L'état estimatif dans le cadre d'une donation notariée mobilière
Présentation des faits 1
En 1992, par acte du notaire X, Madame B a donné, sous réserve d'usufruit, à sa petite-nièce un appartement, et les objets et valeurs mobiliers, meubles et objets meublants garnissant l'appartement. Aucun état estimatif n'a été annexé à l'acte de donation.
En 1993, un expert a dressé un inventaire sous seing privé du mobilier en cause.
En 1995, la donatrice, Madame B, demande l'annulation de la libéralité, notamment, en raison du défaut d'état estimatif annexé à l'acte de donation, et ce, en violation de l'article 948 du Code civil.
Le premier juge a considéré que la donation mobilière, à défaut d'état estimatif annexé à l'acte de donation, était nulle (nullité absolue) et a considéré que le notaire était responsable de cette nullité.
Le notaire considère, en appel, qu'il peut être supplée à l'absence d'état estimatif concomitant à l'acte de donation, par un état estimatif postérieur à celui-ci.
La Cour d'appel de Bruxelles, le 6 octobre 2004 a confirmé le précédent jugement. 2
Le notaire s'est donc pourvu en cassation contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles.
Décision de la Cour de cassation
Le notaire considère que l'état estimatif tient au fond de la convention de donation et est étranger à la solennité de l'acte. Ainsi, l'état estimatif peut être dressé ultérieurement ou remplacé par un acte équipollent, éventuellement postérieur.
La Cour de cassation rappelle qu'en vertu de l'article 894 du Code civil, la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte.
En outre, l'article 948 du Code civil dispose que « tout acte de donation d'effets mobiliers ne sera valable que pour les effets dont un état estimatif signé du donateur et du donataire ou de ceux qui acceptent pour lui, aura été annexé à la minute de la donation. »
La Cour considère que l'omission de cette formalité constitue un vice que le donateur ne peut, en vertu de l'article 1339 du Code civil, réparer par aucun acte confirmatif et qui a pour effet que, nulle en la forme, la donation doit être refaite.
Par conséquent, un acte postérieur à la donation ne peut tenir lieu de l'acte estimatif visé à l'article 948 du Code civil.
Par ailleurs, le notaire X a manifestement commis une faute en ne veillant pas, conformément à la prescription de l'article 948 du Code civil, à joindre un état estimatif à l'acte de donation qu'il a dressé en 1992.
La Cour rejette le pourvoi du notaire X considérant que l'état estimatif constitue une forme solennelle de l'acte de donation mobilière, dont la violation est sanctionnée par une nullité absolue. En outre, l'état estimatif doit être concomitant à l'acte sans pouvoir être postérieur à celui-ci. Le notaire a donc commis une faute dont il doit répondre, en recevant un acte frappé de nullité absolue.
Bon à savoir
Aux termes de l'article 948 du Code civil, « tout acte de donation d'effets mobiliers ne sera valable que pour les effets dont un état estimatif, signé du donateur, et du donataire, ou de ceux qui acceptent pour lui, aura été annexé à la minute de la donation. » 3
L'exigence d'un état estimatif est une règle de forme intéressant la solennité de la donation 4. L'omission de cette formalité constitue un vice que le donateur ne peut, en vertu de l'article 1339 du Code civil, réparer par aucun acte confirmatif.
Il s'ensuit qu'un acte postérieur à la donation ne peut tenir lieu de l'acte estimatif visé à l'article 948 du Code civil. 5
Le notaire qui contrevient à l'article 948 du Code civil commet une faute et doit réparer le dommage qui en découle consistant dans la privation de l'avantage qui aurait été retiré de la donation si elle n'eût pas été nulle.
Par ailleurs, le notaire ne peut prétendre limiter ce dommage au montant indiqué dans la déclaration fiscale contenue dans l'acte de donation annulé, car cette déclaration 6 ne lie les parties comparantes qu'à l'égard de l'administration fiscale et non des tiers. 7
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass. (1ère ch.) RG C.05.0071.F, 1er mars 2007, Rev. trim. dr. fam. 2007, liv. 3, p. 863.
2. Bruxelles, 6 octobre 2004, Rec. gén. enr. not. 2007/8, p. 313.
3. Article 948 du Code civil.
4. H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, T. VIII/1, éd., 1944, p. 542, n° 435.
5. Voyez : E. de Wilde d'Estmael, « Donations », Rép. not., Tome III, Successions, donations et testaments, Livre 7, Bruxelles, Larcier, 2009, n° 155.
6. Faite uniquement pour permettre la perception des droits d'enregistrement.
7. R. Bourseau, « L'état estimatif, formalité substantielle d'une donation notariée mobilière (C. civ., art. 948) », R.G.D.C., 2008, liv. 6, pp. 339 et suivantes.