La responsabilité du notaire - Devoir de conseil - Objet précis de la vente
Présentation des faits 1
Madame R a acheté le bien immobilier de Madame S et Monsieur M (vendeurs). Le compromis de vente sous seing privé, signé par les parties, décrit l'objet de la vente en mentionnant une superficie de 160 ares, sans aucune indication quant aux parcelles objet de la vente. Or, la superficie totale avec les parcelles litigieuses s'élève à 176 ares 60 centiares.
L'acte authentique de vente ne reprend pas les parcelles litigieuses.
Par conséquent, Madame R introduit une action à l'encontre de Monsieur M et Madame S (les vendeurs) et le notaire X, considérant que ceux-ci lui ont fait signer un acte authentique de vente qui diminuait la superficie de la propriété objet de la vente.
Elle sollicite d'ordonner la passation d'un acte authentique de vente portant sur l'entièreté de la superficie, ainsi que de condamner les vendeurs à payer les frais et droits dus à cet acte complémentaire. En outre, elle demande que les vendeurs et le notaire lui paient des dommages et intérêts.
Le tribunal considère qu'il n'est pas démontré que, lors de la signature du compromis de vente, les vendeurs ont voulu vendre lesdites parcelles en sorte qu'il ne saurait être fait droit à la demande de l'acheteuse en passation de l'acte authentique de vente de ces parcelles. En outre, l'acheteuse reste en défaut de démontrer que l'accord de volonté survenu entre elle-même et les vendeurs aurait porté sur les parcelles litigieuses.
Madame R interjette appel de ce jugement.
Décision de la Cour d'appel de Liège
La Cour d'appel de Liège considère que l'acheteuse est crédible lorsqu'elle soutient avoir cru acheter, en achetant la propriété des vendeurs, les parcelles litigieuses.
En effet, il n'a jamais été contesté que ces parcelles formaient en apparence un tout avec le reste de la propriété. Le compromis de vente, qui fut signé par les vendeurs et l'acheteuse, ne donne aucun renseignement cadastral quant aux parcelles.
De sorte qu'au vu de ces éléments, il est établi que tout candidat acheteur d'un tel bien normalement raisonnable et prudent aurait cru légitimement que la vente de l'immeuble portait sur le tout et comprenait notamment la parcelle litigieuse.
La Cour constate que l'établissement par le notaire de l'acte authentique a fait l'objet d'un « cafouillage » de sa part étant donné que le premier projet ne contenait des parcelles que pour une contenance totale de 76 ares 82 centiares et que ce n'est que le second projet qui a repris la contenance de 63 ares 52 centiares.
Madame R reproche aux vendeurs et notaire d'avoir, par leur comportement fautif, voulu la tromper.
La Cour considère qu'il est établi que les vendeurs se sont rendus coupables d'une réticence dolosive.
En effet, tout acheteur d'un tel bien, normalement raisonnable et prudent, aurait cru légitimement que la vente de l'immeuble portait sur le tout et comprenait les parcelles. Les vendeurs avaient donc l'obligation de préciser que la vente ne portait pas sur celles-ci.
Ce n'est qu'au notaire qu'ils vont préciser que la vente ne porte pas sur les parcelles litigieuses. Il sera accordé, en conséquence, à l'acheteuse, des dommages et intérêts.
Pour ce qui est du notaire, celui-ci a manqué à son devoir de conseil. En effet, étant le conseil de l'acheteuse, comme des vendeurs, le notaire devait attirer l'attention de l'acheteuse sur l'imprécision du compromis de vente qu'elle avait signé.
Ainsi, il ne s'est pas comporté comme tout notaire normalement prudent et compétent se serait comporté dans les mêmes circonstances.
Cette faute est en relation causale avec le dommage de l'acheteuse qui aurait pu refuser de signer l'acte authentique de vente en invoquant le dol des vendeurs et un arrangement financier aurait pu être trouvé.
La Cour d'appel de Liège réforme le jugement entrepris et condamne les acheteurs et le notaire au payement de dommages et intérêts.
Bon à savoir
La personne qui vend un immeuble se rend coupable d'une réticence dolosive lorsqu'elle ne précise pas que la vente de son bien immobilier ne porte pas sur les parcelles. 2
En ce qui concerne le notaire, ce dernier manque à son devoir de conseil et d'information lorsqu'il n'attire pas l'attention de l'acheteur sur l'imprécision du compromis de vente qui n'indique qu'une contenance globale sans identifier les parcelles objet de la vente. 3
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1. Cour d'appel de Liège (3e ch.), 20 octobre 2008, J.L.M.B., 2009/37, pp. 1743-1747.
2. B. Kohl, « Le dol » in La vente immobilière, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 114 à 129 ; Y.-H. Leleu, « Avant-contrats, formation et conditions de validité du contrat », in Chroniques notariales, vol. 51, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 21 à 59.
3. Voyez : Ch. Vanhalewyn, La responsabilité civile professionnelle du notaire, dix années de jurisprudence, éd. Altoria, 1991, p. 70, n° 23 ; J.-M. Chandelle, « Loi Breyne », Rép. not., Tome VII, La vente, Livre 6, Bruxelles, Larcier, 1996, n° 65.