La provision pour risques et charges en cas de litige judiciaire
Présentation des faits 1
La société Kalinka a conclu un contrat avec la Régie des voies aériennes (RVA) aux termes duquel elle s'était vu concéder le droit d'exploiter un magasin dans la zone de transit de l'aérogare de l'aéroport de Bruxelles. En contrepartie de ce droit d'exploiter, la société Kalinka devait payer une redevance
Quelque temps plus tard, la RVA accorda une concession concurrente à une autre société. Une contestation apparut entre la société Kalinka et la RVA. La première prétendait avoir subi un préjudice du fait de la concurrence que lui livrait l'autre société. La seconde réclamait le paiement des redevances impayées restant dues.
La juridiction saisie du litige donna raison à la RVA et condamna la société Kalinka à payer les redevances. Cependant, cette société n'avait plus suffisamment d'actif pour honorer ses dettes. La RVA a donc introduit une action à l'encontre de la gérante de la société pour violation de la réglementation comptable. Le Tribunal de première instance de Bruxelles fit droit à cette demande et condamna la gérante à indemniser la RVA. La gérante interjeta appel de la décision.
Décision de la Cour d'appel de Bruxelles
Devant la Cour, le débat s'articula autour de la méconnaissance de la réglementation comptable dans la tenue des comptes annuels. À cet égard, la Cour constate que les règles élémentaires du droit comptable n'ont pas été respectées. Non seulement les redevances dues en exécution du contrat de concession n'ont pas été comptabilisées comme charges, mais il n'a même pas été constituée une provision pour risques et charges couvrant tout ou partie des redevances litigieuses.
Cette attitude résulte de la compensation opérée par la société entre ces redevances et l'indemnisation qu'elle réclamait à la RVA. La Cour considère que la société ne pouvait raisonnablement exclure tout risque d'être déboutée en tout ou en partie de sa demande en dommages et intérêts et considérer pour acquis que le dommage qu'elle invoquait serait évalué à un montant égal et même supérieur au montant des redevances échues mais non comptabilisées. En conséquence, la Cour confirme le jugement attaqué et condamne la gérante.
Bon à savoir
La règle de prudence qui préside à l'établissement des comptes annuels veut qu'une charge soit prise en compte dès lors que sa réalisation est probable ou même éventuelle alors qu'un produit ne peut être enregistré que si sa réalisation est effective.
Les dispositions de la réglementation comptable et les principes qui la régissent ne laissent aucune liberté de ne pas enregistrer les charges et obligent à constituer, en cas de litige sur l'existence d'une dette de la société, une provision pour anticiper des pertes. Les provisions pour risques et charges ont pour objet de couvrir des pertes ou charges nettement circonscrites quant à leur nature 2. L'existence même d'un litige impose la constitution d'une provision 3.
Seul le montant de la provision est laissé à l'appréciation de l'entreprise, laquelle doit également être prudente. Il s'agit d'une application du principe de prudence qui oblige à tenir compte de manière systématique de tout événement probable susceptible d'amputer le patrimoine et le résultat dans un avenir proche 4. Ce principe de prudence impose un réalisme suffisant dans l'évaluation des avoirs, des droits, des dettes et des obligations de l'entreprise 5. Or, l'existence d'un litige dont les signes d'une condamnation ne sont pas farfelus requiert la constitution d'une provision pour risques et charges.
Par ailleurs, tant du point de vue comptable que du point de vue civil, il ne peut y avoir compensation entre l'obligation de paiement de redevances échues et la prétention de la société débitrice à obtenir une indemnité de la part du créancier des redevances. La simple prétention à une indemnisation n'est pas une créance certaine et exigible permettant une compensation 6. L'obligation d'enregistrer les redevances ou de constituer une provision pour le risque de condamnation à leur paiement subsistait.
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1. Appel Bruxelles, 21 novembre 2002, J.L.M.B., 2003/29, p. 1271.
2. Cass., 19 mars 2009, R.G. n° F.07.0096.F.
3. Article 54 de l'Arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du code des sociétés.
4. Articles 51 et 53 de l'Arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du code des sociétés.
5. F. Khrouz, Comptabilité et gestion : comptabilité générale, analyse financière et consolidation des comptes, Bruxelles, Centre de comptabilité et contrôle de gestion, 2011, p. 108.
6. Article 1291 du Code civil.