L'assurance de responsabilité civile professionnelle de l'architecte
Présentation des faits 1
Un architecte reçoit une mission d'architecture complète pour un chantier. A cette occasion, il conclut deux contrats d'assurance successifs couvrant sa responsabilité civile professionnelle.
Chacune des polices comprend une clause 'réclamation de la victime' (claims made) élargie qui impose que le dommage et la réclamation de la victime interviennent au cours de la période contractuelle.
La première police couvre l'architecte jusqu'au 28 mai 2000 et précise que « sont également prises en considération les demandes en réparation formulées dans les trente-six mois à partir de la fin du contrat si, et seulement si, à la fin de ce contrat, le risque n'est pas couvert par un autre assureur ».
La seconde police couvre quant à elle l'architecte à partir du 8 août 2000, et contient une clause d'antériorité 2 afin d'éviter les trous de garantie. A cet égard, elle prévoit qu'elle couvre les dommages survenus après sa prise d'effet et qui se rapportent à des missions antérieures, pour autant que, lors de la souscription de la police, des ouvrages aient été reçus provisoirement.
Le 12 septembre 2000, l'architecte adresse une déclaration de sinistre au premier assureur qui refuse d'intervenir.
En appel, la Cour estime que dès lors que l'existence du dommage dépend du caractère irrémédiable des malfaçons affectant l'ouvrage (dommage survenu, selon la cour d'appel, le ou après le 26 juin 2000), le premier assureur n'a pas l'obligation de couvrir la responsabilité civile de l'architecte puisque la première police a pris fin le 28 mai 2000. C'est le deuxième assureur qui doit lui-même couvrir ce risque en vertu de la clause d'antériorité.
Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation rappelle que par « survenance du sinistre », la loi sur les assurances vise en réalité la survenance du dommage. Il en découle que faire dépendre l'existence d'un dommage du caractère irrémédiable des malfaçons affectant l'ouvrage, viole la loi sur les assurances.
Par ailleurs, la Cour de cassation considère que la cour d'appel qui constate que la seconde police d'assurance contient une clause d'antériorité, sans même apprécier si les conditions d'application de celle-ci sont remplies, et qui en déduit dès lors que le premier assureur n'est pas tenu de couvrir le risque, méconnait la force obligatoire de la seconde police ainsi que les effets de celle-ci à l'égard des tiers.
En effet, la seconde police prévoit que la clause d'antériorité ne s'applique que si au moment de la conclusion du contrat, des ouvrages ont été reçu provisoirement. En l'espèce, tel n'était pas le cas au moment de la souscription de la seconde police. Il en découle que la clause d'antériorité ne pouvait dès lors pas s'appliquer.
Bon à savoir
La loi du 15 février 2006 relative à l'exercice de la profession d'architecte dans le cadre d'une personne morale prévoit que tout architecte quelconque qui veut exercer la profession doit obligatoirement être assuré 3.
La loi oblige l'architecte à assurer l'ensemble de sa responsabilité professionnelle, et pas seulement la responsabilité décennale prévue à l'article 2270 du Code civil. Les responsabilités de l'architecte sont nombreuses et peuvent porter notamment sur le devoir de conseil, l'analyse du budget, la faisabilité urbanistique, la responsabilité à l'égard des autres intervenants du chantier ainsi qu'à l'égard des tiers (passants, voisins, etc.) 4.
Puisque l'assurance professionnelle des architectes est une assurance rendue obligatoire par la loi, le régime d'inopposabilité des exceptions est celui prévu à l'article 151, § 1er de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances. Les exceptions, nullités et déchéances dérivant de la loi ou du contrat et trouvant leur cause dans un fait antérieur ou postérieur au sinistre sont dès lors inopposables aux victimes d'un dommage causé par l'architecte. A contrario, les clauses qui ont pour objet de définir la portée du contrat et la couverture du risque, tel que la stipulation d'une franchise, sont opposables aux personnes lésées 5.
Les modalités et les conditions de l'assurance ont été fixées dans l'arrêté royal du 25 avril 2007 relatif à l'assurance obligatoire prévue par la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d'architecte.
En ce qui concerne la garantie dans le temps, l'arrêté royal prévoit que le contrat couvre les demandes en réparation formulées par écrit pendant la durée du contrat d'assurance pour autant que le dommage soit également survenu pendant la durée du contrat. En outre, la couverture s'étend aux demandes en réparation formulées dans un délai de dix ans à compter du jour où il est mis fin à l'inscription au tableau de l'Ordre des architectes 6. L'arrêté royal augmente donc de sept ans la durée de la couverture liée au risque de postériorité, par rapport à la durée de trois ans, habituellement prévue par les compagnies d'assurance en vertu de l'article 142, § 2 de la loi relative aux assurances. Le législateur entend par ce biais aligner la durée de la garantie de postériorité sur le délai de la responsabilité décennale 7.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cour de cassation, 27 juin 2013, Pas., 2013/6-8, p. 1485.
2. Cette clause appelée aussi clause de reprise du passé inconnu prévoit que l'assureur accorde sa couverture pour les dommages résultant de fautes commises avant la période contractuelle, pour autant que l'assuré ignorait au moment de la conclusion du contrat l'existence de ces fautes.
3. Article 4 de la loi du 15 février 2006 relative à l'exercice de la profession d'architecte dans le cadre d'une personne morale.
4. B. Louveaux, « La nouvelle loi relative à l'exercice de la profession d'architecte : l'assurance obligatoire », Immobilier, 2006/7, p. 2.
5. B. Louveaux, « Inédits du droit de la construction (seconde partie) », J.L.M.B., 2003/13, p. 555.
6. Art. 6 de l'arrêté royal du 25 avril 2007 relatif à l'assurance obligatoire prévue par la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d'architecte.
7. B. Kohl, « L'assurance obligatoire de la responsabilité des architectes et le principe constitutionnel d'égalité », R.G.D.C., 2008/ 7, p. 397.