La responsabilité du notaire - Dol
Présentation des faits 1
Dans les faits, Madame K perd brutalement son fils unique en 1997 alors qu'elle est âgée de 87 ans, qu'elle est physiquement handicapée et que son fils, célibataire, s'occupait d'elle. Elle hérite de la maison de son fils.
Très rapidement, elle devient le centre de toutes les attentions de Madame R., laquelle se présente comme une amie intime du fils. Madame R. s'installe avec Madame K. dans la maison.
Dès le mois de septembre 1997, Madame R. entreprend Madame K. de la possibilité de lui laisser l'immeuble, par le biais tout d'abord d'une vente, puis d'une vente de la nue-propriété, afin, explique-t-elle, d'éluder des droits de succession importants entre personnes non apparentées. Il est question en contrepartie, pour Madame R., de s'engager à s'occuper de Madame K. à domicile.
Madame R. n'ayant toutefois pas les fonds pour acheter, doit emprunter pour ce faire. Madame K. est amenée à emprunter avec elle la somme nécessaire à cette fin, soit 1.500.000 FB prêtés par la banque.
Alors que la vieille dame est la venderesse du bien, elle se retrouve en réalité non seulement codébitrice solidaire du prêt qui finance ce prix, mais encore garante de son remboursement par une hypothèque prise sur sa maison, par l'affectation de sa pension en cession de salaire, et par la constitution d'un nantissement de 600.000 FB prélevés sur le prix qui lui revient.
Madame R. ne s’est pas occupée de Madame K., d’ailleurs elle a pris soin de faire disparaître la promesse dans l'acte de vente finalement signé.
Le directeur d'un home saisit le magistrat cantonal. Par ordonnance du 25 avril 2000, le juge de paix du canton de Spa désigne Maître E. en qualité d'administrateur provisoire des biens de Madame K.
Celui-ci découvre que Madame K. n'a plus rien et est couverte de dettes. Face à ce constat, Maître E. obtient l'autorisation d'agir tant au civil qu'au pénal.
Au civil, il assigne non seulement Madame R., mais encore la banque et le notaire X qui a passé le 18 juin 1998 les actes notariés de vente et de prêt avec constitution d'hypothèque.
Il postule : la nullité de la vente de la nue-propriété, la nullité du prêt hypothécaire, la condamnation in solidum de Madame R., de la banque et du notaire X à lui payer l'intégralité des sommes déboursées suite aux actes litigieux, ainsi que des dommages et intérêts qu'il affinera par la suite.
Le jugement entrepris fait largement droit à sa demande. La banque critique le jugement en ce qu’il prononce la nullité du prêt ; Madame R. poursuit la réformation du jugement entrepris en ce qu'il annule la vente qu'elle considère comme parfaitement valable. Enfin, le notaire X conteste les fautes qui lui sont reprochées et conclut au non-fondement de la demande à son encontre.
Décision de la Cour d’appel de Liège
La Cour constate que le consentement donné par Madame K. à la vente de la nue-propriété de son immeuble et à l'emprunt contracté pour financer l'opération, a été obtenu dolosivement par Madame R.
Le dol dont s'est rendue coupable Madame R. entraîne la nullité de la convention de vente et de la convention de prêt car il est évident que sans les manœuvres de cette dernière, notamment pour convaincre la vieille dame qu'elle s'occuperait d'elle à domicile jusqu'à la fin de ses jours, Madame K. n'aurait jamais imaginé vendre la nue-propriété de son immeuble, ni encore moins emprunter, à l'âge de 88 ans, de quoi payer le prix devant lui revenir.
Les rapports de l'expert psychiatre considère que Madame K. n'était pas hors d'état de gérer ses biens et ne souffrait d'aucune incapacité réelle. Désemparée à la suite du décès de son fils, elle s'est simplement laissée séduire par Madame R. et son apparente gentillesse au point de s'abandonner totalement à son emprise.
En conclusion, le jugement entrepris doit être entièrement confirmé en ce qu'il prononce la nullité des actes de vente et de prêt pour dol. La nullité de l'acte de prêt entraîne la nullité de l'hypothèque prise en garantie de celui-ci.
Responsabilité du notaire
Il était demandé au notaire X d'authentifier un acte qui rendait une dame de 88 ans codébitrice d'un prêt de 15 ans, souscrit pour lui payer le prix de ce qu'elle-même vendait, et redevable, qui plus est, des garanties. Le notaire X s’est adressé à la banque, se doutant bien que Madame K. n'était pas à même de prendre la juste mesure de l'opération ni par conséquent, de comprendre ses mises en garde à leur juste valeur.
