Le dépassement du budget de construction
Présentation des faits 1
Un couple de maîtres d’ouvrage souhaitait construire une maison sur leur parcelle située à Torhout. Pour ce faire, ils se sont adressés à un architecte, qui a émis des propositions d’estimation. Le 10 septembre 2003, les parties ont signé un contrat d’architecture pour la construction de la maison.
Le budget a été provisoirement fixé à 8.000.000 BEF (actuellement 98, 314.82 €) et devait être respecté. Il ne comprenait pas les honoraires de l’architecte et des spécialistes ni d’autres taxes. Les travaux ont finalement été estimés à 13.279.346 BEF (€ 29,186.39), soit un dépassement du budget de l'ordre de 60 %.
Par citation du 4 février 2005, l’architecte a été assigné en justice.
L’objet de l’action tendait à :
- prononcer la résolution judiciaire du contrat aux torts de l’architecte, sur base de l’article 1184 du Code civil ;
- condamner l’architecte au remboursement des honoraires/avances déjà perçus s’élevant à 10.078,37€, montant majoré des intérêts de retard à dater du paiement effectif des sommes respectives de 6.712,91 € et de 3.359,46 € ;
- condamner l’architecte au paiement d’un euro provisionnel à titre de dommages et intérêts, majorés des intérêts judiciaires, ainsi que des frais de procédure.
Dans leurs conclusions de synthèse, déposées le 13 avril 2005, les maîtres de l’ouvrage ont élargi leurs prétentions. Ils ont demandé à titre principal l'annulation du contrat pour cause d’erreur, sur base de l’article 1110 du Code civil. Ils ont sollicité également la condamnation de l’architecte à payer un 1,00 € provisionnel sur les frais et honoraires d'avocat.
La partie adverse a déposé ses conclusions le 8 avril 2005, et a exigé, sur demande conventionnelle, le paiement d’une somme de 3.803,67 € à titre d’indemnité compensatoire pour les profits perdus et une avance de 1,00 € sur les frais et honoraires d'avocat.
Le premier juge a prononcé la résolution judiciaire du contrat d'architecte (conclu le 10 septembre 2003) aux torts des deux parties. Les frais de justice ont été compensés et chacune des parties a été condamnée à prendre en charge les autres coûts.
Face à cette décision, les maîtres de l’ouvrage ont interjeté appel. Dans leur requête d’appel, ils réaffirment leur demande initiale, à savoir :
- entendre déclarer la nullité du contrat d’architecte, ou à tout le moins sa résolution judiciaire aux torts de l’architecte ;
- condamner l’architecte au paiement d’une somme de 10.078,37 €, majorée des intérêts judiciaires à partir du 4 février 2005;
- condamner l’architecte aux frais de procédure.
Dans des conclusions de synthèse prises contradictoirement, déposées le 15 (fax) et le 16 (original) février 2006, en remplacement de leurs conclusions antérieures du 15 février 2006, les appelants élargissent leurs prétentions en appel. Ils prétendent à un taux d’intérêt de 7 % à partir des dates de paiement sur un montant de 10.078,37 €. En outre, ils réclament des dommages et intérêts de 22.000 €, à partir d’août 2004 (construction initiale) en raison des préjudices subis, ainsi qu’une indemnité de 4.000,00 € en raison de la nécessité de faire appel à un avocat. Ils demandent enfin que l'appel incident soit déclaré irrecevable, ou au moins comme recevable mais non fondé.
Par ses conclusions prises contradictoirement, déposées le 15 décembre 2005, l’architecte demande que l'appel soit déclaré recevable, mais non fondé.
Dans ses conclusions prises contradictoirement, déposées au greffe le 17 mars 2006, l’architecte élargit son appel incident, en ce sens que l'avance sur les frais et honoraires est maintenant estimé à 675.00€.
