L'indépendance de l'architecte face au promoteur immobilier
Présentation des faits 1
Une entreprise de promotion-construction publie des annonces publicitaires dans lesquelles elle propose les services gratuits d'un architecte indépendant désigné par l'entreprise elle même. Les frais de coordination de sécurité et santé, les études « PEB », les essais de sol et les études de stabilité sont également offerts.
L'ordre des architectes ainsi que plusieurs architectes indépendants intentent une action contre cette société. Ils considèrent cette publicité comme une pratique trompeuse au sens de la loi sur les pratiques du marché dans la mesure où elle fait croire que l'entreprise de promotion-construction est apte à désigner valablement un architecte indépendant alors que c'est elle qui rémunère l'architecte en sa qualité de maitre de l'ouvrage.
En première instance, le juge déclare l'action non fondée. Les demandeurs font alors appel de cette décision et demandent la cessation immédiate de cette pratique sous peine d'astreinte.
Décision de la Cour d'appel de Bruxelles
La Cour relève que la défense des intérêts collectifs des architectes n'est pas explicitement reprise dans l'objet statutaire de l'Ordre des architectes ni dans la loi du 26 juin 1963 créant un Ordre des architectes. Il en découle que celui-ci ne peut invoquer l'article 113 de la loi sur les pratiques du marché (actuellement l'article XVII. 17 du Code de droit économique) pour intenter une action en cessation sur base de sa seule qualité d'ordre professionnel.
Par contre, les architectes indépendants ont un intérêt à demander la cessation de cette pratique dès lors que celle-ci peut leur causer un préjudice professionnel. Compte tenu du fait que la publicité visée a pour objectif d'attirer le consommateur vers la société de promotion-construction, elle est soumise aux dispositions prévues dans la loi sur les pratiques du marché (actuellement Code de droit économique).
A cet égard, la Cour estime que la publicité incriminée doit être qualifiée de publicité trompeuse au sens de la loi en ce que par sa présentation générale, elle laisse entendre que le consommateur bénéficiera des services d'un architecte « indépendant » depuis l'introduction de la demande de permis d'urbanisme jusqu'à l'exécution des travaux. Une telle publicité est donc illégale dès lors qu'elle est de nature à induire en erreur le consommateur moyen sur les caractéristiques du produit et a l'amener à prendre une décision qu'il n'aurait pas prise en l'absence de pratiques trompeuses.
La Cour condamne donc l'entreprise à faire cesser cette publicité sous peine d'astreinte.
Bon à savoir
L'indépendance de l'architecte est indispensable pour qu'il puisse exercer sa mission conformément au principe d'ordre public de l'article 4 de la loi du 20 février 1939 et aux règles de la déontologie et qu'il assume la responsabilité des actes qu'il accomplit 2.
L'architecte doit en effet jouir, en toutes circonstances, de la disponibilité intellectuelle et de l'indépendance nécessaire à l'exercice de sa profession 3.
Dans le cadre d'un contrat de promotion immobilière, le promoteur s'engage envers un ou plusieurs tiers à fournir tous les services nécessaires, en ce compris l'intervention de l'architecte, pour livrer un ouvrage 4. Il contracte donc à l'égard de son client une obligation de résultat.
En principe, rien n'interdit à un architecte de contracter avec un promoteur. La promotion immobilière est d'ailleurs reconnue par les tribunaux et certains contrats de promotion sont réglementés par la loi Breyne 5.
Par ailleurs, le promoteur a l'obligation de s'assurer le concours d'un architecte, lequel sera chargé d'établir les plans de l'ouvrage et de contrôler les travaux
Il résulte cependant des dispositions d'ordre public de la loi 20 février 1939 sur la profession d'architecte 6, qu'un architecte inféodé à un promoteur ne peut contracter ensuite avec le client de ce promoteur comme s'il était indépendant de ce dernier 7.
Une telle situation a pour effet d'empêcher l'architecte de défendre efficacement les intérêts de ce client, comme il est censé le faire face au promoteur. L'architecte doit en effet être le conseiller de son client et défendre ses intérêts face aux autres intervenants.
En cas violation par l'architecte de son devoir d'indépendance, le contrat pourra être annulé aux torts de l'architecte et du promoteur, s'il s'avère qu'ils étaient liés. Ces derniers seront tenus de réparer in solidum le préjudice causé par la nullité du contrat 8. De plus, la nullité du contrat entraînera la nullité de la réception provisoire.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Bruxelles, 12 septembre, inédit, R.G., 2014/AR/631.
2. Cass., 31 mai 2013, Pas., 2013/5, p. 1224.
3. Cass., 7 septembre 1973 Pas. 1974, I, p. 16.
4. P. Rigaux, « L'architecte face au promoteur : le devoir d'indépendance », J.L.M.B., 1997/32, p. 1303.
5. Loi du 9 juillet 1971 réglementant la construction d'habitations et la vente d'habitations à construire ou en voie de construction.
6. Loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d'architecte.
7. Bruxelles, 22 février 2001, J.L.M.B. 01/309
8. B. Louveaux, « Inédits du droit de la construction-II », J.L.M.B., 2003/9, p. 385.