Le devoir d'information confraternel des réviseurs d'entreprises et le secret professionnel
Présentation des faits 1
Madame T, reviseur d'entreprises, fut contactée par une société qui lui demanda d'analyser le rapport établi par un confrère, Monsieur D. Ce rapport portait sur un apport en nature, en l'occurrence des fonds de commerce, entre plusieurs autres sociétés.
Madame T. procéda à un examen critique dudit rapport et constata des infractions majeures, notamment au niveau de la description des apports et du mode d'évaluation, ainsi que des conditions liées aux apports. À l'issue de son analyse circonstanciée, elle conclut que le rapport de son confrère D. ne pouvait être considéré comme établi en respect de la norme relative au contrôle des apports en nature et quasi-apports, édictée par l'Institut des réviseurs d'entreprises.
Contrairement à ce que prévoit la réglementation applicable aux réviseurs d'entreprises, Madame T. ne mit pas son confrère au courant du fait qu'elle avait pour mission de mettre en cause son travail portant sur le rapport mentionné. Sur base de ce constat, la commission de discipline de l'Institut des réviseurs d'entreprises sanctionna Madame T. pour avoir manqué à ses obligations professionnelles. Madame T. fit appel de la décision en fondant son attitude sur le secret professionnel par lequel elle était tenue.
Décision de la Commission d'appel
La Commission rappelle que, dans le cadre de l'obligation d'information confraternelle, dans la mesure où le secret professionnel le permet, Madame T. a choisi de ne pas prendre contact avec Monsieur D. Ensuite, Elle constate que, compte tenu du contexte litigieux dans lequel se trouvait la société cliente, Madame T. savait qu'en informant son confrère de sa mission, elle l'informerait de l'identité de sa cliente et des éventuelles intentions de cette dernière.
Or, agir de la sorte aurait été contraire au secret professionnel dont elle était tenue vis-à-vis de sa cliente. Par ailleurs, lorsqu'elle apprit l'intention de sa cliente de mettre en cause Monsieur D., Madame T. adressa une demande urgente d'avis au président de l'Institut des réviseurs d'entreprises en posant la question de savoir si elle devait ou non avertir son confrère de la mission qui lui avait été confiée, alors qu'elle considérait être tenue au secret professionnel.
Face à la réponse lacunaire du président, la Commission constate que Madame T. a pu douter de l'attitude qu'elle devait adopter à l'égard de son confrère. Cependant, en ne respectant pas le devoir d'information confraternelle, Madame T. a respecté la primauté de l'obligation au secret professionnel, telle que prévue par l'article 25 de l'arrêté royal du 10 janvier 1994 relatif aux obligations des réviseurs d'entreprises. En effet, Madame T. pouvait raisonnablement craindre, qu'informées des critiques qu'elle formulait, les sociétés concernées par l'apport en nature altèrent certains éléments de preuve. En conséquence, Madame T. était tenue de ne pas de contacter son confrère. La sanction disciplinaire n'est donc pas fondée.
Bon à savoir
La déontologie des réviseurs d'entreprises leur impose d'informer leurs confrères lorsqu'ils mettent en cause leur travail ou leurs attestations 2.
En parallèle à cela, la loi prévoit expressément que les réviseurs d'entreprises sont tenus au secret professionnel et sont susceptibles de s'exposer à l'application de la sanction prévue à l'article 458 du Code pénal. Touchant à l'ordre public, cette obligation au secret professionnel est générale et s'étend à toute activité du réviseur d'entreprises 3.
Lorsqu'un réviseur d'entreprises est chargé d'une mission dans le cadre d'un contrat, il est évidemment soumis à son obligation du secret professionnel et reste tenu au silence vis-à-vis de tous les tiers de la confidence 4.
Ce secret concerne tant le contenu de la mission qui lui est confiée que l'existence de cette mission. En effet, il est admis que la communication même d'une mission peut en soi mettre en péril le secret professionnel 5.
Compte tenu du fait que le secret professionnel porte sur l'existence même des relations professionnelles entre le réviseur d'entreprises et son client 6, le réviseur ne peut violer ce secret sous prétexte de respecter son devoir d'information confraternel. En effet, ces obligations sont dans un rapport de hiérarchie où le respect du secret professionnel prime sur le devoir confraternel.
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1. Commission d'appel de l'Institut des réviseurs d'entreprises, 21 juin 2005, J.T., 2005/36, p. 680.
2. Article 25 de l'arrêté royal du 10 janvier 1994 relatif aux obligations des réviseurs d'entreprises.
3. Article 79 de la loi du 30 avril 2007 coordonnant la loi du 22 juillet 1953 créant un Institut des Réviseurs d'entreprises et organisant la supervision publique de la profession de réviseur d'entreprises.
4. M. Franchimont, « Le secret professionnel et le réviseur d'entreprises », C.B.N.C.R., 2/1986.
5. Commission juridique I.R.E., Rapport annuel 2003, p. 52.
6. R. Prioux, « Les exceptions au secret professionnel du réviseur d'entreprises », in La révision des comptes annuels et des comptes consolidés, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 51-55.