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NOTAIRE

Bon a savoir

21 Septembre 2016

Ouverture de crédit - Responsabilité du banquier

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Présentation des faits 1        

Dans les faits, Madame C. et Monsieur V. étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.

Monsieur V. était gérant et associé unique d'une SPRL G, dont l'objet social est d'exploiter un centre récréatif pour enfants.

En 2007, la SPRL G envisage l'acquisition d'un immeuble industriel pour y développer une seconde activité, à l'intention des adolescents. L'acquisition est réalisée par acte authentique du 5 février 2008.

Les époux se séparent en mars 2008. Le divorce est prononcé le 13 avril 2010.

Par un jugement prononcé le 30 novembre 2009 par le Tribunal de commerce de Charleroi, la SPRL G bénéficie d'une procédure de réorganisation judiciaire.

Monsieur V. a été admis au bénéfice d'un règlement collectif de dettes par jugement du Tribunal du travail de Charleroi prononcé le 05 décembre 2011.

Le 23 mai 2014, la SPRL G demande à bénéficier d'une nouvelle procédure de réorganisation judiciaire, tendant au transfert de tout ou partie de l'activité. Un jugement d'ouverture est prononcé par le Tribunal de commerce le 5 juin 2014. Un jugement prononcé le 22 octobre 2014 autorise le transfert de l'activité au profit de tiers.

Les crédits obtenus par la SPRL ont été alloués par la SCRL C.

 

1. Un crédit de 375.883,00 EUR consenti le 3 février 2003, utilisable en 4 avances. Les sûretés suivantes garantissent ce crédit :

- une inscription en premier rang sur le fonds de commerce de la SPRL G ;

- un mandat hypothécaire de 2ème rang à concurrence d'une somme de 375.883,00 EUR sur l'immeuble où le couple est domicilié ;

- un engagement de Monsieur V. et de Madame C. en qualité de codébiteur solidaire et indivisible à concurrence d'une somme de 375.883,00 EUR ;

- un nantissement par Monsieur V. et Madame C. de SICAV d'une valeur minimale de 60.000 EUR.

En outre,  un supplément au crédit de caisse est accordé le 15 mai 2007.

Madame C. et Monsieur V. signent une déclaration d'accord et acceptent que la nouvelle avance octroyée soit couverte par les sûretés qui ont été consenties.

 

2. Un crédit de 1.383.000,00 EUR est consenti le 6 novembre 2007. Les sûretés suivantes garantissent ce crédit :

- une inscription hypothécaire en premier rang, à concurrence de 500.000 EUR, sur l'immeuble commercial et industriel de Tarcienne ;

- un mandat hypothécaire de 2ème rang à concurrence d'une somme de 500.000 EUR sur le même immeuble de Tarcienne ;

- une inscription hypothécaire en deuxième rang, à concurrence de 100.000 EUR, sur l'immeuble où est domicilié le couple ;

- une inscription en deuxième rang sur le fonds de commerce de la SPRL G à concurrence de 400.000 EUR ;

- un engagement de Monsieur V. et de Madame C. en qualité de codébiteur solidaire et indivisible à concurrence d'une somme de 200.000 EUR ;

- un nantissement par Madame C. d'une assurance groupe DEXIA.

 

3. Un crédit supplémentaire de 132.000 EUR est consenti le 18 juillet 2008 pour l'aménagement du centre de loisirs. Il est signé par Monsieur V., tant en nom personnel qu'en sa qualité de gérant de la SPRL G.

Il est garanti par une inscription hypothécaire en deuxième rang à concurrence de 100.000 EUR sur des maisons et «par les sûretés qui nous ont été consenties dans l'acte d'ouverture de crédit hypothécaire conclu antérieurement».

En 2006, la SCRL C écrit à Madame C. au sujet des crédits  et lui confirme sa «désolidarisation des crédits objets des dossiers dont les numéros sont cités en rubrique» ;

En 2008, la SCRL C consent une franchise de remboursement dans le cadre des crédits ;

Depuis le mois de janvier 2009, la SPRL G ne paye plus régulièrement les mensualités.

Le 31 août 2009, la SCRL C adresse une mise en demeure à Madame C. et Monsieur V. et les invite à payer une somme de 233.100,03 EUR, représentant les sommes échues impayées et les frais de rappel pour les dossiers.

Les crédits sont dénoncés le 7 octobre 2009. Madame C. et Monsieur V. en sont avertis par courrier recommandé du lendemain.

Par citation, Madame C. assigne la banque et demande de constater que la requérante est désolidarisée du crédit. 

Un jugement, prononcé par le Tribunal de première instance de Charleroi le 27 juin 2013, reçoit les demandes et les dit non fondées.

Madame C. forme appel contre ce jugement. Elle estime que c'est à tort que le premier juge n'a pas retenu qu'en acceptant de désolidariser Madame C., la SCRL C lui a fait croire fautivement qu'elle n'était plus tenue à titre personnel des dettes visées dans la lettre. Elle estime en outre que c'est à tort que le premier juge n'a pas retenu le dol ou la réticence dolosive, alors que la banque l'a abusée en lui faisant croire que sa garantie était accessoire alors qu'elle était le fondement du crédit ; à titre subsidiaire, elle reproche au premier juge de ne pas avoir estimé que le banquier a manqué à son obligation d'examiner sérieusement la seconde demande de crédit, et de s'être uniquement basée sur la confiance qu'elle pouvait avoir dans l'activité médicale étrangère à l'activité financée. Elle estime enfin que la responsabilité de la banque résulte de l'octroi du dernier crédit, sans l'en avoir avertie.

