La preuve du contrat d'architecture en l'absence d'écrit
Présentation des faits 1
Les propriétaires d'un terrain à bâtir firent appel à un architecte qui était déjà intervenu pour la construction d'une maison voisine. Sur une période couvrant plusieurs mois, l'architecte rencontra les propriétaires à plusieurs reprises et ils échangèrent sur les esquisses et les plans proposés par l'architecte.
Plus de deux ans après leur première rencontre, l'architecte envoya une proposition de contrat d'architecture fixant un budget provisionnel et ses frais d'honoraires. Bien que cette convention ne fut pas signée par les propriétaires, l'architecte continua de travailler sur les plans de la future habitation. Face à l'absence de réponse des propriétaires, l'architecte leur fit savoir qu'il ne continuerait pas son intervention sans signature de la convention. En outre, il leur adressa un décompte de ses honoraires pour les prestations déjà accomplies, qui s'élevait à 4.840 euros.
Les propriétaires n'ayant pas payé la somme demandée, l'architecte intenta une action judiciaire en prétendant avoir été chargé d'une mission d'architecture justifiant le paiement d'honoraires d'un montant qui dépasse les quinze mille euros. En première instance, le tribunal fit droit à la demande de l'architecte en constatant que, malgré l'absence d'écrit, une relation contractuelle a existé entre les parties à la cause. Les propriétaires interjetèrent appel.
Arrêt de la cour d'appel de Liège
Dans son arrêt, la cour commence par rappeler qu'en tant que professionnel tenu d'un devoir de conseil et d'information, et connaissant l'importance de l'établissement d'un cadre entourant la phase préparatoire, l'architecte a laissé les propriétaires dans l'incertitude quant à la question de ses honoraires. En outre, ce n'est qu'après deux ans d'échanges marqués par des interruptions révélatrices des problèmes de financement rencontrés par les propriétaires qu'il a proposé la convention d'architecture déterminant les obligations incombant à ses interlocuteurs.
La cour poursuit en précisant qu'un accord suppose le consentement des deux parties sur le contour des obligations qu'elles devront satisfaire. Or, la cour ne peut considérer que les propriétaires, suffisamment éclairés par l'architecte, ont eu conscience qu'en demandant des aménagements à la toute première esquisse présentée par l'architecte, ils pourraient être tenus dans le cadre d'une convention d'architecture impliquant une mission complète devant se poursuivre jusqu'à la réception de la construction.
Par contre, l'architecte a accompli certaines prestations dans la phase préparatoire dont il est fondé à réclamer la contrepartie financière. Compte tenu des circonstances de l'espèce, la cour estime que le montant de 4.840 euros à titre d'honoraires pour ces prestations est justifié. En conséquence, la cour réforme le jugement entrepris et condamne les propriétaires au paiement de cette somme avec les intérêts de retard.
Bon à savoir
La déontologie de l'architecte lui impose d'établir avec son client une convention écrite pour préciser la mission dont il est chargé et les obligations réciproques des parties 2. Généralement la mission de l'architecte consiste en la collecte des données nécessaires au projet, l'étude du programme, la réalisation d'une esquisse et d'un avant-projet, la tenue des dossiers administratifs, de passation de commande et d'exécution, la mission de contrôle, l'assistance à la réception et la vérification des mémoires3.
Même si elle constitue une faute déontologique, l'absence d'écrit n'interdit pas à l'architecte d'établir l'existence d'une convention par les moyens du Code civil, notamment par un commencement de preuve par écrit 4 qui doit émaner du maître de l'ouvrage et rendre vraisemblable le fait allégué, ce qui ouvre la porte aux autres moyens de preuve susceptibles de conforter la vraisemblance des faits allégués comme les présomptions ou les témoignages 5.
Le fait que l'architecte ne parvienne pas à démontrer l'existence d'un contrat d'architecture ne le prive pas du droit de percevoir les honoraires relatifs aux prestations accomplies durant la phase préparatoire. On considère en effet que, étant difficilement concevable pour un architecte de soumettre d'emblée à son client un contrat écrit de consultation 6, il existe néanmoins un pré-contrat couvrant ces prestations qui justifie la réclamation d'honoraires par l'architecte 7.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Appel Liège, 29 octobre 2013, R.G. n° 2012/RG/971.
2. Article 20 du Règlement de déontologie de l'architecte.
3. Henrotte et Devos, L'architecte : contraintes actuelles et statut de la profession en droit belge, Larcier 2008, p. 46.
4. Article 1347 du Code civil.
5. Appel Liège, 9 décembre 1988, J.L.M.B., 1990, p. 443.
6. Appel Liège, 18 novembre 1993, J.L.M.B., 1994, pp. 567 et s.
7. Appel Liège, 5 décembre 2013, 2012/RG/1546.