L'acceptation de l'offre de vente immobilière et la contre-proposition
Présentation des faits 1
Une personne offrait en location un rez-de-chaussée commercial. Elle était également propriétaire, dans le même immeuble, d'un premier étage à usage de bureaux donné en location et effectivement occupé à titre principal par un architecte et sous-loué pour partie à une agence matrimoniale. Ce bail des bureaux du premier étage avait pris effet le 1er février 1985, pour une durée de neuf ans, et avait été renouvelé par tacite reconduction pour des durées de neuf ans les 1er février 1994 et 1er février 2003.
Par la suite, un homme H.L. s'est intéressé aux deux biens, en vue d'une acquisition de ceux-ci, libres d'occupation, pour deux sociétés d'agence de travail intérimaire où il avait des intérêts. Des négociations ont été entreprises à cet égard.
Le 13 juin 2003, le fils du vendeur, notaire de son état, a adressé aux sociétés un projet de compromis sous seing privé de la vente, lequel prévoyait notamment la condition suspensive que le vendeur obtienne la libération de l'entièreté du premier étage avant la signature de l'acte authentique. Ce projet dactylographié ne portait aucune signature.
Le 19 juin 2003, le conseil des sociétés, en possession du projet de compromis de vente, a envoyé un courrier dans lequel il a noté le souci du notaire à obtenir une preuve écrite d'une acceptation de ses clientes et il a indiqué que « La vente pourra donc être considérée comme parfaite à bref délai ... même s'il sied d'encore préciser qui va en définitive acquérir le bien ... C'est une question de quelques heures, peut-être de quelques jours ... »
Le 26 juin 2003, le conseil des sociétés a adressé son propre projet de compromis de vente, indiquant comme acquéreur une des sociétés d'agence, sans porte-fort d'H.L., et modifiant, notamment, la durée de la réalisation de la condition suspensive de libération de l'entièreté du premier étage et soumettant la caducité due à une absence de réalisation de la condition suspensive, même sans faute du vendeur, à sanction financière du vendeur.
Le projet mentionnait que le vendeur s'engageait à fournir une lettre d'accord des occupants du premier étage sur la libération de celui-ci, dans le mois. A défaut, l'acquéreur aurait le choix soit de réputer la vente nulle et non avenue et de demander la restitution de l'acompte en plus de l'équivalent à titre de dommages et intérêts forfaitaires, soit de poursuivre l'exécution forcée.
Le 9 juillet 2003, le locataire du 1er étage a écrit au vendeur qu'il n'avait aucunement l'intention de mettre fin au bail commercial. Le 11 juillet 2003, le vendeur a dès lors indiqué aux sociétés acquéreuses qu'il mettait fin aux négociations et pourparlers et il leur a adressé copie de la lettre de refus de résiliation du locataire occupant le premier étage.
Le 12 septembre 2003, le vendeur a donné à bail à une société d'assurance, le rez-de-chaussée de l'immeuble.
Les sociétés acquéreuses ont dès lors introduit une action en justice au motif qu'il existait un contrat de vente d'immeuble parfait entre elles et le vendeur. En première instance, elles ont demandé la passation forcée de l'acte authentique. Le tribunal les a cependant déboutées de leur demande et les a condamnées à 2.000 euros de dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire.
Les sociétés ont fait appel de ce jugement et réclament désormais, à titre principal, la résolution d'un contrat de vente parfait aux torts du vendeur ainsi que des dommages et intérêts.
Décision de la Cour d'appel de Liège
La Cour constate, dans un premier temps, qu'aucun compromis de vente sous seing privé n'a été signé par les parties.
Les sociétés acquéreuses prétendent toutefois apporter la preuve de la conclusion d'un contrat parfait par l'échange d'une offre faite par le vendeur et l'acceptation de celle-ci par la société acheteuse.
A cet égard, la Cour estime que le projet de compromis de vente d'immeuble adressé le 13 juin 2003 ne constitue qu'un projet préparatoire à un contrat écrit. Un tel écrit peut, néanmoins, dans certains cas, être analysé comme une offre de contrat, engageant le vendeur, et susceptible de former un contrat de vente.
En l'espèce, cette offre de vente formulée dans le projet de compromis, était faite à une des sociétés d'agence pour laquelle agissait H.L., lequel déclarait faire l'acquisition au nom de ladite société ou de toute autre personne morale et/ou personne physique désignée par lui, promettait ratification et se portait fort.
La Cour indique que l'acceptation de cette offre, telle que formulée par le vendeur, aurait eu pour effet, si sa preuve en est rapportée, de rendre la vente parfaite au jour de cette acceptation. Cependant, la lettre du 19 juin 2003 rédigée par le conseil des sociétés ne contient pas acceptation de l'offre de vente et ne peut donc valablement former contrat de vente. En effet, les termes utilisés sont incompatibles avec ceux d'une acceptation de l'offre, mais démontrent qu'il s'agit d'une lettre d'intention, laquelle n'oblige pas son auteur à conclure un contrat. La lettre d'intention n'oblige en effet son auteur qu'à mener des pourparlers sérieux et à ne pas les rompre de manière abusive.
