L'ajout de mentions manuscrites dans le compromis de vente
Présentation des faits 1
Le 28 février 2008, un couple a vendu à des acquéreurs pour le prix de 175.000 euros le bien suivant : « Commune de A. (...) partie à définir comme solde nord de la parcelle, à quatre mètres du pignon nord de l'habitation et parallèle à celui-ci comme délimité au plan annexé. Le vendeur jouira de l'espace compris entre la nouvelle limite en rapport avec la façade (4 mètres) et la haie existante, parallèle audit pignon, située au nord de la parcelle durant maximum dix-huit mois à dater de la présente. En cas de vente de l'habitation avant ce délai, le terrain sera libéré, au plus tard au jour de la signature de l'acte. Les acquéreurs considèrent cette partie comme intégrante au périmètre du futur lotissement ».
Un acompte de 10.000 euros a été payé à la signature du compromis de vente et l'acte authentique de vente devait être signé dans les quatre mois.
Le 24 avril 2008, l'avocat des époux a écrit aux acquéreurs que la convention de vente était « totalement incompréhensible et illisible », que son client avait voulu laisser un dégagement à l'arrière de sa maison lui permettant de garder les haies existantes et qu'une convention claire et précise devait être mise au point.
Le notaire des acquéreurs a répondu que le compromis de vente ne lui paraissait ni incompréhensible ni illisible, que certaines mentions avaient été ajoutées à la main mais que chaque page était paraphée par les parties et que le document était signé avec la mention « lu et approuvé », que le plan annexé au compromis était clair et qu'il n'avait jamais été question de déplacer la limite.
La date de passation de l'acte authentique de vente a été fixée le 26 juin 2008 mais les vendeurs ont refusé de signer l'acte, malgré les courriers adressés tant aux vendeurs qu'à leur notaire et la lettre de mise en demeure qui leur a été adressée le 19 septembre 2008. Les acquéreurs ont fait enregistrer le compromis de vente le 27 juin 2008 et ont acquitté les droits d'enregistrement.
Ultérieurement, les acquéreurs ont décidé de poursuivre l'exécution de la vente par voie judiciaire. Pour s'opposer à la demande des acquéreurs, les vendeurs ont fait valoir que la convention sous seing privé de vente est nulle pour dol ou à tout le moins pour erreur sur la qualité substantielle de la chose vendue.
Décision de la Cour d'appel de Liège
Les vendeurs affirment que les manœuvres dolosives constitutives du dol ont consisté à leur faire croire que le compromis de vente signé le 28 février 2008 n'était qu'un brouillon et qu'un rendez-vous était fixé au mardi suivant sa signature afin de définir la limite du bien vendu et les quatre mètres que prévoyait le projet d'acte.
La Cour observe que l'original du compromis de vente mentionne : « à remettre au propre ». Cette mention est toutefois biffée, suivie de « Rendez-vous mardi 4/ 08 heure à définir ».
Selon les acquéreurs, cette mention manuscrite a été ajoutée car ils désiraient demander à leur notaire si la convention de vente du 28 février 2008 devait être entièrement dactylographiée. Le notaire a confirmé que les acquéreurs ont présenté à son étude un exemplaire de l'acte sous seing privé de vente et que le collaborateur s'occupant du dossier leur a confirmé que le document ne devait pas être nécessairement remis au propre de manière entièrement dactylographiée dès lors qu'il contenait les mentions légales requises. Le rendez-vous envisagé le mardi 4 mars 2008 à une heure à définir n'aurait alors pas été maintenu selon les acquéreurs.
La Cour d'appel de Liège considère que, puisque les parties admettent qu'elles s'étaient déjà rencontrées à plusieurs reprises avant la signature de l'acte sous seing privé de vente, il faut raisonnablement considérer qu'elles avaient déjà discuté de leurs intentions respectives quant à la vente envisagée. Dans ce contexte, il est peu crédible, qu'en date du 28 février 2008, un rendez-vous ait été fixé ultérieurement pour examiner les lieux et de fixer la limite latérale du bien vendu.
En effet, les limites du bien vendu ont été fixées clairement dans le compromis de vente par le biais d'une clause paraphée par les parties. Le compromis de vente a également été signé par les parties avec la mention « lu et approuvé » et le plan joint, qui représente la limite du bien vendu à proximité directe du mur pignon des vendeurs, également.
Il en découle selon la Cour que les vendeurs n'ont pas pu se méprendre comme ils l'affirment sur la portée du document qui leur était soumis et les manœuvres dolosives dont ils se plaignent ne sont pas démontrées.
Par aillleurs, la Cour constate que les parties se sont mises d'accord sur l'objet vendu et sur le prix, ainsi qu'en atteste la signature du compromis de vente. La circonstance que des mentions manuscrites ont été ajoutées ne permet dès lors pas de considérer que les vendeurs ont légitimement pu croire qu'il ne s'agissait que d'un brouillon. Ils ont paraphé toutes les clauses, signé la convention et le plan joint et ils ont accepté le paiement d'un acompte de 10.000 euros.
Il en résulte que le dol allégué par les vendeurs n'est pas établi. La Cour d'appel condamne donc les vendeurs à passer l'acte authentique de vente.
Bon à savoir
La vente est un contrat consensuel. Plus précisément, la vente est parfaite dès que les parties ont échangé leur consentement respectif sur la chose vendue et le prix 2.
Comme tout contrat, la vente est soumise aux conditions de validité que sont le consentement et la capacité des parties ainsi que l'objet et la cause de la convention. A cet égard, le Code civil prévoit plusieurs vices de consentement : le dol, l'erreur, la lésion qualifiée, la lésion énorme qui elle, est propre à la vente immobilière, et la violence 3.
Le dol se caractérise par l'usage de manœuvres frauduleuses dans le but de tromper le cocontractant. Il comporte donc un élément matériel : des manœuvres qui peuvent être une réticence dolosive, et un élément intentionnel à savoir la volonté de tromper 4. Il en découle que le dol suppose des manœuvres d'une des parties qui vont créer l'erreur dans le chef de l'autre partie 5.
Par conséquent, lorsque le vendeur et l'acquéreur se sont mis d'accord sur l'objet du bien vendu et sur le prix, la circonstance que des mentions manuscrites ont été ajoutées sur le compromis de vente dactylographié ne permet pas de considérer que les vendeurs ont pu croire qu'il ne s'agissait que d'un brouillon, spécialement lorsque ceux-ci ont paraphé toutes les clauses, signé la convention et le plan joint et ont accepté le paiement d'un acompte sur le prix 6.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Liège, 23 janvier 2012, J.L.M.B., 2013/41, p. 2079.
2. Article 1583 du Code civil.
3. Article 1109 du Code civil.
4. Voy. B. Kohl, La vente immobilière – Chronique de jurisprudence 1990-2010, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 114.
5. P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, t. I, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 254.
6. Liège, 23 janvier 2012, J.L.M.B., 2013/41, p. 2079.