La prise en charge des honoraires de l'agent immobilier par l'acheteur
Présentation des faits 1
Une dame confie à une agence immobilière le soin de trouver un acquéreur pour le bien immobilier dont elle est propriétaire, pour un prix minimum de 260.00 euros. Une commission de 5 % du prix, payable à la signature de l'acte authentique, est prévue en faveur de l'agence immobilière.
Un candidat acquéreur fait une offre d'achat de 255.000 euros, laquelle est refusée par la vendeuse. Cinq mois plus tard, ce même candidat reformule une offre d'achat d'un montant identique à la première. Dans cette offre, il s'engage toutefois à prendre en charge la commission de l'agent immobilier. Cette offre est acceptée.
Après la passation de l'acte authentique, l'agence immobilière met en demeure l'acheteur de lui payer sa commission conformément à ce qui avait été prévu dans l'offre d'achat. L'acheteur ne s'exécutant pas, l'agence immobilière agit en justice.
En première instance, le juge condamne l'acquéreur à verser à l'agence immobilière la somme de 12.100 euros à titre de commission de courtage, majorée des intérêts de retard calculés à compter de la date de la passation de l'acte authentique. L'acheteur fait appel.
Décision de la Cour d'appel de Bruxelles
La Cour constate que l'offre d'achat émise par l'acquéreur contenait un engagement à prendre en charge la commission de l'agent immobilier. Cet engagement constitue une modalité du paiement du prix de la vente.
La Cour relève que l'offre a toutefois été émise dans un rapport contractuel étranger à l'agence immobilière puisqu'elle a été émise dans l'offre d'achat adressée par l'acquéreur à la vendeuse. En réalité un tel engagement doit être considéré comme une stipulation pour autrui au regard des différents éléments constitutifs de la stipulation pour autrui.
En effet, la volonté de l'acquéreur de prendre en charge la commission de l'agence résulte de l'offre qu'il a signé, l'agence immobilière est bien tiers à la vente immobilière puisqu'elle s'est contentée de mettre les protagonistes en relation, la stipulation en faveur de l'agence est accessoire à la vente et enfin le droit de créance stipulée en faveur de l'agence n'existait pas avant l'offre dans laquelle il a été stipulé.
Par conséquent, l'acceptation de l'offre a fait entrer cette stipulation pour autrui dans le champ contractuel.
L'agence immobilière, bénéficiaire de la stipulation pour autrui, étant tiers au contrat de base, peut apporter la preuve et l'existence de la stipulation pour autrui par toutes voies de droit. La Cour constate, au regard de ce qui précède, qu'une stipulation pour autrui existe bien en faveur de l'agence immobilière. Elle condamne donc l'acquéreur à verser à l'agence immobilière sa commission conformément à ce dont il s'était engagé dans l'offre d'achat.
Bon à savoir
La stipulation pour autrui, prévue à l'article 1121 du Code civil se définit comme une opération triangulaire dans laquelle une personne, le promettant, s'engage envers une autre personne, le stipulant, à faire naître un droit de créance au profit d'une tierce personne, étrangère au contrat, dénommée tiers bénéficiaire 2. Il s'agit d'une dérogation à la relativité de l'effet interne des conventions puisque le tiers bénéficiaire va tirer un droit de l'effet interne d'une convention à laquelle il n'est pas partie 3.
En pratique, les parties à un contrat de vente d'immeuble peuvent prévoir dans leur contrat une stipulation pour autrui en faveur de l'agent immobilier, en vertu duquel l'acquéreur s'engage à prendre en charge la commission de l'agent immobilier en lieu et place du vendeur.
Les conditions de la stipulation pour autrui sont au nombre de quatre :
- Le stipulant doit être animé de la volonté de créer un droit direct au profit d'un tiers bénéficiaire. Cette volonté doit également exister dans le chef du promettant, puisque la stipulation pour autrui se greffe sur un contrat 4;
- Le bénéficiaire du droit doit être un tiers à la convention et il doit être déterminé ou déterminable, tel est le cas par exemple de l'agent immobilier ;
- La stipulation pour autrui doit revêtir un caractère accessoire par rapport au contrat de base 5. Par conséquent, la nullité ou la résolution du contrat de base entraîne la dissolution de la stipulation pour autrui 6;
- Le droit né de la stipulation pour autrui ne peut préexister vis-à-vis du promettant avant l'opération qui le constate 7.
L'effet essentiel de la stipulation pour autrui est de créer un droit de créance direct, propre et immédiat contre le promettant dans le chef du bénéficiaire 8. Ce droit existe indépendamment de toute acceptation par le tiers bénéficiaire.
La stipulation pour autrui peut cependant être révoquée aussi longtemps que le tiers n'a pas déclaré vouloir en bénéficier 9.
Le tiers bénéficiaire, étant tiers au contrat de base, il peut apporter la preuve et l'existence de la stipulation pour autrui par toutes voies de droit. Les articles 1341, 1325 et 1326 du Code civil en matière de preuve ne lui est donc pas applicable.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Bruxelles, 5 novembre 2014, R.G. n°2012-AR-722.
2. P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, Bruylant, Bruxelles, 2010, p. 664.
3. S. Bar, « La stipulation pour autrui », in La théorie générale des obligations, Formation Permanente CUP, Liège, 2002, p. 251.
4. Cass., 27 octobre 1971, Pas., I., 1972, p. 175.
5. Article 1121 du Code civil.
6. P. Wéry, La théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 880.
7. Cass. 9 mai 1912, Pas., 1912, I, p. 242.
8. Cass., 2 mai 1930, Pas., I, p. 193.
9. Cass., 13 janvier 1967, Pas., I, p. 571.