En outre, la Cour constate que, le 26 juin 2003, le conseil des sociétés a envoyé au vendeur un projet de compromis d'achat qui se différencie de l'offre du vendeur en ce qu'il indique comme acquéreur une des sociétés sans porte-fort d'H.L. et qui contient des modifications, notamment de la condition suspensive de la vente imposant au vendeur la libération du premier étage par ses locataires.
Ce compromis d'achat doit s'analyser non pas comme une acceptation de l'offre de vente mais une contre-proposition. En effet, une condition suspensive à une vente d'immeuble est un élément essentiel, de sorte qu'une modification importante de la condition suspensive dans une contre-proposition d'achat requiert l'acceptation expresse du vendeur pour former, avec cette acceptation, un contrat liant les parties.
Or, la Cour constate que le vendeur n'a rédigé aucun écrit acceptant cette contre-proposition. Au contraire, il a indiqué dans un écrit du 11 juillet 2003 son refus de toutes les contre-propositions formant offre d'achat et la rupture des négociations. Ce refus d'acceptation prouve l'absence de conclusion d'un contrat.
Par ailleurs, cet écrit du 11 juillet 2003 a rendu caduque à cette date l'offre adressée par le vendeur le 13 juin 2003 et non encore acceptée à la date du 11 juillet 2003, de sorte que le contrat de vente n'a pas pu valablement se former.
La Cour rejette donc la demande des sociétés acquéreuses.
Bon à savoir
La conclusion d'un contrat parfait de vente d'immeuble doit être prouvée par un écrit authentique ou privé, répondant à des conditions légales particulières 2.
A défaut d'écrit probatoire satisfaisant aux conditions de la loi, la preuve du contrat peut être rapportée par un commencement de preuve par écrit complété ou par aveu et serment. Toutefois, le commencement de preuve par écrit dont une partie peut se prévaloir pour prouver l'existence du contrat doit émaner de la personne contre qui on l'invoque et rendre vraisemblable le fait allégué 3.
Par ailleurs, un contrat sous seing privé peut également être prouvé, entre parties, par l'échange de deux écrits (dites « lettres-missives »), l'un contenant une offre et l'autre l'acceptation de cette offre, chacun de ces écrits émanant de la partie contre laquelle il est invoqué.
Des lettres missives échangées ne peuvent toutefois former la preuve d'un contrat qu'à la double condition que 4 :
- l'écrit de l'offrant, d'une part, expose la volonté de l'offrant de s'engager contractuellement et, d'autre part, contienne tous les termes du contrat qui obligera les parties si celui qui reçoit l'offre l'accepte ;
- l'écrit de l'acceptant établisse l'acceptation par celui-ci de l'offre telle qu'elle est formulée, de manière telle que le texte de l'offre devienne immédiatement la loi des parties ;
Par conséquent, une réponse écrite à une offre dans laquelle le destinataire de l'offre propose des modifications n'est pas une acceptation pure et simple formant contrat mais, une contre-proposition soumise à l'acceptation du premier proposant. Cette contre-proposition constitue une offre nouvelle de contrat et ne peut faire preuve d'un contrat de vente que par l'adjonction d'une lettre d'acceptation des modifications par l'offrant originaire 5.
Par ailleurs, une offre lie l'offrant pendant une période de temps déterminée ou déterminable 6. Soit, l'offre indique expressément la durée pendant laquelle son bénéficiaire peut l'accepter, soit, à défaut d'une telle mention, l'offre est faite pour la durée qu'il est d'usage de respecter dans le domaine contractuel où elle se place.
L'offrant peut cependant mettre un terme à une offre non acceptée par un retrait de l'offre communiqué à son bénéficiaire par un écrit 7.
En outre, l'envoi d'une contre-proposition par l'acheteur rend caduque l'offre du vendeur, de sorte que le destinataire de l'offre initiale ne peut plus, dans ce cas, se raviser et choisir ensuite de l'accepter 8.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Liège, 19 décembre 2006, J.L.M.B., 2009/8, p. 349.
2. Article 1341 du code civil.
3. Article 1347 du code civil.
4. Voy. M. Vanwijck-Alexandre et A. Mahy-Leclercq, « Le processus de la formation du contrat - Aspects juridiques », in La négociation immobilière - L'apport du notariat, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 103.
5. P. Jadoul, « La négociation immobilière», in La mise en vente d'un immeuble, Hommage au professeur N. Verheyden-Jeanmart, Bruxelles, Larcier, 2005, p.62.
6. B. Kolh, « Négociation immobilière : bref propos sur le « retrait » et la caducité de l'offre de vente », J.L.M.B., 2009/8, p. 360-364.
7. F. Glansdorff, « Observations », Obs. sous Liège, 19 décembre 2006, Rec. gén. enr. not., 2007/6, p. 243.
8. S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wéry, « Examen de jurisprudence - Les obligations : les sources (1985-1995) », J.T., 1996, p. 689.