La responsabilité du notaire et son devoir de conseil et d’information
Présentation des faits1
Par compromis du 26 février 2001 et par acte authentique du 1er juin 2001, Monsieur H a vendu à la SA D, son bien immobilier. Au moment de la passation de l'acte authentique, Monsieur H était célibataire, sans enfant, vivant seul et âgé de 74 ans.
Le bien immobilier a été vendu pour un montant de 8.676,27 euros.
En outre, il semble qu'au moment de la passation de l'acte authentique de vente, Monsieur H se trouvait manifestement dans une situation de faiblesse et d'infériorité lors de la phase précontractuelle et contractuelle de la vente de son habitation par rapport aux administrateurs de la SA D, les acquéreurs, dont l'un était son médecin-traitant et l'autre, la fille de ses proches voisins de longue date avec lesquels s'était nouée une relation de confiance.
Monsieur H est décédé de sorte que c'est Monsieur P qui a repris l'instance en sa qualité de légataire universel. Ce dernier demande au tribunal qu'il prononce l'annulation de cette vente pour violence et/ou pour dol et/ou pour erreur sur un élément substantiel et/ou pour violation de l'article 909 du code civil et/ou pour lésion qualifiée. En outre, il estime que le notaire a manqué à son devoir d'information et de conseil.
Par ailleurs, une expertise a eu lieu. Dans celle-ci, les experts concluent à l'existence de la lésion en ces termes : « Le bien a été acheté le 1er juin 2001 pour 8.676,27 euros. (...) Selon les articles 1674 et 1675 du code civil, la lésion est fixée à une différence de plus de sept douzièmes de la valeur estimée. (...) La lésion est ainsi fixée à un minimum de 27.416,67 euros. (...) La différence entre la valeur estimée et le prix reçu par le vendeur est de 47.000 euros - 8.676,27 euros = 38.323,73 euros. Il y a donc lésion. »
Décision du Tribunal civil de Tournai
Le tribunal se rallie à la conclusion du rapport des experts quant à l'existence de la lésion au sens de l'article 1674 du code civil laquelle est démontrée à suffisance de droit.
Le tribunal considère que les conditions d'application de la lésion qualifiée sont réunies en l'espèce, ladite lésion qualifiée étant constitutive d'un vice de consentement et sa sanction étant la nullité de la convention en son entier. 2
En effet, le tribunal constate que les trois conditions de la lésion qualifiée sont établies, à savoir, l'abus des passions, de la faiblesse, de l'inexpérience, de l'ignorance ou des besoins du cocontractant ; cet abus doit avoir déterminé de manière prépondérante le consentement du cocontractant ; cet abus doit être à l'origine d'un déséquilibre ou d'une disproportion manifeste entre les prestations réciproques des parties.
Le comportement abusif peut résulter d'un simple comportement actif fautif ou même d'un comportement passif d'abstention, comportement que n'aurait pas un homme normalement prudent, diligent et de bonne foi replacé dans les mêmes circonstances que celles de l'espèce. Pour la lésion qualifiée, l'on peut se contenter d'un usage passif de l'infériorité de l'autre partie et de la simple connaissance de cet état. Le simple fait d'avoir contracté consciemment, c'est-à-dire en connaissance de la situation difficile de l'autre partie et d'en avoir profité, suffit à caractériser « l'exploitation » d'autrui. 3
Dans les faits, la SA D a exploité l'état de faiblesse, d'infériorité et d'inexpérience de Monsieur H, abusant de leur emprise à son égard : bien plus de s'être abstenue de réagir comme l'aurait fait toute personne de bonne foi normalement prudente et diligente à l'annonce du prix de vente tout à fait dérisoire par feu H, l'administratrice de la SA D a eu l'outrecuidance de réduire la somme sous prétexte de la lourdeur de travaux de réparation et, ce qui est plus vil de sa part, en faisant miroiter le bénéfice de consultations médicales gratuites par son époux médecin-traitant de feu monsieur H.
Le Tribunal prononce donc l'annulation de la vente du bien litigieux avec restitution dudit bien, et ce, en présence d'une lésion qualifiée.
Par ailleurs, Monsieur P reproche au notaire X d'avoir failli à son devoir de conseil, d'équité et d'impartialité. Il revient à Monsieur P d'en rapporter la preuve.
Dans un courrier du 10 décembre 2001, le notaire X expose les circonstances de la vente mettant en avant les conseils dispensés à monsieur H en vue de l'obtention d'un meilleur prix de son bien. Il insiste sur son devoir de conseil et d'information qui est distinct du pouvoir de décision dont seul monsieur H est resté maître malgré ses mises en garde.
Le Tribunal constate qu'aucun élément ne vient appuyer les fautes professionnelles.
Il suit que sa responsabilité n'est pas engagée et que la réclamation à son égard manque de fondement.
Bon à savoir
Il y a lieu de considérer qu'il y a abus de la faiblesse, de l'ignorance ou des besoins du cocontractant, constituant une lésion qualifiée 4, lorsque le vendeur, âgé, cède son immeuble à un prix dérisoire 5 à des acquéreurs dont l'un était son médecin traitant et l'autre la fille de ses proches voisins avec lesquels s'était nouée une relation de confiance, que l'état de faiblesse et d'infériorité du vendeur l'a conduit à ne pas s'opposer aux conditions de la vente de sa maison, que les acquéreurs se sont abstenus de réagir comme l'aurait fait toute personne de bonne foi normalement diligente et prudente à l'annonce d'un prix de vente tout à fait dérisoire et qu'en outre, l'un des acquéreurs a fait miroiter au vendeur le bénéfice de consultations médicales gratuites.
La responsabilité du notaire n'est pas engagée lorsqu'il démontre avoir prodigué au vendeur les conseils dans le but d'obtenir un meilleur prix pour son bien. En effet, le devoir de conseil et d'information est distinct du pouvoir de décision dont seul le vendeur reste maître nonobstant les mises en garde du notaire. 6
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Tribunal civil Tournai (1ère chambre), 03/04/2008, J.L.M.B., 2010/22, pp. 1054-1059.
2. voy. J.T., 1993, « Regain de la lésion qualifiée en droit des obligations », p. 753 ; P. Van Ommeslaghe, « Examen de jurisprudence », R.C.J.B., 1986, n° 24, p. 79.
3. voy. J.T., 1993, op. cit., pp. 751 à 755, et La théorie générale des obligations, Formation permanente CUP, décembre 1998, p. 45.
4. P. Wéry, « La théorie générale du contrat », Rép. not., Tome IV, Les obligations, Livre 1/1, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 265 ; N. Résimont, « La lésion qualifiée », J.T., 2007/25, n° 6274, pp. 524-525.
5. Cour d'appel Liège (3e chambre), 09 janvier 2012, J.L.M.B., 2013/41, pp. 2077-2079.
6. J. Demblon, « Fonction notariale », Rép. not., Tome XI, Le droit notarial, Livre 5/1, Bruxelles, Larcier, 1992, n° 85 ; P. Harmel, « Organisation et déontologie du notariat », Rép. not., Tome XI, Le droit notarial, Livre 5, Bruxelles, Larcier, 1979, n° 61.