L'apport d'une demande de brevet
Présentation des faits 1
Lors de la constitution d'une société anonyme, un apport en nature fut pris en compte dans le capital social. Cet apport consistait en une demande de brevet en contrepartie d'actions dont la valeur dépend de l'obtention du brevet. L'actionnaire qui réalisa cet apport s'était engagé à obtenir la licence nécessaire à l'exploitation de l'invention.
Conformément à la réglementation sur les apports en nature, un rapport d'un réviseur d'entreprises fut établi. Dans l'acte constitutif de la société, le notaire avait erronément indiqué que les apports avaient été entièrement libérés.
Quelque temps plus tard, Monsieur D. décida d'acquérir les parts de la société jusqu'à en obtenir le contrôle. Bien que le brevet fut obtenu, la licence ne fut pas accordée. Monsieur D. intenta une action judiciaire à l'encontre du réviseur d'entreprises et du notaire pour avoir commis des fautes dans la réalisation de leurs missions.
En première instance, le tribunal considéra que le réviseur n'avait commis aucune faute qui aurait induit en erreur Monsieur D. dans sa décision de prendre le contrôle de la société. Quant à l'erreur du notaire, elle n'était pas déterminante dans l'attitude de Monsieur D. Ce dernier interjeta appel de la décision.
Arrêt de la Cour d'appel
Dans son arrêt, la Cour constate que la faute du notaire n'est pas en relation causale avec le dommage invoqué par Monsieur D. ; car, la loi exigeant un rapport d'un réviseur d'entreprises en cas d'apport en nature, Monsieur D. aurait dû se référer à ce rapport. Ainsi, l'erreur commise par le notaire dans l'acte constitutif n'était pas de nature à l'induire en erreur.
Le dommage de Monsieur D. résulte en fait de sa propre faute. Même si avant sa prise de participation Monsieur D. a rencontré le comptable, l'avocat et les deux banquiers de la société, et s'il a consulté le bilan de celle-ci qui reprenait erronément à l'actif le brevet et la licence, il n'a pas pris toutes les précautions utiles en ne faisant pas procéder à un audit de la société.
En effet, la seule lecture de l'acte constitutif de la société n'est pas suffisant pour apprécier la prise de participation dans ladite société et, surtout, il n'a pas réclamé le rapport du réviseur d'entreprises, qui laissait apparaître clairement que le brevet n'était pas encore accordé et que l'actionnaire qui en fit l'apport s'était engagé à faire le nécessaire afin d'obtenir l'accord du licencié.
La Cour considère que sans sa propre faute, Monsieur D. n'aurait sans doute pas décidé de prendre le contrôle de la société. En conséquence, la Cour confirme le jugement attaqué en ce qu'il condamne Monsieur D. à payer 2.000 euros au réviseur pour appel téméraire et vexatoire.
Bon à savoir
Lorsqu'un apport en nature est réalisé lors de la constitution d'une société anonyme, certaines formalités doivent être accomplies. Outre le rapport spécial des fondateurs, un réviseur d'entreprises doit établir un rapport qui décrit en détail les biens apportés en nature et détermine le mode d'évaluation de ces biens. La contrepartie de cet apport doit également figurer dans ce rapport 2. L'exigence de l'intervention d'un réviseur s'explique par la protection que le législateur veut garantir aux tiers, particulièrement les créanciers sociaux, au niveau de l'évaluation du capital social 3.
Dans le cas d'espèce, le rapport établi par le réviseur était, comme l'a confirmé l'Institut des réviseurs d'entreprises, clair et explicite. En effet, le rapport mettait parfaitement en lumière que l'apport en nature consistait en une demande de brevet et non en un brevet déjà obtenu. De plus, le réviseur donnait son avis sur le mode d'évaluation présenté par les fondateurs et sur la contrepartie en actions.
Il ne peut pas non plus lui être reproché de ne pas avoir pris en compte dans son évaluation la valeur du brevet sans la licence puisque l'actionnaire qui en a fait l'apport s'était engagé expressément à obtenir l'accord du licencié. Compte tenu de la marge d'évaluation dont dispose le réviseur d'entreprises pour l'évaluation d'un apport en nature, il ne peut être tenu responsable que s'il ressort des circonstances concrètes que le bien apporté a été manifestement surévalué et qu'il ne l'a pas mentionné dans le rapport 4.
L'importance du rapport du réviseur est telle que l'absence de sa consultation a éclipsé l'erreur du notaire dans l'acte constitutif quant à la libération des apports. En effet, la libération d'un apport en nature se définit par la mise à disposition du bien apporté à la société, c'est-à-dire par la fourniture du bien promis 5. Or, il apparait clairement que l'intégralité des apports n'était pas libérée.
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1. Liège, 10 juin 2003, R.G. n° 1998/RG/14.
2. Article 444, § 1er du Code des sociétés.
3. H. Culot, « Contrôle et maintien du capital : une réforme sans audace », J.T., 2009/6, pp. 94 et 95.
4. Tribunal civil d'Anvers, 30 juin 2004, T.R.V., 2007, pp. 560 à 568.
5. Guide juridique de l'entreprise, 2e édition, Les règles de constitution des sa, sprl et scrl, Volume I, n° 600 et 620, p.54.