Les courants architecturaux et le plagiat
Présentation des faits 1
Un architecte L. est engagé par un couple pour la construction d'une maison unifamiliale.
Quelques mois après le début du chantier, l'architecte reçoit un courrier du Conseil de l'Ordre des architectes de la province de Liège qui l'informe qu'un autre architecte F., qui a pris part à l'érection d'un autre bâtiment dans les environs, a déposé plainte à son encontre pour plagiat. Après avoir reçu les deux confrères, le Conseil de l'Ordre les informa de sa décision de classer le dossier sans suite.
Deux ans plus tard, l'architecte F. et la société qui l'avait engagé ont introduit une action en justice à l'encontre de l'architecte L. pour avoir plagié le bâtiment qui avait été construit précédemment. Le premier juge a débouté les demandeurs en considérant qu'ils n'apportaient pas la preuve de l'originalité de leur construction. Ces derniers interjetèrent appel.
Arrêt de la Cour d'appel de Liège
Devant la Cour, l'architecte F. et son ancien client fondent la démonstration du plagiat essentiellement sur l'examen comparatif et chronologique des avant-projets successifs que l'architecte L. a établis pour la construction litigieuse. Ils estiment qu'il en résulte la preuve d'une rupture entre les premiers avant-projets et le tout dernier qui, réalisé un mois après que leur immeuble ait été terminé, présente curieusement pour la première fois les caractéristiques qui font l'originalité de leur propre construction.
Quant à l'architecte L., il avance s'être inspiré, non pas de l'immeuble des appelantes, mais d'un courant architectural préexistant. Il soutient que tant l'architecte F. et lui-même, comme en attestent d'autres constructions déjà conçues par eux, que d'autres architectes se sont inspirés de ce courant. En outre, l'examen des avant-projets révèle que l'architecte L. a successivement proposé à ses clients plusieurs conceptions très différentes du bâtiment en sorte que la rupture mise en avant par les appelantes lors du dernier avant-projet n'est en réalité pas la première observée.
La cour considère que si les deux bâtiments ont incontestablement « un air de famille », l'un n'est pas la copie de l'autre. Les caractéristiques qui permettent de poser ce constat ne sont pas neuves et ont déjà été mises en œuvre par d'autres architectes dans des immeubles de même tendance. Par ailleurs, l'architecte F. et son ancien client ne démontrent pas que leur construction constitue une expression de la personnalité de l'architecte. En conséquence, la cour confirme le jugement entrepris et condamne les demandeurs au paiement des dépens.
Bon à savoir
Pour qu'une œuvre puisse bénéficier de la protection accordée par la réglementation en matière de droits d'auteur, il faut que cette œuvre soit exprimée dans une certaine forme et qu'elle soit originale, en ce sens qu'il s'agisse d'une création intellectuelle propre à son auteur 2. Ce caractère original résulte de la combinaison originale d'éléments originaux et non originaux qui témoignent d'une vision personnelle de l'auteur 3.
Il est admis qu'une combinaison particulière d'éléments connus peut traduire un effort intellectuel de l'architecte et constituer une expression de sa personnalité 4. De la sorte, la combinaison originale d'éléments banals entre dans le champ d'application de la loi sur le droit d'auteur 5.
Par contre, le simple fait de s'inspirer d'un courant artistique préexistant, en l'occurrence un courant architectural, pour réaliser une construction ne répond pas à la définition d'une œuvre bénéficiant de la protection légale. L'auteur de cette construction, faute d'originalité de sa réalisation, ne peut prétendre à une quelconque violation de son droit d'auteur qui, conformément aux considérations développées, n'existe pas.
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1. Liège, 4 janvier 2010, R.G. n° 2008/RG/719.
2. A. Joachimowicz, « L'empreinte de la personnalité de l'auteur au cœur de la notion d'originalité en droit d'auteur », J.L.M.B., 2012/21, pp. 981-985.
3. Civ. Courtrai (prés.), 17 janvier 2007, I.R.D.I., 2007/2, p. 153.
4. J.-F. Henrotte, L.-O. Henrotte et B. Devos, L'architecte, Contraintes actuelles et statuts de la profession en droit belge, Larcier, n° 646.
5. Bruxelles, 01 février 2002, J.L.M.B., 2002/20, p. 877.