L'agent immobilier qui commet un manquement à son devoir de conseil en ne vérifiant pas la conformité du bien avec la législation en matière d'urbanisme
Présentation des faits 1
Par un contrat datant du 18 août 2005, Monsieur R. et Madame A. ont confié à la Société S. la mission de vendre leur appartement situé à Saint-Gilles. Il était prévu, dans ce contrat, que les époux souhaitaient vendre le bien pour la somme de 180.000 euros, et que l’agence immobilière pouvait diminuer le prix jusqu’à 166.000 euros.
Quant à la rémunération, une commission égale à trois pourcent du prix de la vente était prévue et devait être payée au moment de la signature du compromis de vente.
Le 29 octobre 2005, Monsieur C. a fait une offre de 168.000 euros, laquelle a été acceptée par les vendeurs. Un projet de compromis de vente a par la suite été réalisé, pour finalement être signé le 4 novembre.
Toutefois, lors de la préparation de l’acte authentique de vente, il s’est avéré que le bien n’était en réalité pas conforme aux lois et règlements en matière d’urbanisme. Par conséquent, les vendeurs et les acheteurs ont décidé, de manière orale, de résilier la vente.
L’agence immobilière a tout de même demandé aux vendeurs de lui payer sa commission, puisqu’elle considère que la vente s’est réalisée. Elle a par la suite introduit une action en justice tendant à condamner les vendeurs au payement de sa commission.
Monsieur R. et Madame A., les vendeurs, considèrent quant à eux qu’ils ne doivent pas payer la commission puisque le contrat prévoyait l’exclusion du payement de la commission lorsque l’agence immobilière commettait une faute, ce qu’ils estiment être le cas en l’espèce. La clause suivante avait en effet été insérée dans le contrat en son article 6: « Au cas où la vente ne serait pas réalisée ou serait réalisée par le propriétaire lui-même, celui-ci ne serait redevable d’aucun frais envers la S. SPRL ».
Par ailleurs, il est utile de noter que l’agence immobilière a apporté des modifications au projet de compromis de vente, et ce au dernier moment. Notamment la clause suivante a été insérée dans le projet de compromis : « les vendeurs déclarent avoir obtenu toutes les autorisations nécessaires pour les constructions qu’ils auraient fait érigés (sic) et garantissent la destination, l’affectation et la conformité du bâtiment au regard de la législation urbanistique en vigueur et qu’aucune infraction urbanistique ne leur a été signifiée ».
L’agence immobilière considère qu’elle n’a pas commis de faute en insérant cette clause dans le projet de compromis. Elle a également rappelé que lorsque les vendeurs avaient acheté le bien en novembre 2000 ils avaient eux-mêmes bénéficié d’une telle clause de garantie.
Décision du Tribunal
Le Tribunal considère que c’est à tort que les vendeurs appliquent l’article 6 au cas d’espèce et considèrent ainsi qu’aucune commission n’est due dès lors que la vente ne s’est pas concrétisée. En effet, conformément à l’article 1583 du Code civil, la vente est conclue et existe dès qu’un accord intervient sur la chose et le prix. A cet égard, il est sans incidence qu’une clause ait été prévue dans le contrat selon laquelle le transfert de propriété n’interviendra que plus tard, par exemple au moment du paiement du prix. La rédaction d’un compromis de vente et d’un acte authentique de vente est également sans incidence sur cette règle, puisque la rédaction d’un compromis de vente n’est pas obligatoire et que l’acte de vente n’est rédigé que pour des raisons de publicité et d’opposabilité aux tiers 2, ainsi que parce que le montant en question est supérieur à 375 euros 3.
En l’espèce, le Tribunal constate que l’accord sur la chose et le prix est intervenu à la fin du mois d’octobre puisqu’à cette date, Madame A. a signé deux documents « pour accord ». Par conséquent, à ce moment-là, la vente était conclue et la commission due.
Concernant la faute commise par l’agence immobilière, le Tribunal ne suit pas l’argument de l’agence immobilière et constate qu’en l’espèce celle-ci avait visité l’appartement de Monsieur R. et Madame A. et avait dû constater la présence d’une salle de bain au sous-sol. Dès lors qu’il existe des normes minimales en matière d’éclairement naturel, la Société S. aurait dû se poser la question de sa régularité.
En outre, le Tribunal observe qu’en faisant appel à une agence immobilière, les vendeurs voulaient bénéficier des conseils d’un professionnel, et que la Société S. a aggravé l’obligation de garantie de ses propres clients en prévoyant une telle clause dans le projet de compromis de vente. L’agence immobilière a manqué à son devoir de conseil en ne se renseignant par sur la régularité du bien avec les normes urbanistiques en la matière. C’est pourquoi le Tribunal décide que la Société S. ne peut pas réclamer le paiement de la commission.
Bon à savoir
L’agent immobilier est tenu à une obligation d’information. Cette dernière se divise en deux types d’obligations, à savoir une obligation générale d’information 4 et une obligation spécifique en matière d’urbanisme 5.
Selon l’article 12 du Code de déontologie des agents immobiliers, « l’agent immobilier réclamera à son commettant les documents et informations nécessaires à la réalisation de sa mission et procédera si nécessaire et dans la mesure de ses possibilités aux vérifications adéquates, de manière à lui permettre notamment de transmettre une information fiable aux personnes concernées par ladite mission. Il précisera, s’il y a lieu, les réserves sur les points à propos desquels il ne peut obtenir d’informations. Il informera son commettant de tout nouvel événement dont il a connaissance et susceptible d’avoir une incidence sur les droits et obligations de ce dernier ».
L’article 53 du même Code prévoit par ailleurs que « l'agent immobilier courtier ne peut, dans sa publicité et ses annonces, induire en erreur les personnes sur la disponibilité et les caractéristiques essentielles des biens qu'il présente ».
Sur base de cet article 53, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a notamment retenu la responsabilité aquilienne de l’agent immobilier qui n’avait pas renseigné l’acquéreur de manière adéquate à propos de la superficie du bien 6.
Quant aux informations urbanistiques, l’obligation d’information repose non seulement sur l’agent immobilier mais, également, sur le vendeur. Dans ce cas, l’obligation de l’agent immobilier est une obligation personnelle de source légale, et non de source déontologique. Il est également utile de noter que l’agent immobilier peut voir sa responsabilité engagée non seulement envers son commettant mais, également, envers le candidat acquéreur 7.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Civ. Bruxelles (8e ch.), 16 janvier 2009, J.L.M.B.., 2010, liv. 28, p. 1331.
2. Voy. Art. 1er de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851.
3. Voy. Art. 1341, alinéa 1er, du Code civil.
4. Voy. Art. 12 et 53 du Code de déontologie de l’Institut professionnel des agents immobiliers.
5. Voy. les réglementations régionales en la matière.
6. Civ. Bruxelles, 21 septembre 2010, R.G.A.R., 2011, n° 14782.
7. G. Carnoy, « La responsabilité de l’agent immobilier », in G. Carnoy, A. Delvaux, J.-L. Fagnart, C. Mélotte, C. Mostin et R. Simar, Responsabilité des intervenants de l’immobilier, 2015, Limal, Anthemis, p. 101.