Les règles d'évaluation comptable dans le cadre d'une société en liquidation
Présentation des faits 1
À la fin de l'année 1993, une société est constituée par les apports de deux organismes. Cette société fonctionnera normalement durant un peu plus de dix années jusqu'à sa reprise une dizaine d'années plus tard. Au sein du conseil d'administration, deux conceptions différentes vont s'affronter en ce qui concerne la gestion, le développement et la politique d'investissement de l'entreprise.
Au début de l'année 2005, un des repreneurs se plaignant des difficultés de fonctionnement de la société, propose une réduction du nombre des administrateurs et que toutes les résolutions soient prises à la majorité simple avec voix prépondérante pour le président du conseil d'administration en cas d'égalité. Cette proposition de modification des statuts fut rejetée et le repreneur demanda au conseil d'administration de convoquer une assemblée générale extraordinaire avec pour ordre du jour le principe d'une mise en liquidation de la société.
Devant le refus de l'assemblée générale, le repreneur cita la société en liquidation devant le tribunal de commerce. Quelques mois plus tard, le conseil d'administration est saisi du projet des comptes annuels relatifs à l'exercice 2004. Un nouveau conflit va surgir entre les administrateurs, certains suggérant que les comptes doivent être établis dans une perspective de discontinuité et d'autres dans une perspective de continuité.
Le repreneur intenta une action en justice afin de faire dire que les comptes de la société pour l'exercice 2004 doivent être établis en termes de discontinuité comptable. En première instance, le juge considéra que les règles de présentation des comptes annuels dans la perspective de continuité de l'entreprise sont les seules à pouvoir être retenues en l'espèce. Le repreneur interjeta appel.
Décision de la Cour d'appel de Liège
Le débat devant la Cour s'articule autour des règles d'évaluation des comptes annuels. Le repreneur soutient qu'il existe un blocage total et complet de l'organe d'administration et qu'il ne souhaite aucunement la continuité de la société. C'est dans ces conditions que le repreneur soulève l'application des règles de discontinuité, tant il est clair que les situations de blocage vont sinon se multiplier.
L'autre important actionnaire soutient quant à lui que la société a bel et bien fonctionné tout au long de l'exercice 2004 et que le réel blocage n'est survenu qu'en 2005 lors de l'arrêt des comptes. Cette seconde thèse a été suivie par la Cour qui constate que la question du risque de discontinuité s'est posée pour la première fois après la fin de l'exercice comptable 2004 et que les comptes relatifs à cet exercice doivent donc être établis dans une perspective de continuité.
Bon à savoir
La réglementation sur les comptes des sociétés prévoit que dans les cas où, en exécution ou non d'une décision de mise en liquidation, la société renonce à poursuivre ses activités ou lorsque la perspective de continuité de ses activités ne peut être maintenue, les règles d'évaluation sont adaptées en conséquence 2.
Si la perspective de continuité est la norme générale dans l'évaluation des comptes annuels, la dissolution d'une société entraîne un changement vers une perspective de discontinuité. Ce changement intervient lorsque l'entreprise a renoncé à poursuivre ses activités ou a constaté que la perspective de continuité de ses activités ne pouvait être maintenue 3.
Ainsi, le fait que la question de la discontinuité soit abordée entre la date de clôture des comptes annuels et la date à laquelle ils doivent être arrêtés par l'organe de gestion de la société n'implique pas ce changement de perspective puisque cette question s'est posée après la fin de l'exercice comptable concerné. Le principe de la continuité doit donc s'appliquer à cet exercice comptable et aux comptes qui s'y rapportent. Ce principe impose notamment que la valeur des biens considérée soit la valeur de l'utilité pour l'entreprise dans le cadre de son activité et non la valeur qui pourrait résulter de sa liquidation 4.
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1. Appel Liège, 27 octobre 2005, J.L.M.B., 2007/23, p. 956.
2. Article 28, § 2 de l'arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du code des sociétés.
3. Avis C.N.C., n° 160/1, Bull. C.N.C., n° 25, juin 1990, pp. 24-26.
4. F. Khrouz, Comptabilité et gestion : comptabilité générale, analyse financière et consolidation des comptes, Bruxelles, Centre de comptabilité et contrôle de gestion, 2011, p. 104.