La preuve contraire en cas de taxation d'après des signes et indices d'une aisance supérieure
Présentation des faits 1
Un homme, gérant de sociétés commerciales, a fait la connaissance d'un représentant d'une banque luxembourgeoise. Ce représentant lui a proposé des investissements intéressants. Le gérant accepta et confia au représentant un montant de 6.000.000 de francs (une partie en 1998 et l'autre en 1999) afin d'acquérir des obligations émises par la banque luxembourgeoise.
Il est apparu plus tard que le représentant a en réalité détourné les fonds qui lui ont été confiés par le gérant. Un dossier répressif a été ouvert au parquet du procureur du Roi et a été mis à l'instruction. Après avoir obtenu l'autorisation nécessaire, l'administration de l'inspection spéciale des impôts (I.S.I.) entreprit de rectifier la situation fiscale du gérant en lui faisant grief de ne pas avoir déclaré tous ses revenus imposables de l'année 1999.
Par une procédure de taxation par signes et indices d'aisance basée sur l'achat des obligations et l'accroissement du compte courant du gérant, l'administration a déclaré être prête à réduire le déficit indiciaire à justifier à la somme de 2.750.678 francs. Le contribuable contesta cette décision et introduisit une action en justice. Le tribunal de première instance fit partiellement droit à la demande du gérant en réduisant le déficit indiciaire à la somme de 2.500.308 francs.
Arrêt de la Cour d'appel de Mons
La Cour d'appel commence par faire droit à l'appel incident introduit par le fisc selon lequel le premier juge a opéré un renversement illégal de la charge de la preuve en exigeant que l'administration fiscale démontre qu'un indice d'aisance établi avec certitude, à savoir l'augmentation du solde créditeur du compte-courant du contribuable, correspond effectivement à une remise de fonds qui lui a été faite.
Ensuite, la Cour rappelle que, lorsque l'administration fiscale a légalement évalué la base imposable d'après des signes et indices établissant une aisance supérieure à celle qu'attestent les revenus déclarés, il appartient au contribuable d'établir par des éléments positifs et contrôlables que cette aisance provient de ressources autres que celles qui sont taxables aux impôts sur les revenus ou de revenus antérieurs à la période imposable. Cela implique que pour renverser la présomption légale qui fonde la taxation sur base d'indices et de signes, le contribuable doit prouver non seulement qu'il avait encore ces sommes à sa disposition au début de la période imposable envisagée, soit au 1er janvier 1999, mais aussi démontrer le décaissement de ces sommes durant cette période.
C'est donc à bon droit que l'administration fiscale a retranché 284.453 francs du déficit indiciaire car cette somme correspond à la différence constatée sur le compte bancaire du gérant entre le 1er janvier et le 31 décembre 1999. Sur base de ces éléments, la Cour réforme le jugement en considérant que le déficit indiciaire s'élevait à 2.466.225 francs (soit 2.750.678 francs - 284.453 francs).
Bon à savoir
Dans certain cas, la loi autorise l'administration fiscale à procéder à une taxation sur base de présomptions. L'un de ces cas fonde la taxation sur des indices et des signes qui démontrent que le contribuable jouit d'une aisance supérieure à celle qu'attestent les revenus déclarés 2. Dans ce cas, l'administration pratique une balance indiciaire entre les dépenses et les revenus déclarés du contribuable sur une période imposable.
Si l'administration fiscale procède à une taxation d'après des signes et indices, il appartient au contribuable d'établir par des éléments positifs et contrôlables que cette aisance provient de ressources autres que celles qui sont taxables aux impôts sur les revenus ou de revenus antérieurs à la période imposable 3.
Lorsque le contribuable se prévaut des fruits d'une épargne antérieure pour justifier l'insuffisance indiciaire décelée dans son chef, il doit démontrer au moyen de pièces contrôlables qu'il disposait, au 1er janvier de la période imposable sur laquelle s'étend la balance indiciaire, de liquidités permettant de couvrir les dépenses retenues à titre d'indice d'aisance 4.
Cela implique que, même si le contribuable ne doit pas prouver que les revenus disponibles pendant la période imposable dont il a apporté la preuve et qui justifient le degré d'aisance supérieure dont il a bénéficié par rapport à ses revenus déclarés, ont été effectivement affectés au financement des accroissements des avoirs ou utilisés pour payer les dépenses retenues comme éléments à justifier dans la taxation indiciaire 5, il doit cependant établir que cette aisance résulte de l'usage de capitaux provenant de l'épargne antérieure 6.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Appel Mons, 17 avril 2013, J.L.M.B., 2013/32, p. 1666.
2. Article 341 CIR 92.
3. Cass., 2 janvier 1997, Pas., 1997, I, p. 7.
4. Appel Bruxelles, 11 décembre 1998, F.J.F., 1999, p. 196.
5. Cass., 5 septembre 1986, Pas., 1986, n° 11.
6. Appel Anvers, 14 septembre 1993, F.J.F., 1994, p. 142.