La responsabilité de l'architecte face à un dépassement de budget qui ne lui est pas imputable
Présentation des faits 1
Par convention du 26 novembre 1991, la S.A. Le Charles Henry a confié à Monsieur P. G. une mission d'architecte consistant en la transformation d'un immeuble à usage de taverne sis à Wavre.
La convention stipule que le budget souhaité par le maître de l'ouvrage, hors taxes et honoraires, est de 3.000.000 à 4.000.000 de francs.
Avant le commencement des travaux, l'architecte a évalué le prix de l'entreprise à 4.340.600 francs.
Le chantier a débuté en août 1992 et a été mené à bien jusque fin 1992.
Toutefois, le coût total des travaux s’est finalement élevé à une somme de 5.791.164 francs, accusant une différence de 1.450.564 francs avec le devis initial.
L'architecte a établi son état d'honoraires sur la somme de 5.791.164 francs et a délivré pour solde de cet état une facture datée du 27 novembre 1992 à hauteur de 60.641 francs et une autre datée du 22 avril 1993 à concurrence de 251.318 francs.
En réponse à une mise en demeure, la S.A. Le Charles Henri s'est plaint du dépassement du devis initial pour la première fois le 23 juin 1993 et a offert de verser une somme de 149.702 francs pour solde de compte.
Par acte d'huissier du 2 septembre 1992, Monsieur G. a cité ladite société en paiement de la somme de 311.959 francs (60.641 francs + 251.318 francs), à majorer d'intérêts conventionnels.
Un jugement provisionnel est intervenu le 24 mai 1994, condamnant la S.A. Le Charles Henri à payer la somme de 149.702 francs.
Par décision du 24 mai 1995, le tribunal a ordonné la réouverture des débats.
Décision du Tribunal de commerce
Le Tribunal de commerce de Charleroi rappelle tout d’abord que jurisprudence et doctrine ont dégagé à charge de l'architecte une série de contraintes découlant de son devoir de conseil dont celui-ci doit tenir compte dans ses rapports contractuels avec son client.
En phase précontractuelle d'abord, l'un des devoirs fondamentaux de l'architecte est de se soucier de la hauteur des moyens du maître de l'ouvrage, lesquels serviront de référence pour établir, avant signature du contrat d'architecte, l'estimation sommaire qui accompagne l'avant-projet.
Ensuite, après conclusion du contrat, il importera que la conception du projet corresponde au budget prévu, celui-ci étant susceptible d'avoir été déterminé pour un montant approximatif, auquel cas une marge d'erreur réduite est admise, ou pour un montant maximum, la dépense ne pouvant dans cette hypothèse excéder le plafond fixé.
Le Tribunal de commerce souligne, ensuite, à cet égard qu’il est fréquent que le projet subisse des transformations en cours de chantier, dans la mesure où le maître de l'ouvrage est amené à compléter ou modifier les travaux initialement demandés, ce qui augmente le coût de réalisation au-delà de la dépense fixée. Dans pareil cas, l’architecte est tenu de mettre son client en garde sur l'incidence financière des modifications apportées au projet et de s'en assurer la preuve.
Selon le tribunal, cette exigence ne doit toutefois pas s'entendre de manière trop absolue. En effet, lorsque le maître de l'ouvrage, à raison des nombreux suppléments qu'il a commandés à l'entrepreneur pendant l'exécution des travaux, a nécessairement dû se rendre compte du dépassement de la dépense prévue, aucune faute ne peut être reprochée à l'architecte.
En l’espèce, le maître de l'ouvrage fait grief à l’architecte d'un dépassement important du budget de l'entreprise, portant sur un montant de 1.450.564 francs pour un coût initialement prévu de 4.340.600 francs. Parmi ces coûts supplémentaires, il y a le prix des travaux réalisés par le couvreur recommandé par l’entrepreneur principal, s’élevant à une somme de 543.750 francs, soit une somme supérieure de 69.750 francs à ce que l'architecte avait prévu au projet.
Le tribunal ajoute que le maître de l'ouvrage n'a pas voulu lancer d'offre et a fait choix du couvreur recommandé par l'entrepreneur principal sans le mettre en concurrence avec d'autres artisans.
Or, il ne peut être exigé de l'architecte qu'il prouve avoir attiré particulièrement l'attention du maître de l’ouvrage sur l'augmentation des coûts, qui résultera du choix d'un entrepreneur plus cher que le devis estimatif du projet, alors qu'un simple examen de ce devis aurait suffi à montrer que le budget prévu est dépassé. Par ailleurs, l'architecte n’est pas tenu de contrôler que les moyens financiers du maître de l'ouvrage sont suffisants ou de se substituer d'une quelconque manière à celui-ci dans la gestion de son partenaire.
Par conséquent, le Tribunal de commerce de Charleroi décide que les honoraires de l’architecte, Monsieur P.G., doivent donc porter sur l'ensemble du poste considéré.
Bon à savoir
Le devoir de conseil impose à l’architecte de se soucier de la hauteur du budget dont dispose le maître de l’ouvrage. C’est lors de la phase précontractuelle que cette obligation de conseil est la plus importante 2.
Le devoir de conseil de l’architecte en matière budgétaire se poursuit après la conclusion du contrat. Il importera que la conception du projet corresponde au budget prévu. La sanction du dépassement de budget en tant que faute de l’architecte peut entraîner la résolution du contrat à ses torts et la restitution des honoraires 3.
Il est, toutefois, fréquent que le projet subisse des transformations en cours de chantier. Le maître de l'ouvrage est, en effet, amené à compléter ou modifier les travaux initialement demandés, ce qui augmente le coût de réalisation au-delà de la dépense fixée 4. Dans pareil cas, l’architecte est tenu de mettre son client en garde sur l'incidence financière des modifications qualitatives et quantitatives apportées au projet initial et de s'en assurer la preuve 5.
Cependant, lorsque le maître de l'ouvrage, à raison des nombreux suppléments qu'il a commandés à l'entrepreneur pendant l'exécution des travaux, a nécessairement dû se rendre compte du dépassement de la dépense prévue, aucune faute ne peut être reprochée à l'architecte.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Comm. Charleroi, 27 septembre 1995, J.L.M.B., 1997/10, pp. 401-404.
2. J. VERGAUWE, « L'architecte », in Guide de droit immobilier, Waterloo, Kluwer, 2009, IV.2.3.-1, p. 8 ; Civ. Gand (15e ch.) 17 novembre 1999, REDRIM, 2001, 73, note J. HULSBOSCH.
3. Civ. Nivelles, 13 février 1995, J.L.M.B., 1996, p. 425 ; J.P. Anvers (6) 30 mai 2001, R.W., 2004-2005, liv. 37, p. 1473.
4. J. VERGAUWE, « L'architecte », in Guide de droit immobilier, Waterloo, Kluwer, 2009, IV.2.3.-1, p. 9.
6. Bruxelles (2e Ch.), 18 février 2010, J.L.M.B., 2013, liv. 15, 830, note B. LOUVEAUX.