’instruction peut maintenir la langue initiale de la procédure jusqu’à ce que l’affaire soit portée devant la juridiction de jugement.

Tout jugement doit indiquer les articles de la loi sur l’emploi des langues sur base desquelles il s’est fondé.

Toutes ces règles sont prescrites à peine de nullité par l’article 40 de la loi. « La nullité sanctionnant une violation de la loi du 15 juin 1935 s’étend à l’intégralité de l’acte déclaré nul, et entache donc tant la forme que le contenu. Elle rejaillit sur tout ce qui a suivi cet acte dans le déroulement de la procédure [8]».

Tel est donc le cas d’une décision d’un juge qui n’est pas entièrement rédigée dans la langue requise[9].

Cependant, ici aussi, la loi a prévu une exception : « Tout jugement ou arrêt contradictoire, qui n’a donc pas été rendu par défaut, et qui n’est pas purement préparatoire couvre la nullité des actes de procédure qui l’ont précédé et qui auraient été accomplis en méconnaissance de la loi de 1935. … Le législateur ayant voulu éviter que le plaideur de mauvaise foi ne puisse en tirer profit à la fin du procès[10]»

Ainsi, s’il existe une violation de la loi sur l’emploi des langues et qu’elle n’a pas été soulevée au moment du maintien de la détention préventive ou du règlement de la procédure et que cette juridiction d’instruction ne la soulève pas d’office, le prévenu ne pourra plus l’invoquer devant le tribunal correctionnel dès lors que la nullité aura été ainsi couverte[11].

 

 

 

                                                                     Xavier VAN DER SMISSEN

                                                                                          Avocat au Barreau de Bruxelles

                                                                                          Spécialiste en droit pénal

                                                                                          www.avocat-xavier-vandersmissen.be

 

 

____________ 

[1] B. VANLERBERGHE, « De Hervorming van het gerechtelijk arrondissement Brussel”, Rechtskundig Weekblad, nr.43, 22 juni 2013, pages 1689 et suivantes.

[2] B. VANLERBERGHE, o.c., page 1690.

[3] À savoir : Bruxelles, Laeken, Neder-Over-Hembeek, Haeren, Schaerbeek, Evere, Woluwé-Saint-Lambert, Woluwé-Saint-Pierre, Auderghem, Etterbeek, Ixelles, Jette, Watermael-Boisfort, Uccle, Saint-Gilles, Forest, Anderlecht, Molenbeek-Saint-Jean, Koekerlberg, Berchem-Saint-Agathe ou Ganshoren

[4] selon l’article 11 alinéa 2 de la loi sur l’emploi des langues

[5] F. GOSSELIN,  L’emploi des langues dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, Régime actuel et futur de la loi du 15 juin 1935, Kluwer, p.131, n°221

[6] F. GOSSELIN, L’emploi des langues dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, Régime actuel et futur de la loi du 15 juin 1935, Kluwer, pp.28 et suivantes.

[7] Cass. 1er mars 1988, RG 599.

[8] F. GOSSELIN, o.c., n°288, p.167.

[9] F. GOSSELIN, o.c., n°288, p. 167 et Cass, 14 avril 2000, J.T., 2001, p. 75.

[10] F. GOSSELIN, o.c., n°290, p.169.

[11] F. GOSSELIN, o.c., n°291, p. 170 ; B DE JEMEPPE, « L’emploi des langues dans la justice pénale après la sixième réforme de l’Etat », pp 176 et suivantes, in BOUIOUKLIEV, I et consorts, La théorie des nullités en droit pénal, Anthemis, pp. 176 et suivante ; Cass. 20 avril 1994, Rev. dr. Pén., 1994, p.1018 ; D VANDERMEERSCH, « La purge des nullités et le règlement de la procédure », p. 104, in BOUIOUKLIEV, o.c. ; D. DE BECO, « Les actes d’instruction prescrits à peine de nullité », pages 140-141, in BOUIOUKLIEV, o.c.