Le monopole de l'expert-comptable
Présentation des faits 1
Q.C. a adressée le 3 août 1995 et le 7 février 1996 des factures à une société qui ne les a pas contestées. Ces factures, qui portaient en en-tête « Q. C. – Conseil fiscal », étaient intitulées « notes d'honoraires » et portaient sur des provisions pour « mission administrative et comptable », avec l'indication des jours des prestations du demandeur et de certaines tâches accomplies, comme la rédaction et le dépôt des déclarations TVA. Q.C. a également établi les bilans 1993 et 1994 de la société, lesquelles ont été déposés à la centrale des bilans.
Par la suite, la société est déclarée en faillite. Dans le cadre de la faillite, Q.C. réclame le paiement de ses honoraires. La société conteste et reproche, entre autres, à Q.C.de s'être présenté comme « conseil fiscal », alors qu'il n'était en réalité pas expert-comptable, profession réglementée par la loi du 21 février 1985.
En appel, la Cour d'appel de Bruxelles a annulé le contrat conclu entre Q.C. et la société. En effet, elle a constaté qu'il résultait des pièces produites que les tâches accomplies par Q.C. correspondaient bien aux missions réservées à l'expert-comptable par l'article 78 de la loi du 21 février 1985 : il était manifestement chargé de ce que l'on peut qualifier de mission complète de comptabilité (préparation et dépôt des bilans, préparation et dépôt des déclarations à la TVA...).
Or, il résultait des attestations produites que si Q.C. était comptable agréé depuis le 1er juin 1993 jusqu'à sa radiation le 21 avril 1999, soit après la période litigieuse, il n'était, par contre, plus membre de l'Institut des Experts-comptables et fiscaux, depuis le 24 septembre 1993, soit donc pendant la période durant laquelle il avait accompli pour la société des tâches réservées aux experts-comptables. La Cour a donc estimé que Q.C. a illégalement exercé les activités réservées par la loi aux experts-comptables agréés, de sorte que le contrat liant les parties était nul et devait être annulé, parce que contraire à l'ordre public.
Q.C. a décidé alors d'introduire un pourvoi en cassation contre cette décision.
Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation rappelle que l'article 78 de la loi du 21 février 1985 relative à la réforme du révisorat d'entreprises, dans sa version applicable aux faits, énumérait, de manière non limitative et non exclusive, les activités d'expert-comptable. Cette disposition n'instaurait, toutefois, comme telle, aucun monopole au bénéfice des experts-comptables et, corrélativement, n'édictait aucune interdiction d'exercice desdites activités par des personnes qui n'avaient pas le titre d'expert-comptable.
Par contre, l'article 82 de ladite loi déterminait quelles étaient les activités ou les missions que seules les personnes physiques et les personnes morales inscrites au tableau des experts-comptables externes étaient habilitées à exercer habituellement ou à offrir d'exercer.
Or, il résulte de la lecture de cet article 82 que le monopole dont bénéficiait l'expert-comptable externe et qu'il partageait avec d'autres professionnels de la comptabilité était limité à l'exercice des activités relatives, d'une part, à la vérification et au redressement de tous les documents comptables et, d'autre part, à l'expertise dans le domaine de l'organisation comptable des entreprises et de l'analyse de la situation et du fonctionnement des entreprises.
En l'espèce, la Cour constate que les factures envoyées par Q.C. à la société portaient sur des provisions pour « mission administrative et comptable » avec l'indication des jours de ces prestations et de certaines tâches accomplies, comme la rédaction et le dépôt des déclarations TVA. Or, ces activités ne font pas parties de celles qui étaient visées par l'article 82 et réservées aux seuls experts-comptables agréés. La Cour estime donc que Q.C. était en droit d'exercer de telles activités.
Par conséquent, elle annule l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles.
Bon à savoir
L'article 78 de la loi du 21 février 1985 relative à la réforme du révisorat d'entreprise, remplacé aujourd'hui par l'article 34 de la loi du 22 avril 1999 relative aux professions comptables et fiscales, détermine de manière non limitative les missions que peuvent exercer les experts-comptables 2. Il s'agit de :
1° la vérification et le redressement de tous documents comptables ;
2° l'expertise, tant privée que judiciaire, dans le domaine de l'organisation comptable des entreprises ainsi que l'analyse par les procédés de la technique comptable de la situation et du fonctionnement des entreprises au point de vue de leur crédit, de leur rendement et de leurs risques ;
3° l'organisation des services comptables et administratifs des entreprises et les activités de conseil en matière d'organisation comptable et administrative des entreprises ;
4° les activités d'organisation et de tenue de la comptabilité de tiers ;
5° les activités visées à l'article 38, à l'exclusion de celles visées à l'article 38, 3°, pour les entreprises auprès desquelles il accomplit des missions visées au 6° et à l'article 37, alinéa 1er, 2° ;
6° les missions autres que celles visées au 1° à 5° et dont l'accomplissement lui est réservé par la loi ou en vertu de la loi.
Il découle toutefois de l'article 82 de la loi du 21 février 1985 (désormais article 37 de la loi du 22 avril 1999) que l'expert-comptable dispose d'un monopole qu'il partage avec d'autres professionnels de la comptabilité pour certaines des missions préalablement énumérées, à savoir pour l'exercice des activités relatives, d'une part, à la vérification et au redressement de tous les documents comptables et, d'autre part, à l'expertise dans le domaine de l'organisation comptable des entreprises et de l'analyse de la situation et du fonctionnement des entreprises 3.
A contrario, l'organisation des services comptables et administratifs des entreprises, les activités de conseil en cette matière, l'organisation et la tenue de la comptabilité de tiers, et dans certaines conditions, les activités de conseil en matière fiscale échappent à ce monopole 4. Par conséquent, ces activités peuvent également être exercées par des personnes qui n'ont pas le titre d'expert-comptable 5.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass., 30 juin 2005, Pas., 2005/ 7-8, p. 1483.
2. Article 34 de la loi du 22 avril 1999 relative aux professions comptables et fiscales.
3. C. Mélotte, « La responsabilité des professions comptables - La responsabilité des experts-comptables et comptables », in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Kluwer, Waterloo, 2008, p. 9 ; article 37, 1° de la loi du 22 avril 1999 relative aux professions comptables et fiscales.
4. V. Simonart, Groupement d'intérêts économique, G.I.E. et G.E.I.E, Bruxelles, Larcier, 2002, p. 109.
5. Voy. J. Van Droogbroeck, « Protection pénale des titres professionnels d'expert-comptable et de conseil fiscal et du monopole légal d'expert-comptable externe (1ère partie) », Accountancy & Tax , 2004/ 3, p. 12 et suivantes.