Décision de la Cour d’appel de Gand
La Cour d’appel de Gand rappelle tout d’abord que l’établissement du budget de la construction fait partie de l’objet du contrat d’architecte.
La Cour rappelle également que la clarté au sujet du budget de la construction constitue, sur base de l’article 16 du règlement des devoirs professionnels de l’architecte, un des éléments essentiels du contrat d’architecte.
Elle estime que, dans le cadre de son obligation d’assistance et de conseil, l’architecte devait vérifier chez le maître de l’ouvrage les possibilités financières et la faisabilité du projet. Il devait dresser les plans, de manière telle que ceux-ci soient réalisables dans les limites du budget préétabli.
Selon la Cour, un dépassement de 17% du budget par l’architecte est inacceptable.
La Cour décide, enfin, que le dépassement du budget ne peut toutefois être imputé exclusivement à l’architecte, lorsque le maître de l’ouvrage a manqué à son devoir de coopération. Ce dernier a, en effet, négligé de prendre les décisions indispensables, quand certains choix s’imposaient ou que certaines modifications étaient nécessaires ou souhaitables. Le maître d’ouvrage doit, en effet, aussi fournir des efforts pour permettre à l’architecte de maîtriser le budget. En l’espèce, la communication par e-mail a laissé apparaître que le maître d’ouvrage n’avait pas apporté la moindre collaboration, après que l’architecte lui avait fait savoir qu’il était temps de faire des économies.
Bon à savoir
L'architecte a l'obligation de déterminer le budget de construction. La détermination de ce budget est un critère primordial de décision pour le maître de l'ouvrage 2.
Le respect du budget constitue généralement une obligation essentielle de l'architecte et un élément nécessaire 3. L’architecte doit, en effet, veiller à soumettre des projets qui restent dans les limites du programme fixé dans sa mission et du budget du maître de l’ouvrage 4 et doit informer ce dernier de l’état d’avancement des travaux, conformes au budget préétabli 5.
Un dépassement de 10% du budget approximatif initial est la limite maximale admissible. Le dépassement de plus de 10 à 15% est ainsi suffisamment grave pour justifier la résolution de la convention aux torts de l'architecte 6. Si ses prestations se sont avérées totalement inutiles, il sera tenu, en outre, de restituer les honoraires et avances déjà perçus. Dans certains cas, en plus de la résolution, le maître de l’ouvrage pourra réclamer une indemnité supplémentaire.
Toutefois, le dépassement du budget de construction ne peut être imputé exclusivement à l’architecte, s’il est établi que le maître de l’ouvrage a manqué à son devoir de collaboration. Ce dernier a, en effet, négligé de prendre les décisions indispensables, quand certains choix s’imposaient ou que certaines modifications étaient nécessaires ou souhaitables. Le maître d’ouvrage doit, en effet, aussi fournir des efforts pour permettre à l’architecte de maîtriser le budget.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Gand, 10 novembre 2006, R.G.D.C., 2009, liv. 3, 168, note L. van Valckenborgh.
2. L. Van Valckenborgh, « De vaststelling van het bouwbudget en de overschrijding ervan », note sous Gand, 10 novembre 2006, T.B.B.R., 2009, p. 179.
3. B. Louveaux, « L’architecte et le budget, note sous Liège », note sous Liège, 10 mai 2012, J.L.M.B.i., 2013, liv. 15, p. 837.
4. Bruxelles, 24 novembre 1992, Rev. reg. dr., 1994, p. 522, note F. M. ; A. Delvaux, « Questions actuelles du droit de la construction », in Droit de la construction, Formation permanente CUP, 1996, pp. 90 et 91.
5. Liège, 3 novembre 1994, J.L.M.B., 1996, p. 782 ; J. Vergauwe, « L’architecte », in Guide de droit immobilier, IV.2.3, Waterloo, Kluwer, 2009, p. 9.
6. Liège, 13 octobre 2011, J.L.M.B., 2013, liv. 15, p. 840.