 

Décision de la Cour d’appel de Mons

La Cour rappelle que la remise de solidarité est prévue à l'article 1210 du code civil, selon lequel le créancier qui consent à la division de la dette à l'égard de l'un des codébiteurs, conserve son action solidaire contre les autres, mais sous la déduction de la part du débiteur qu'il a déchargé de la solidarité.

En outre, le créancier peut accorder cette remise à un seul codébiteur, à quelques‐uns d'entre eux ou à tous.

En l'espèce, il faut s'en tenir à l'écrit adressé à Madame C. pour vérifier si elle a été déchargée par son créancier qui aurait marqué son accord pour changer de débiteur, ou s'il s'agit d'une remise de solidarité.

La Cour constate que l'usage du terme «désolidarisation» signifie la fin d'une solidarité entre deux personnes qui, jusque‐là, étaient engagées solidairement. Le choix de ce terme est clair et non susceptible d'interprétation.

Il signifie que la banque a consenti à accepter de transformer une dette solidaire en une dette conjointe à l'égard de Madame C. Cette remise de solidarité a donc pour effet de libérer Madame C., bénéficiaire de cette remise de solidarité, des charges de la solidarité au niveau de l'obligation à la dette : elle reste donc tenue pour sa part.

Ainsi, c’est à tort que le premier juge a retenu une indivisibilité et a jugé que Madame C. restait tenue de toutes les obligations relatives à ces crédits.

Concernant les crédits du 6 novembre 2007 et du 18 juillet 2008, Madame C. invoque le dol ou une réticence dolosive.

A cet égard, la Cour rappelle que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Le silence peut être constitutif de dol lorsqu'il a pour but d'induire l'autre partie en erreur sur la convention. Il appartient à la partie qui s'en prévaut de démontrer qu'en l'absence de ce silence, la convention n'aurait pas été conclue.

En l’espèce,  aucune manœuvre ou réticence dolosive, au sens où il s'agit d'une rétention d'information volontaire et destinée à tromper l'autre partie, n'est démontrée par Madame C., sur base des pièces en possession de la Cour.

Enfin, Madame C. estime que la SCRL C a commis une faute, en sa qualité de dispensateur de crédit, en allouant un crédit d'une telle ampleur à une activité nouvelle, sans vérification des chiffres et en n'informant pas correctement la sûreté personnelle des risques qu'elle encourrait.

La Cour rappelle que dans le cadre de l'octroi du crédit, l'obligation du banquier comporte deux volets: il est tenu d'une obligation d'information, d'une part, d'une obligation d'investigation, d'autre part.

La Cour constate, en l’espèce que, sur base d'une analyse marginale, il faut bien admettre que l'analyse de la banque est sommaire et imprudente.

Sur base de l’ensemble du dossier, il apparaît que la banque a dès lors consenti un crédit en 2007 à la SPRL de manière fautive à l'égard des sûretés car ce crédit est disproportionné et excède largement les capacités de remboursement de la société.

La Cour dit l'appel recevable et fondé, réforme le jugement entrepris et dit les demandes de Madame C. fondées.

La Cour libère Madame C. des engagements qu'elle a pris suite à la lettre accréditive du 6 novembre 2007 et de l'acte d'ouverture de crédit hypothécaire du 5 février 2008 avenu devant le notaire.

 

Bon à savoir

L'épouse du gérant d'une société, qui n'est pas elle‐même gérante ou actionnaire, doit être considérée comme un tiers à l'égard du banquier lorsqu'elle intervient en qualité de sûreté (codébiteur solidaire, apport en nantissement de son assurance‐groupe, octroi d'une hypothèque sur un bien immobilier). 2

La responsabilité du dispensateur de crédit à l'égard de ces tiers ne peut s'apprécier par référence à la notion d'emprunteur averti. Si le comportement du banquier doit s'apprécier au jour où il décide d'accorder le crédit, il est permis d'avoir égard aux suites de cette décision pour vérifier si elle était déraisonnable ou non. 3

Lorsqu’un nouveau crédit est octroyé avec imprudence et légèreté 4, car le crédit est disproportionné aux capacités financières de la société, le banquier réduit considérablement les chances des sûretés de ne pas être inquiétées. La libération de celles‐ci constitue la modalité la plus adéquate de la réparation en nature du dommage qui leur est causé par la faute commise à leur égard par la banque 5 .

Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.

______________________

1. Cour d'appel, Mons (Mons) 2013/RG/723, 20/01/2015, RG : 2013/RG/723.

2. C. BIQUET-MATHIEU., « De quelques considérations en matière de sûretés », Rev. Dr. ULg. 2006, liv. 1-2, 27-41.

3. J.P. BUYLE ET M. DELIERNEUX, Information et conseil en matière de crédits,  RDC, 2010, p. 135‐138.

4. Voyez : A. ANDRE-DUMONT., « La responsabilité du banquier », in Responsabilités professionnelles. L'agent immobilier, l'expert judiciaire et le banquier, 89-120.

5. Voyez : Civ. Anvers (11e ch.), 18 février 2010. ‐ R.W., 2010‐2011/34, p. 1447‐1450.