La prescription de la responsabilité du notaire – Question préjudicielle
Présentation des faits 1
Dans les faits, A et B sont mariés et acquièrent un immeuble. Quelques années après l'achat de ce dernier, ils consentent une inscription hypothécaire sur l'immeuble commun au profit de l'Office central des crédits hypothécaires (OCCH).
Lorsque les époux ont divorcé par consentement mutuel, les conventions préalables au divorce attribuaient l'immeuble commun à A. L'acte notarié mentionnait une seule hypothèque à charge de l'immeuble en garantie du remboursement du crédit octroyé pour son acquisition. L'acte indiquait également que A doit payer à B une somme forfaitaire et transactionnelle dans les deux mois de la transcription du divorce, étant entendu que passé ce délai, quel que soit le motif de retard, la soulte serait productive d'un intérêt de retard.
L'acte authentique entérinant ces transactions a été reçu par le notaire X.
A n'a pas payé la soulte à B au motif que la seconde hypothèque qui a été consentie au profit de l'O.C.C.H. aurait seulement été évoquée lors des démarches qu'il a entreprises pour obtenir un nouveau prêt hypothécaire en vue du paiement de la soulte. Or cette hypothèque l'empêchait de demander un prêt.
En 2009, A lance une citation, elle reproche au notaire X d'avoir failli à ses obligations professionnelles en mentionnant à tort que le bien n'était grevé que d'une seule inscription hypothécaire et en omettant de faire état de celle faite en garantie du prêt consenti par l'O.C.C.H.
Le premier juge considère que le litige porte sur la responsabilité contractuelle du notaire. Toutefois, la cour d'appel estime qu'en application de deux arrêts de la Cour de cassation, elle doit être considérée comme étant extracontractuelle.
La cour d'appel de Mons a posé la question préjudicielle suivante : « Les alinéas 1er et 2 du paragraphe 1er de l'article 2262bis du Code civil violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'ils créent une discrimination injustifiée entre : la victime qui réclame la réparation du dommage causé par une faute contractuelle, et la victime qui réclame la réparation du dommage causé par une faute extracontractuelle? »
Décision de la Cour constitutionnelle
La Cour, considérant que le litige porte sur une faute reprochée au notaire à l'occasion d'un acte authentique, dit qu'il y a lieu de prendre en compte l'article 2276 du Code civil.
Ce dernier dispose que « Les délais de prescription de droit commun sont applicables à la responsabilité professionnelle des notaires, à l'exception de la responsabilité professionnelle en raison de dispositions à cause de mort et d'institutions contractuelles pour laquelle le délai de prescription ne commence à courir qu'au jour du décès de l'intéressé ayant pris des dispositions à cause de mort ou des institutions contractuelles ».
La Cour de cassation a dans un arrêt considéré que la responsabilité du notaire qui établit, à la demande de son client, un acte sous seing privé, signé par la suite en son étude, est de nature contractuelle à l'égard de ce client. 2 De sorte que la faute commise par le notaire à l'occasion de l'établissement d'un acte authentique engagerait sa responsabilité quasi délictuelle.
La Cour constitutionnelle s'interroge sur la différence de traitement qu'établirait la disposition en cause entre les clients victimes d'une faute commise par leur notaire, selon que celui-ci agisse dans le cadre de l'établissement d'un acte sous seing privé ou d'un acte authentique.
Dans le premier cas, le délai de prescription de l'action en réparation du dommage serait de dix ans, alors que dans le second, il serait de cinq ans à partir du jour qui suit celui où la victime a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l'identité de la personne responsable.
La Cour constitutionnelle rappelle que l'article 2276quinquies du Code civil a été introduit dans le Code civil par la loi du 4 mai 1999. Alors que le projet initial entendait prévoir des délais de prescription particuliers en vue de s'inscrire dans la logique des mesures prises par le législateur pour les avocats et les experts 3, un nouveau texte a finalement été introduit par le gouvernement par voie d'amendement 4 destiné à traduire les points de vue exprimés en commission 5. C'est ainsi qu'ont été retenues les règles de prescription de droit commun pour la responsabilité professionnelle des notaires.
Il ressort tant de la loi relative à l'organisation du notariat que de ses travaux préparatoires que le devoir de conseil du notaire ne se distingue pas selon qu'il agit en tant qu'officier public ou en tant que conseiller juridique. Quelle que soit la qualité dans laquelle il agit, le notaire est, en effet, tenu d'accomplir sa mission de recherche et d'information avec la même objectivité, indépendance, probité et impartialité.
Par conséquent, il n'est pas raisonnablement justifié que les victimes disposent d'un délai différent pour agir alors que dans les deux cas, elles font le choix du notaire à qui elles confient une mission et alors que dans l'un et l'autre cas, le notaire doit faire preuve des mêmes qualités professionnelles, répondant ainsi à la confiance qui lui est accordée au motif, notamment, de la qualité d'officier public qu'il revêt.
Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse positive.
La disposition en cause, lue en combinaison avec l'article 2276quinquies du Code civil, est toutefois susceptible d'une autre interprétation. En effet, rien ne permet d'exclure que, hormis le cas où il est commis par voie de justice, la responsabilité du notaire à l'égard du client qui lui confie l'établissement d'un acte authentique soit de nature contractuelle.
Dans cette interprétation, la différence de traitement est inexistante et la question préjudicielle appelle une réponse négative.
Bon à savoir
Rien ne permet d'exclure que, hormis le cas où il est commis par voie de justice 6, la responsabilité du notaire à l'égard du client qui lui confie l'établissement d'un acte authentique soit de nature contractuelle.
Dans l'interprétation suivant laquelle des délais de prescription différents s'appliquent à l'action en réparation d'un dommage causé au client du notaire en raison de la faute de celui-ci, selon que cette faute soit commise à l'occasion de l'établissement d'un acte sous seing privé ou d'un acte authentique, l'article 2262bis, § 1er, alinéas 1er et 2, du Code civil, lu en combinaison avec son article 2276quinquies, viole les articles 10 et 11 de la Constitution. 7
Dans l'interprétation suivant laquelle le même délai de prescription de dix ans s'applique à l'action en réparation d'un dommage causé au client du notaire en raison de la faute de celui-ci lorsque cette faute est commise à l'occasion de l'établissement d'un acte authentique, l'article 2262bis, § 1er, alinéas 1er et 2, du Code civil, lu en combinaison avec son article 2276quinquies ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. 8
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1. Cour constitutionnelle, 13/12/2012, J.T., 2013/32, n° 6534, pp. 627-629.
2. Cass., 23 octobre 2008, Pas., 2008, n° 576.
3. Doc. parl., Ch., 1997-1998, n° 1432/1 et n° 1433/1, pp. 40-41.
4. Doc. parl., Ch., 1997-1998, n° 1432/18, p. 40)
5. Doc. parl., Ch., 1997-1998, n° 1432/19, p. 85
6. Cass., 16 avril 2009, Pas., 2009, n° 253.
7. D. Sterckx, « La prescription de l'action en responsabilité notariale devant la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation », J.T., 2013/32, p. 623.
8. C. Dalcq, « Vers une responsabilité contractuelle généralisée du notaire envers son client », R.G.A.R., 2013, n° 14955.