La donation indirecte - Preuve - Valeur probante de l'état liquidatif
Présentation des faits 1
Madame S. est décédée le 14 décembre 2001. Ses enfants sont Monsieur R. et Madame A. Le fils de la défunte (Monsieur R.), a un enfant qui est Madame E., née en 1991.
Par acte du 05.12.1966, le notaire F. recevait le testament authentique de Madame S., lequel était rédigé comme suit : « ...Je lègue par préciput et hors part et avec dispense de rapport tout ce que la loi me permet de disposer en pleine propriété à mon fils R. demeurant avec moi, je l'institue pour mon légataire universel ».
Madame S. était titulaire auprès de la banque d'un dossier titres ouvert le 07.01.1997 et clôturé le 19.04.2002.
Le 12.07.1999, les parents de Madame E. agissant en qualité d'administrateurs des biens de leur fille alors âgée de 8 ans, faisaient l'acquisition de l'immeuble pour la somme de 3.908.358 BEF (soit 96.900,53 euros) ; ces montants furent payés par Monsieur R. au moyen des chèques qui furent remis au notaire G.
A l'époque, Monsieur R. était titulaire d'une ligne de crédit laquelle présentait, au 06.12.1999 un solde négatif de - 3.877.655 BEF (soit - 96.124,55 euros).
Le 04.07.2001, Mme S. demanda le rachat des titres figurant dans le dossier-titres et en versa la contrevaleur nette soit 98.882,21 euros à Monsieur R.
Par courrier du 07.03.2002, Monsieur R. signalait que Madame S. avait acheté des biens immobiliers à sa petite fille E.
Par courrier du 15.03.2002, Monsieur R. revenait sur ce courrier : « ...Je rectifie la lettre que je vous ai envoyée ce 04.03.2002 concernant les biens immobiliers de sa petite fille, j'ai fait une erreur car j'ai les preuves bancaires et notariales, c'est bien moi qui ai fait l'emprunt et qui paie la maison et encore à l'heure actuelle... ».
Par jugement du 26.03.2003, le Tribunal de première instance de Charleroi désignait les notaires DA et RO en vue de procéder à la liquidation-partage de la succession de Mme S., le notaire DU étant désigné en vue de représenter les parties défaillantes.
Deux procès-verbaux d'ouverture des opérations furent établis.
Par courrier du 01.12.2004, le notaire G. signalait que le prix d'acquisition de l'immeuble avait été financé par le biais de trois chèques établis par Monsieur R.
Par courrier du 15.02.2007, la banque signalait ce qui suit : « ...Il ressort que Mme S. nous était connue en tant que titulaire du dossier-titres, ouvert le 07.01.1997 et clôturé définitivement le 19.04.2002. ... Comme vous pouvez le constater...le 04.07.2001, Mme S. a demandé le rachat des titres, la contre valeur nette soit 98.882,21 euros a été versée au nom de Monsieur R. »
Un procès-verbal de dires et difficultés fut dressé le 03.07.2008.
Un état liquidatif fut établi le 23.03.2010 ; au terme de celui-ci, les notaires instrumentants évoquèrent l'existence de plusieurs donations en faveur de Monsieur R ou de sa fille :
- Le compte-ouvert auprès de la banque liquidé sur le compte de Monsieur R. pour un montant de 98.882,21 euros ;
- Différentes opérations bancaires effectuées avant le décès au profit de Monsieur R. pour un montant de 21.070,95 euros ;
- 33 parts du sicav qui ont été présentés à la vente le 02.07.2003 par Monsieur R. pour un montant de 10.846,53 euros ;
- Donation à Mme E. du prix et des frais d'acquisition de l'immeuble pour 96.900,54 euros.
La donation en faveur de Mme E. est invoquée dans les termes suivants par les notaires :
« ... Monsieur R. aurait acquis au profit de son enfant mineur, Mademoiselle E. un immeuble ... Il semble résulter d'un courrier écrit par Monsieur R. en date du 07.03.2002 que c'est la défunte qui a payé cette acquisition... »
Par citation du 12.10.2012, Madame A. (fille de la défunte) sollicitait du Tribunal de première instance de Charleroi la condamnation de Mme E. au paiement de la somme de 21.120,65 euros majorée des intérêts depuis le 14.12.2001 correspondant à la réduction de la donation dont aurait bénéficié Madame E.
Par jugement du 04.02.2014, le Tribunal de première instance de Charleroi déboutait Madame A. Cette dernière interjeta appel de ce jugement par requête du 28.03.2014.
Décision de la Cour d’appel de Mons
La Cour constate que Madame A. invoque l'existence d'une donation indirecte de feue Madame S. en faveur de sa petite-fille (Madame E.) et sollicite la réduction de celle-ci à concurrence de la quotité disponible.
Selon Madame A., l'achat de l'immeuble aurait été effectué par les parents de Mme E., en son nom, au moyen de fonds reçus de Mme S.
La Cour rappelle qu’une donation indirecte, faite par un acte qui ne porte pas donation et qui, soumis à des règles de forme propre, échappe aux règles de forme des donations (ex: le paiement pour autrui avec intention libérale, la remise de dette animo donandi, etc...) se prouve par toutes voies de droit.
