Le notaire et son devoir de conseil – Conditions de levée d’hypothèque
Présentation des faits 1
Monsieur E et Madame C ont vendu à leur fils, Monsieur P, une maison d’habitation. L’acte a été signé en l’étude du notaire D le 30 août 1990.
L’acte précise que le bien est vendu « sous les garanties ordinaires de fait et de droit et pour quitte et libre de toutes charges, hypothèques et privilèges quelconques ».
Le prix de la vente était de 1.500.000 BEF et avait été remis le jour-même aux vendeurs sous forme de chèque.
Au moment de la vente, l'immeuble était grevé d'une hypothèque consentie par les époux E-C au profit de la banque dans le cadre d'un crédit.
Un courrier avait été adressé le 30 août 1990 par la banque au notaire D précisant que celle-ci était disposée à consentir la mainlevée de l'inscription hypothécaire sur l'immeuble concerné par la vente à condition que :
1) l'arriéré, d'un montant de 285.000 BEF à ce moment, soit entièrement apuré.
2) soit opéré un transfert d'hypothèque sur d'autres biens appartenant aux époux E.-C.
Le notaire D a versé à la banque la somme de 285.000 BEF le 13 mars 1991 mais, aucune formalité n'a été accomplie pour le transfert d'hypothèque.
Par ailleurs, le fils P s’est marié avec Madame G sous le régime de séparation des biens. Ils ont constitué une société dans laquelle ils déclarent faire entrer l'immeuble, propriété acquise par P.
Le contrat de mariage précise que l'entrée de cet immeuble dans la société constituée par les futurs époux a lieu sous plusieurs conditions dont celle relative à la circonstance que «les biens sont apportés quittes et libres de toutes charges et dettes hypothécaires ou privilégiées».
Monsieur P est décédé le 25 août 1991. Le crédit consenti par la banque a été dénoncé.
L'immeuble a fait l'objet, le 7 décembre 1998, d'une saisie-exécution immobilière à la requête de la banque. Cet immeuble a été adjugé en vente publique le 9 décembre 2000 pour la somme totale de 2.270.000 BEF hors frais. La totalité du produit de cette vente, après déduction du passif, a été versée à la banque.
Par exploit signifié le 10 juillet 2003, Madame G a cité le notaire D devant le Tribunal de première instance de Huy, mettant en cause sa responsabilité professionnelle et sollicitant sa condamnation à lui payer la somme de 61.973,38 EUR, représentant la valeur de l'immeuble (61.973,38 EUR), un dommage moral (2.500 EUR) ainsi que diverses taxes et les précomptes immobiliers (2.119,45 EUR).
Par jugement du 22 novembre 2004, le tribunal a dit la demande recevable et partiellement fondée et a condamné le notaire D à payer à Madame G, une somme de 64.473,38 EUR majorée des intérêts au taux légal depuis le 20 novembre 2000.
Par son appel, le notaire D critique ce jugement et en postule la réformation.
Décision de la Cour
La Cour rappelle que le notaire est tenu à un devoir de conseil qui est le corollaire du crédit et de la confiance attachés à sa mission. Ce devoir consiste à éclairer les parties à l’acte sur la portée et les effets de leurs engagements ainsi que sur leurs négociations.
Le notaire doit, notamment, attirer l’attention des parties sur tous les risques que présente l’opération, qu’ils soient d’ordre juridique ou d’ordre financier.
Le notaire considère qu’il n’est pas responsable car l’acheteur, Monsieur P, était le fils des vendeurs et connaissait l’état hypothécaire de la maison ainsi que les promesses de ses parents de transférer l’hypothèque sur d’autres immeubles.
La Cour estime que le fait qu’il s’agissait en l’espèce d’une vente intrafamiliale et que l’acte précisait que le bien était vendu « pour quitte et libre (...) » n’avait pas pour effet d’exclure le mandat du notaire concernant la liberté hypothécaire du bien.
En effet, dans la mesure où l’acte de vente ne comportait aucune condition suspensive liée à la levée de l’hypothèque, ni à tout le moins un engagement formel et exprès des vendeurs de respecter les conditions mises par le créancier hypothécaire de la banque à la levée de l’hypothèque sur le bien objet de la vente, il incombait au notaire D d’avertir l’acheteur, Monsieur P, du risque auquel il s’exposait, nonobstant les liens de parenté existant entre les parties, en payant directement au vendeur la totalité du prix de vente.
Or, le notaire D n’a jamais donné un tel avertissement. Le notaire D aurait dû, d’initiative, conserver en son étude, à titre de garantie, les fonds provenant de la vente jusqu’à ce que les vendeurs apportent la preuve du respect des conditions mises par la banque à la levée de l’hypothèque.
Par conséquent, le notaire D n’a pas agi comme aurait agi tout notaire normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances et a commis une faute.
Le notaire D a donc engagé sa responsabilité, et ce, sans qu’il soit nécessaire de se pencher sur les autres fautes imputées par les intimés.
Bons à savoir
Le notaire à un devoir de conseil à l’égard de ses clients et ce devoir de conseil est le corollaire du crédit et de la confiance attachés à la mission du notaire.
Ce devoir de conseil consiste à éclairer les parties à l'acte sur la portée et les effets de leurs engagements ainsi que sur les négociations.
Ainsi, il revient au notaire d’attirer l’attention des parties sur tous les risques que présente l'opération, qu'ils soient d'ordre juridique ou d'ordre financier.
A cet égard, il est intéressant de préciser que le devoir de conseil du notaire doit être donné d’initiative. 2
La doctrine et la jurisprudence considèrent, concernant la responsabilité notariale, que l'acquéreur donne au notaire le mandat tacite d'utiliser des fonds qu'il lui remet pour assurer la liberté hypothécaire du bien. 3
Lorsque le notaire n’avise pas l’acheteur des conditions de levée d’hypothèque émise par la banque ou à tout le moins, qu’il ne prend pas l’initiative de conserver en son étude à titre de garantie les fonds provenant de la vente, et ce, jusqu’à ce que les conditions de levée d’hypothèque soient réalisées, il commet une faute.
En effet, le notaire n'a pas agi comme aurait agi tout notaire normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances et a commis une faute engageant sa responsabilité.
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1. Liège (20 ech.), 05/03/2015, J.T., 2015/25, n° 6611, p. 549-551.
2. Liège, 17 mai 1990, J.L.M.B., 1990, p. 1421.
3. C. MELOTTE, « La responsabilité professionnelle des notaires », in Responsabilités - Traité théorique et pratique, titre II, dossier 28, p. 17.