Les droits de la défense et l'instruction lors d'une procédure disciplinaire
Présentation des faits 1
L.R., architecte, a exercé pendant des années un mandat de président du conseil d'administration de la S.A. « Immobiliën Vermeulen Systembouw ». Suite à une plainte, une instruction a été menée par le bureau du Conseil de l'Ordre. Après l'instruction, ce dernier a décidé de déférer le cas au Conseil. Une sanction disciplinaire de cinq mois de suspension a été prononcée à l'encontre de L.R. pour violation des articles 10 et 11 du Règlement de Déontologie établi par le Conseil national de l'Ordre des architectes, soit l'incompatibilité de la profession d'architecte avec celle d'entrepreneur de travaux. Cela a été confirmé en appel.
L.R. critique cette décision au motif qu'il n'a pas été assisté par un avocat lors de l'information, alors que l'article 6 de la Convention de Rome de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et le principe général du respect des droits de la défense garantissent le droit au procès équitable. Ces principes, tels qu'appliqués par la jurisprudence, tant belge qu'européenne, voudraient que l'on puisse se faire assister par un avocat dès la première audition dans la mesure où l'on est en position de vulnérabilité.
Le Conseil national de l'Ordre des Architectes invoque, pour sa part, le fait que le droit à l'assistance d'un avocat ne s'applique pas en matière disciplinaire.
Arrêt de la Cour de cassation
La Cour rappelle qu'en vertu de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme, tout accusé a le droit à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix.
Le droit à un procès équitable ou à l'assistance d'un avocat doit être garanti, non seulement lors d'une procédure pénale, mais également lors d'une procédure disciplinaire lorsque celle-ci se base sur des faits qui peuvent donner lieu à une sanction qui pourrait être considérée comme une sanction pénale au sens de l'article 6 de la Convention. Cela s'analyse à l'égard de la nature, de la gravité et du sérieux de cette sanction.
Il pourra également être fait appel à un avocat dès l'audition, lors de l'information, si une personne est en position de vulnérabilité dans le cadre de poursuites disciplinaires qui traitent de faits qui pourraient donner lieu à une peine (au sens de l'article 6 de la Convention).
Il n'y a pas de vulnérabilité lors d'une audition dans le cadre d'une procédure disciplinaire, lors de laquelle « les enquêteurs ne peuvent prendre de mesures privatives de liberté ni d'autres mesures coercitives » 2.
Le moyen n'est pas accueilli et les autres griefs qui en découlent sont déclarés irrecevables.
Bon à savoir
La procédure disciplinaire devant un Conseil de l'Ordre des architectes ne met pas en position de vulnérabilité l'architecte lors de l'information disciplinaire menée pendant l'instruction. Dès lors, les principes et garanties du droit de la défense ne s'appliquent pas, en totalité, à tout le moins, à cette procédure. L'assistance par un conseil n'est donc pas garantie, même s'il ressort des conclusions déposées lors de cette affaire que le Conseil de l'Ordre des architectes que « le demandeur n'a jamais été privé du droit de consulter un avocat et qu'aucune pression n'a été exercée sur lui » 3.
Se faire assister par un conseil ne serait donc pas interdit, mais pas non plus garanti. Il devrait donc pouvoir être toujours possible de se faire assister par un avocat lors des auditions d'information, sans que pour autant il y ait l'obligation de le faire savoir à l'architecte suspecté par le bureau. Une instruction contradictoire ne serait même pas forcément exigée 4.
La jurisprudence Salduz 5 ne s'applique, dès lors, a priori pas en matière d'instruction disciplinaire, au niveau de l'information. Cependant, une lecture de l'arrêt a contrario nous fait croire que cette jurisprudence pourrait trouver à s'appliquer si un élément de vulnérabilité faisait surface dans le cadre d'une pareille information.
L'article 6 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme garantissant le droit au procès équitable et l'impartialité du juge n'est donc pas applicable dans les procédures disciplinaires en matière de déontologie car les membres du Conseil n'exercent pas une fonction judiciaire. 6
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cour de cassation, 16 novembre 2012, arrêt n° D.11.0021.N.
2. Cour de cassation, 16 novembre 2012, arrêt n° D.11.0021.N, point 8.
3. Cour de cassation, 16 novembre 2012, arrêt n° D.11.0021.N, p.5.
4. P. Corvilain, Le droit disciplinaire des ordres professionnels, Larcier, 2004, p. 78 ; P. Lemmens et D. D'Hooghe, « Recht van verdediging in tuchzaken », p. 17.
5. Cour européenne des Droits de l'Homme, Grande Chambre, Salduz c/ Turquie, requête n° 36391/02. Cette jurisprudence dispose que quiconque, dès qu'il est privé de liberté, doit pouvoir être assisté d'un avocat. Une personne ainsi suspectée se trouverait en effet dans une position de vulnérabilité et que les déclarations incriminantes qu'il pourrait faire à ce moment là porteraient une atteinte irrémédiable aux droits de la défense.
6. P. Corvilain, op. cit., p. 79 ; Cour de cassation, 12 novembre 1990, Pas., 1991, I, p. 269 ; Cour de cassation, 15 janvier 1998, Pas., 1998, I, p. 28.