Ainsi, il incombe à celui qui invoque l'existence d'une donation indirecte d'établir, d'une part, l'acte neutre qui sert de support à la donation et, d'autre part, l'animus donandi.
En l'espèce Madame A. soutient que la preuve de cette donation découle du courrier du 07.03.2002 de Monsieur R. sur base duquel les notaires instrumentants retiennent l'existence d'une donation de Mme S. en faveur de sa petite fille dans l'état liquidatif du 23.03.2010.
Mme E. n'ayant pas participé à la procédure de liquidation-partage de la succession de Mme S., elle est tiers par rapport à celle-ci.
La Cour considère que les attestations et constatations personnelles du notaire ou en d'autres termes, ce qui est accompli ou constaté par l'officier public vaut, à l'égard des tiers comme entre parties, jusqu'à inscription de faux.
S'agissant des énonciations des parties à l'acte notarié, la question se pose de savoir si celles-ci s'imposent aux tiers.
Les énonciations sont les déclarations constatées dans l'acte qui ne sont pas un élément du dispositif de sorte qu'elles pourraient être retranchées sans que l'acte en devienne incomplet.
Il convient de distinguer le dispositif et les énonciations ayant avec lui un rapport direct d'une part, et les énonciations étrangères au dispositif d'autre part. L'énonciation indirecte est une déclaration unilatérale faite par l'une des parties à l'acte. Le dispositif et les énonciations en rapport direct avec lui font foi jusqu'à preuve contraire entre les parties à l'acte.
A contrario, les énonciations n'ayant pas un rapport direct avec le dispositif de l'acte sont inopposables aux tiers même si elles peuvent servir de commencement de preuve par écrit à l'égard des parties à l'acte.
La déclaration unilatérale de Monsieur R. relative à l'existence d'une éventuelle donation du de cujus en faveur de Mme E., tiers à la procédure de liquidation-partage doit s'analyser comme une énonciation indirecte qui n'a aucune force probante à l'égard de cette dernière.
On ne pourrait en effet admettre que des tiers soient engagés par n'importe quelle affirmation unilatérale émanant d'une des parties à l'acte liquidatif.
En l'espèce, la déclaration unilatérale de Monsieur R. faisant état d'une donation en faveur de Mme E. est donc inopposable à celle-ci.
Elle est d'autant plus dépourvue de force probante que Monsieur R. est revenu immédiatement sur cette déclaration dans un second courrier et qu'elle fut le seul fondement à l'appui de l'avis des notaires quant à l'existence d'une possible donation de Mme S. en faveur de sa petite fille E.
Il découle de ce qui précède qu'il ne s'opère pas un renversement de la charge de la preuve de l'existence d'une donation, laquelle incombe donc toujours à Madame A.
En l'espèce, il n'est nullement démontré que Mme E. aurait bénéficié d'une donation indirecte de la part de sa grand-mère.
La Cour constate que Monsieur R. a financé l'achat de la maison de sa fille par le biais d'une ouverture de crédit et non pas au moyen de fonds qui lui auraient été préalablement remis par Mme S.
Il résulte de ce qui précède que l'appel est non fondé.
Bon à savoir
Une donation indirecte 2, faite par un acte qui ne porte pas donation et qui, soumis à des règles de forme propre, échappe aux règles de forme des donations (ex: le paiement pour autrui avec intention libérale, la remise de dette animo donandi, etc...) se prouve par toutes voies de droit. 3
Ainsi, il incombe à celui qui invoque l'existence d'une donation indirecte d'établir, d'une part, l'acte neutre qui sert de support à la donation et, d'autre part, l'animus donandi. 4
Les attestations et constatations personnelles du notaire ou en d'autres termes, ce qui est accompli ou constaté par l'officier public vaut, à l'égard des tiers comme entre parties, jusqu'à inscription de faux.
La déclaration unilatérale relative à l'existence d'une éventuelle donation du de cujus en faveur d’une personne, tiers à la procédure de liquidation-partage doit s'analyser comme une énonciation indirecte qui n'a aucune force probante à l'égard de cette dernière.
En effet, les énonciations n'ayant pas un rapport direct avec le dispositif de l'acte sont inopposables aux tiers même si elles peuvent servir de commencement de preuve par écrit à l'égard des parties à l'acte.
On ne pourrait en effet admettre que des tiers soient engagés par n'importe quelle affirmation unilatérale émanant d'une des parties à l'acte liquidatif. 5
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cour d'appel de Mons - arrêt n° F-20150204-4 (2014/RG/274) du 4 février 2015 © Juridat, 17/03/2015, www.juridat.be.
2. E. DE WILDE D’ESTMAEL., « Donations », Rép. not., Tome III, Successions, donations et testaments, Livre 7, Bruxelles, Larcier, 2009, n° 193.
3. B. GOFFAUX, « La question de la qualification de la donation indirecte et les conséquences qui en découlent au point de vue du mode de preuve de la donation », Rec. gén. enr. not. 2000, 437-438.
4. ROSOUX, « les donations entre vifs, in « libéralités et successions, CUP, vol 134, p. 123, n°44.
5. Voyez : J. SACE., « De la donation indirecte », J.L.M.B., 2007/18, p. 733.