Le devoir de conseil du notaire – Divorce par consentement mutuel
Présentation des faits 1
Monsieur P et Madame M se sont mariés sous le régime de la séparation des biens.
En avril 1979, Madame M a emprunté à Monsieur D 500.000 Francs remboursables en 60 mensualités, son époux avait signé l’acte « Pour autorisation maritale ».
En juin 1979, les époux ont souscrit un prêt personnel à tempérament de 709.980 Francs remboursables en 60 mensualités.
En août 1985, le notaire X a reçu les conventions préalables au divorce par consentement mutuel des époux.
Lesdites conventions prévoyaient notamment ce qui suit :
« Les requérants déclarent qu'ils ont ensemble conclu un contrat de prêt à tempérament auprès de la S.A. Finance et Industrie (...), prêt intégralement remboursé par eux durant leur vie commune. Monsieur P déclare ne rien revendiquer à ce sujet à son épouse, le tout pour autant que Madame M prenne l'entièreté des frais de la procédure à sa charge, ce qu'elle déclare accepter » (p. 4) ;
Que, le même jour, les époux ont signé, en l'étude du notaire X, un acte sous seing privé «complémentaire» aux dites conventions préalables, acte aux termes duquel Madame M s'engageait «à la décharge de son mari» :
- à rembourser intégralement de ses propres deniers toutes les sommes dont les époux pourraient rester redevables envers Monsieur D ;
- à rembourser 175.000 Francs à son époux, à titre forfaitaire et définitif, à la suite, entre autres du remboursement par les époux, conjointement, du prêt contracté auprès de la S.A. Finance et Industrie, … ».
En mai 1987, le jugement autorisant les parties à divorcer par consentement mutuel a été transcrit dans les registres de l'état civil.
En mai 1989, Monsieur P a écrit par la voie de son conseil, à l'employeur de Madame M pour le prier de demander à cette dernière si elle était disposée à lui consentir une cession de salaire en vue de l'apurement de sa dette de 175.000 Francs.
Madame M n'a réservé aucune suite à cette demande et a précisé, dans un courrier du 3 janvier 1991, le motif de ce refus, étant essentiellement la nullité de la contre-lettre que constituait l'acte sous seing privé du 27 août 1985 par rapport aux conventions préalables passées le même jour.
Monsieur P a imputé le refus de remboursement au notaire X de sorte qu’il a introduit une procédure à son encontre le 7 décembre 1990 en vue de l'entendre condamner au paiement des 175.000 Francs susdits.
Le premier juge a fait droit à cette demande de sorte que le notaire X a fait appel de la décision.
Décision de la Cour
La Cour constate que l'acte sous seing privé du 27 août 1985, signé avant la transcription du divorce, est incontestablement nul, dès lors qu'il se heurte au principe de l'immutabilité des conventions passées en application de l'article 1287 du Code judiciaire.
En outre, il est constant que le notaire X n'a pas attiré l'attention de Monsieur P sur cette nullité et sur les difficultés corrélatives auxquelles l'exécution dudit acte était susceptible de donner lieu, alors que cet acte a été passé en son étude en même temps que les conventions préalables au divorce.
La Cour estime donc que le notaire X a manqué à son devoir de conseil. Toutefois, pour engager sa responsabilité, il appartient à Monsieur P d’établir l’existence d’un dommage en relation causale avec la faute du notaire.
Après analyse des pièces et argumentations des parties, la Cour considère que Monsieur P reste en défaut de prouver que, sans la faute reprochée au notaire X, Monsieur P aurait pu obtenir le paiement les 175.000 Francs en question, et donc que ladite faute serait en relation causale avec le préjudice vanté par ce dernier.
Enfin, la Cour constate que Madame M a, volontairement et en connaissance de cause, exécuté partiellement l'acte sous seing privé du 27 août 1985, en remboursant intégralement le prêt qui lui avait été consenti par Monsieur D, et a ainsi confirmé ledit acte.
Madame M a donc partiellement exécuté la contre-lettre du 27 août 1985. La Cour estime que le remboursement par Madame M du prêt consenti ne peut être interprété que comme impliquant, de sa part, une volonté de renoncer à invoquer la nullité entachant l'acte sous seing privé du 27 août 1985.
La Cour estime, en tout état de cause, que le lien causal entre la faute du notaire et le dommage de Monsieur P n’est pas établi.
Bon à savoir
Au regard de l’article 1293 du Code judiciaire, « Lorsque, dans le mois à compter du jour du dépôt de la requête et avant l'éventuelle comparution des parties visée à l'article 1289, §§ 2 et 3, les époux ou l'un d'eux font état de circonstances nouvelles et imprévisibles, dont la preuve est dûment apportée, modifiant gravement leur situation, celle de l'un deux ou celle des enfants, ils peuvent soumettre ensemble à l'appréciation du juge, une proposition de modification de leurs conventions initiales. »
Hormis l’hypothèse reprise par cette disposition, les conventions préalables à divorce peuvent être modifiées durant la procédure, et ce, même de commun accord entre les parties. 2
Toutefois, les contre-lettres conclues pendant la procédure de divorce par consentement mutuel sont nulles, dès lors qu'elles se heurtent au principe de l'immutabilité des conventions préalables. Il s’agit d’une nullité absolue car elles enfreignent les règles régissant la procédure en divorce par consentement mutuel qui est d'ordre public. 3
Cela étant dit, une fois la procédure en divorce terminée et le divorce transcrit, les époux sont libres de contracter sur de nouvelles bases. 4
En ce qui concerne la responsabilité du notaire, ce dernier manque à son devoir de conseil et commet une faute lorsqu’il n'attire pas l'attention des parties ni sur la nullité de la contre-lettre, ni sur les difficultés auxquelles son exécution est susceptible de donner lieu.
Cela étant, sa responsabilité ne peut pas être engagée s’il n’est pas établi que sa faute est en relation causale avec le dommage subi par l'un des ex-époux. 5
En effet, le notaire est tenu de conseiller les parties, ce qui constitue une obligation de moyen. Sa responsabilité n'est engagée que lorsqu’est démontré(e) une faute ou un manquement ensuite de laquelle ou duquel une partie contractante subit un dommage en relation causale avec cette faute ou ce manquement. 6
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Bruxelles, 9 mai 1997, R.G.D.C., 1998, 218, note COUQUELET, C.
2. A. Duelz, Le droit du divorce, 2ème éd., Bruxelles, Larcier, 1996, p. 297, n° 400.
3. Liège, 15 déc. 1987, Rev. trim. dr. fam., 1988, p. 552.
4. C. COUQUELET., « Validité des contre-lettres aux conventions préalables à divorce par consentement mutuel et responsabilité professionnelle du notaire », R.G.D.C. 1998, 221-230 ; Cass. 15 mai 2006, R.G.D.C. 2007, p. 23, note S. MOSSELMANS.
5. Liège, 14 déc. 1993, J.L.M.B., 1994, p. 137 ; P. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, vol. I, 4e éd. par J.P. Masson, n° 833, et note 2, p. 841.
6. Anvers 9 mai 2007, RABG 2009, liv. 4, 272, note GOVAERTS, M.