Pratiques déloyales à l'égard d’agences immobilières via Google AdWords
Présentation des faits
Depuis de nombreuses années, la société Google a développé un programme d’annonces publicitaires dénommé « AdWords ». Ce programme fonctionne en corrélation avec les mots-clés introduits dans le moteur de recherche. Les annonceurs doivent évidemment payer pour que leurs annonces apparaissent.
Dans le cas présent, plusieurs agences immobilières nous ont contactés pour nous déclarer qu’Immoweb achèterait des mots-clés correspondant aux noms de plusieurs agences immobilières.
Il apparaitrait que l’objectif est de faire en sorte que, lorsque l’internaute tape le nom d’une agence, il voit apparaître en haut de la page de recherche l’annonce d’Immoweb. Ainsi, lorsque l’on tape le nom d’une agence immobilière sur Google, par exemple Immokasa1, le site de l’agence apparaît en dessous de l’annonce d’Immoweb.
L’inconvénient pour les agences immobilières est que l’internaute, qui représente un client potentiel, risque d’être dirigé vers une autre agence qui collabore avec Immoweb.
Bon à savoir
Eu égard aux déclarations émises par ces agences, ce type de pratique risque de constituer une atteinte aux marques dont sont titulaires les agences immobilières, dont les noms sont utilisés par Immoweb 2. Ces agences peuvent interdire à tout tiers de faire usage de leur marque sans leur consentement et exiger la réparation du préjudice subi 3.
Cependant, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt dans lequel elle relativise cette faculté. Selon la Cour, le détenteur d’une marque ne saurait s’opposer à l’usage d’un signe identique à la marque, si cet usage ne cause pas de dommage, s’il n’est pas susceptible de porter atteinte à aucune des fonctions de celle-ci. La Cour poursuit en précisant que le titulaire d’une marque est habilité à interdire ce genre de publicité, lorsque ladite publicité ne permet pas ou difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers 4. Or en l’espèce, l’internaute peut s’apercevoir facilement qu’il ne consulte pas le site propre de l’agence dont il a tapé le nom dans le moteur de recherche.
Si les agences immobilières ne peuvent se retourner contre Google, elles pourraient agir contre Immoweb sur base du droit relatif aux pratiques du marché et à la protection du consommateur. En effet, cette branche juridique interdit « tout acte contraire aux pratiques honnêtes du marché par lequel une entreprise porte atteinte ou peut porter atteinte aux intérêts professionnels d’une ou de plusieurs autres entreprises » 5. La perte de clients potentiels peut constituer une atteinte aux intérêts professionnels des agences immobilières, qualifiée de détournement de clientèle. Ce détournement est interdit lorsqu’il crée ou entretient la confusion entre les sites internet d’entreprises concurrentes 6.
Ces agences pourraient agir devant le président du tribunal de commerce compétent pour obtenir la cessation de cette pratique par Immoweb 7. En cas de détournement illicite, l’action en cessation qui peut être intentée ne peut porter que sur les circonstances illicites du détournement (la confusion créée) et pas sur le détournement, qui n’est pas en soi illicite 8. Par ailleurs, les agences immobilières sont fondées à demander une indemnisation pour les dommages résultant de ces pratiques déloyales 9.
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1. Source : l'émission "On n'est pas des pigeons" du 05.06.2014.
2. Tribunal du commerce de Liège, 18 avril 2008, Ing.-Cons., 2008, pp. 402 à 410.
3. Articles 2.20 et 2.21 de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles), faite à La Haye le 25 février 2005.
4. Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 23 mars 2010 (affaires jointes C‑236/08 à C‑238/08).
5. Article VI.104 du Code de droit économique qui entrera en vigueur le 31 mai 2014.
6. Président du Tribunal de commerce de Courtrai, 19 mai 2008, R.D.C., 2009, p. 923.
7. Appel Bruxelles, 21 avril 2010, non publié.
8. J. Ligot, F. Vanbossele et O. Battard, Les pratiques loyales, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 163.
9. J. Ligot, F. Vanbossele et O. Battard, op. cit., p. 315.