Droit d'auteur de l'architecte versus droit de propriété du maitre de l'ouvrage
Présentation des faits 1
En 1983, un architecte avait été chargé, par la société X, d’établir les plans d'un immeuble de bureaux. L'immeuble fut construit peu de temps après.
En 1996, l'architecte reproche à la société X d’avoir remplacé dans le hall, le système invisible d’ouverture des portes, qui a bien fonctionné pendant près de dix ans, par de disgracieux caissons apparents, inacceptables sur le plan esthétique.
La société X rétorque qu'elle n'a fait qu’entreprendre des travaux nécessaires pour la maintenance normale du mécanisme.
Après des négociations infructueuses, l'architecte cite en justice la société X. Il demande au juge de constater qu’elle a procédé à une modification non autorisée des plans originaux et que cette modification constitue une violation du droit moral de l'auteur au respect de l'intégrité de son œuvre. L'architecte invoquait également que son œuvre était dénaturée en ce que le propriétaire avait fait sortir du plafond le système d'ouverture des portes qui y était précédemment caché. Par conséquent, il demande la condamnation de la société à la remise des lieux dans leur pristin état.
La société X contestait que l'architecte soit titulaire d'un droit d'auteur sur le système d'ouverture des portes. Elle faisait, par ailleurs, valoir que sa qualité de propriétaire l'autorisait à modifier le système d'ouverture des portes même si, ce faisant, elle portait atteinte au droit d'auteur de l'architecte.
Décision de la Cour
La Cour d'appel constate, tout d’abord, que l'architecte a été chargé d'une mission relative à l'ensemble du bâtiment, et notamment de son hall d'entrée, de sorte qu'il peut se prévaloir d'un droit d'auteur.
En effet, un hall d'entrée d'immeuble qui a fait l'objet d'un aménagement particulier lors de la construction du bâtiment participant à l'harmonie générale de l'immeuble est l'expression d'un effort intellectuel de l'architecte et mérite, à ce titre, la protection de la loi sur les droits d'auteur.
En revanche, l'architecte ne peut réclamer cette protection pour l’incorporation d’éléments techniques du bâtiment sous le faux plancher de l'étage supérieur. Une telle idée n'est, en effet, pas protégeable en soi.
La Cour rappelle, ensuite, qu'un équilibre doit être recherché entre les droits de l'auteur et les droits du propriétaire. En effet, « la vocation utilitaire de l'immeuble commandé à un architecte implique qu'une certaine liberté soit laissée au maitre de l'ouvrage pour satisfaire aux nécessités de son entreprise ».
En l’espèce, il ressort du rapport technique que le maintien de la structure existante posait de nombreux problèmes d’ordre matériel, et que les solutions proposées par l'architecte étaient soit irréalistes, soit trop onéreuses.
La Cour souligne également le caractère nécessairement évolutif d'un bâtiment. Le propriétaire d'un bien n'est, en effet, pas tenu de continuer à l'occuper conformément à ce qui a été prévu lors de la conclusion du contrat d'architecte.
En l’espèce, l'architecte savait, par ailleurs, lors de l’acception de sa mission, que le bâtiment allait servir à des bureaux et que ces bureaux changeraient d'affectation, compte tenu de leurs dimensions variables.
Par conséquent, l'architecte ne peut, sous peine d’abus de droit, s'opposer à l’adaptation du système d'ouverture automatique des portes du hall d'entrée et à l'apposition d'un caisson même disgracieux, dans la mesure où cette adaptation est justifiée par les nécessités de l'entreprise.
Bon à savoir
La création de l’architecte est protégée par le droit d’auteur 2, pour autant qu’elle remplisse une condition d’originalité 3 et de mise en forme 4. Elle est destinée à se traduire dans un immeuble 5, ou à tout le moins à satisfaire les besoins du maître de l’ouvrage 6.
L'équilibre entre le droit d'auteur de l'architecte et le droit du propriétaire est cependant malaisé à trouver 7.
En effet, l'architecte dispose, à l’instar des autres auteurs, du droit moral au respect ou à l'intégrité de son œuvre. Ce droit moral empêche toute modification ou déformation matérielle ou intellectuelle de l'œuvre qui en constitue une altération 8.
Le propriétaire ne peut négliger le droit de l'architecte. Mais, l’architecte ne saurait imposer au propriétaire de vivre dans un immeuble immuable 9 ni exiger son intervention préalablement à toute modification des lieux 10, qui serait justifiée par les nécessités de l’entreprise 11.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Bruxelles, 21 mars 2003, J.L.M.B., 2003, p. 783.
2. Loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins (LDA), M.B., 27 juillet 1994, p. 19297.
3. Sur la notion d’originalité, voy. notamment Cass., 27 avril 1989, Pas., 1989, I., p. 908.
4. J.-F. Henrotte et L.-O. Henrotte, L’architecte. Contraintes actuelles et statut de la profession en droit belge, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 559.
5. B. Louveaux, « Le droit d’auteur de l’architecte et le droit de propriété : un difficile équilibre », Immobilier, 2003, liv. 18, p. 2.
6. J.-F. Henrotte et L.-O. Henrotte, L’architecte. Contraintes actuelles et statut de la profession en droit belge, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 585.
7. B. Louveaux et J.-C. Lardinois, « Le droit d'auteur de l'architecte », Rev. dr. imm., 1999, pp. 249 et s. ; B. Vincotte, « Conflit entre droit d'auteur et droit de propriété », A&M, 2003, liv. 5, pp. 368-374.
8. Art. 1, LDA.
9. Bruxelles, 23 février 2001, J.T., 2002, p. 172.
10. P. Rigaux, Le droit de l’architecte, Bruxelles, Larcier, 1993, n°510.
11. B. Louveaux, « Le droit d’auteur de l’architecte et le droit de propriété : un difficile équilibre », Immobilier, 2003, liv. 18, p. 2.