Le notaire X a donc été alerté par le contenu des actes et a écrit à la banque en lui demandant des explications : pourquoi Madame K. est-elle reprise comme codébitrice du crédit ? Pourquoi n'est-il plus prévu que Madame R. s'engage à fournir le logement à Madame K. ?
S'il n'encourt aucun grief de s'être adressé à la personne de contact apparaissant au dossier de crédit comme la mandataire, il faut en revanche stigmatiser sa passivité subséquente.
En effet, sans réponse de la banque, le notaire X n'insiste pas, n'envoie pas de rappel et surtout, accepte de passer les actes, quelque part, en s'en lavant les mains.
Il manque à cette occasion, à l'évidence, aux devoirs de sa charge puisqu'alors qu'il nourrit, à juste titre, des doutes quant à la légitimité des actes qu'on lui demande de passer, et que le mutisme de la banque aurait dû le rendre d'autant plus circonspect, il va finalement accepter de prêter son ministère à l'authentification de ceux-ci, sans autre forme de procès.
Le courrier fait à la banque révèle que le notaire a eu conscience qu'il ne lui suffisait pas, en l'espèce, de mettre en garde Madame K. contre les risques encourus.
La Cour considère que tant que le notaire X n'obtenait pas des réponses franches et satisfaisantes aux questions qu'il posait, il se devait de refuser de passer les actes car ceux-ci n'étaient pas exempts, à l'évidence, d'indices d'une éventuelle malversation au préjudice d'une personne particulièrement faible qui, d'une situation financière saine, allait passer à un lourd endettement susceptible de la ruiner.
La Cour indique, par ailleurs, que la relation de causalité entre la faute du notaire et le préjudice de Madame K. est établie. En effet, il ne peut être contesté que si le notaire avait refusé de passer les actes, comme il aurait dû le faire en l'état, le dommage de Madame K. n'aurait pas pu se produire comme il s'est concrètement produit.
Le dommage subi par Madame K. ayant été causé par les fautes concurrentes de Madame R., de la banque et du notaire X, ces trois protagonistes doivent, en règle, être condamnés in solidum à l'indemnisation de ce dommage.
La Cour d’appel confirme le jugement entrepris en ce qu'il :
- Annule la vente de la nue-propriété de la maison et le prêt hypothécaire ;
- Dit pour droit que pour l'indemnisation à laquelle Madame R., la banque et le notaire X sont condamnés in solidum, la contribution à la dette entre eux est répartie à concurrence de 50 % à charge de Madame R., 30 % à charge de la banque et 20 % à charge du notaire X.
Bon à savoir
L’article 9, § 1er, alinéa 3 de la loi du 4 mai 1999 dispose que le notaire informe toujours entièrement chaque partie des droits, des obligations et des charges découlant des actes juridiques dans lesquels il intervient et conseille les parties en toute impartialité.
Il s'agit d'une obligation d'information, de renseignement, de mise en garde et de conseil. 2
En outre, le notaire doit éclairer les parties à l'acte sur la portée et les effets de leurs engagements, ainsi que sur les risques que présente l'opération, non seulement les risques d'ordre juridique mais aussi sur les risques économiques et sur leurs conséquences fiscales. 3
Le fait que le notaire ait attiré l'attention des parties sur les engagements qu'elles avaient souscrits vis-à-vis de la banque n’est pas suffisant s’il y a dol ou malversation.
En effet, s'il y a dol ou malversation, le notaire a pour obligation de refuser de prêter son ministère. En dehors de cette hypothèse, le notaire ne peut être rendu responsable des conséquences de la décision prise à l'encontre du conseil donné. 4
_________________
1. Cour d'appel de Liège - arrêt n° F-20140403-21 (2012/rg/1468) du 3 avril 2014 © Juridat, 10/07/2014, www.juridat.be
2. F. Glansdorff, « Les obligations d'information, de renseignement, de mise en garde et de conseil », CUP Mars 2006, vol. 86, p. 123.
3. P. Govers, « Les obligations d'information, de renseignement, de mise en garde et de conseil des notaires », CUP vol. 86, pp. 123 et suiv.
4. C. Vanhalewyn, La responsabilité civile professionnelle du notaire, Altoria, 1991, p.93, n°52.