Incidence de l'absence d'une clause de solidarité dans un contrat d'association d'architectes
Présentation des faits 1
Monsieur G. et Monsieur D. sont tous deux architectes et ont été pendant longtemps associés.
Dans les années 1977-1978, ceux-ci ont accompli diverses missions, dont l’une confiée par Madame V. pour la construction d’une habitation, d’abord, et pour l’extension de ladite habitation et la construction de garages, ultérieurement.
Leur association a ensuite été dissoute le 1er janvier 1984, à la suite d'une transaction signée entre eux le 15 mai 1996.
Par jugement du 17 juin 1996 du Tribunal de première instance de Mons, Monsieur G. a été condamné à payer des dommages et intérêts à Madame V. en raison de manquements commis dans le cadre d'une mission d'architecture qu'elle lui avait confiée. Les manquements en question sont ainsi relatifs à des travaux qui ont été exécutés et réceptionnés à l'époque où Monsieur G. et Monsieur D. étaient encore associés.
Une partie des montants auxquels Monsieur G. a été condamné à verser à Madame V. a été prise en charge par la compagnie d’assurance Arco, qui assurait la responsabilité professionnelle des anciens associés.
Outre l'application de la franchise contractuelle de 10%, la compagnie Arco a estimé ne devoir intervenir dans le sinistre qu'à concurrence de 2/3, Monsieur G. lui ayant uniquement déclaré la première phase des travaux litigieux (construction de l'habitation proprement dite) pour un montant de 3.000.000 de FB, mais ayant omis de lui déclarer la seconde phase des travaux (extension de l'habitation et construction de garages) d'une valeur de 1.500.000 F.
La compagnie Arco a donc fait application de la règle de proportionnalité en tenant compte, pour limiter son intervention, d'une insuffisance de valeur déclarée de 1/3 (1.500.000 F non déclarés sur une valeur totale des travaux de 4.500.000 F).
Monsieur G. expose avoir payé lui-même le solde de la condamnation prononcée à sa charge et se retourne à présent contre son ancien associé, Monsieur D., pour lui réclamer la moitié des montants qu'il dit ainsi avoir payés.
Décision du Tribunal de première instance de Mons
Le Tribunal de première instance de Mons rappelle tout d’abord que l'obligation solidaire constitue une exception au principe de l'obligation conjointe. Le régime juridique de l'obligation conjointe est la divisibilité. Chaque débiteur n'est en effet tenu vis-à-vis du créancier que pour sa part, de sorte que la mise en demeure de l'un des codébiteurs n'a d'effet qu'à l'égard de celui-ci.
Le tribunal rappelle également qu’il y a solidarité lorsque plusieurs personnes sont soit créancières, soit débitrices de la totalité d'une seule et même dette bien que celle-ci soit par elle-même divisible entre ces créanciers ou débiteurs, de sorte que le créancier peut assigner n'importe lequel des codébiteurs en paiement de la dette.
Le caractère dérogatoire de la solidarité est consacré par l'article 1202 du Code civil, lequel dispose que la solidarité ne se présume pas, elle doit être expressément stipulée. La solidarité peut résulter d'une convention, d'un acte unilatéral, d'une disposition légale ou d'un principe général de droit.
Le Tribunal de première instance souligne ensuite que lorsqu'un codébiteur solidaire a acquitté la totalité de la dette, il dispose d'un recours contributoire contre les autres codébiteurs. Ce recours contributoire se fonde soit sur les articles 1213 et 1214 du Code civil (solidarité conventionnelle), soit sur la subrogation légale ou sur l'enrichissement sans cause (solidarité légale).
Il précise, en outre, que la règle de la solidarité des associés à l’égard des tiers ne doit pas obligatoirement résulter d’une disposition expresse du contrat, mais peut être déduite implicitement des circonstances et de la volonté commune des parties, pourvu qu'elles soient certaines et réelles 2.
En l’espèce, Monsieur G. ne peut fonder la volonté réelle et certaine des parties de créer une obligation solidaire sur la convention d'association initiale signée par Monsieur G. et Monsieur D., aucune clause instituant une solidarité des associés à l'égard des tiers n'y figurant pas.
Selon le Tribunal de première instance, il ne peut être déduit implicitement de la convention une règle de solidarité, en ce que cette convention précise la répartition des recettes en parts égales entre associés mais, ne vise pas la contribution aux dettes de dommages et intérêts auxquelles les associés pourraient être condamnés à l'égard des tiers.
Le tribunal estime que cette volonté réelle et certaine ne se retrouve pas non plus dans le contrat d’architecte conclu entre Madame V. et les architectes autrefois associés. Ce contrat ne comportait en effet aucune clause de solidarité.
Certes, Monsieur D. y mentionne la valeur totale des travaux exécutés afférents au chantier de Madame V., mais la divise par deux. C'est cette seule moitié qui est, d’ailleurs, prise en compte par Arco pour le calcul de la cotisation.
En ne déclarant à Arco qu’une partie de la valeur des travaux, il est établi que le défendeur a limité sa responsabilité vis-à-vis des maîtres de l'ouvrage dans le cadre d'une responsabilité conjointe et non d'une responsabilité solidaire.
Il résulte de l'ensemble de ces considérations que Monsieur G. reste en défaut de rapporter la preuve d'une volonté commune certaine et réelle des parties d'instaurer entre elles un régime d'obligations solidaires à l'égard des tiers.
Par conséquent, le Tribunal de première instance de Mons décide que le recours contributoire que Monsieur G. entend exercer contre Monsieur D. sur base de la solidarité n'est pas fondé et, partant, déboute Monsieur G. de son action.
Bon à savoir
L'obligation solidaire 3 constitue une exception au principe de l'obligation conjointe dont le régime juridique est celui de la divisibilité de plein droit des dettes et obligations 4. Chaque débiteur n'est en effet tenu vis-à-vis du créancier que pour sa part, de sorte que la mise en demeure de l'un des codébiteurs n'a d'effet qu'à l'égard de celui-ci.
Lorsqu'un contrat d'association entre architectes n'instaure entre eux de manière expresse aucune solidarité dans les obligations à l'égard des tiers, celle-ci ne peut se présumer 5. Lesdites obligations sont conjointes et non pas solidaires.
La partie qui a été condamnée à indemniser la victime de fautes ne dispose donc pas dans ce cas d'un recours contributoire contre son associé.
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1. Civ. Mons (11e ch.), 12 février 1999, J.T., 1999/34, n° 5942, pp. 703-706.
2. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 3, 3e éd., Bruxelles, no 314, C, p. 311.
3. Pour une définition de la solidarité, voy. : P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, Bruxelles, U.L.B., 1985, 783.
4. C. EYBEN et D. E. PHILIPPE, « Types d'obligations à sujets multiples », in Obligations. Traité théorique et pratique, III.3.2.-3, Bruxelles, Kluwer, 2007, p. 95.
5. Article 1202 du Code civil.