L'architecte face aux carences de l'entrepreneur
Présentation des faits 1
La SA M. et la SPRL D. ont conclu une convention le 5 octobre 2004 par laquelle la première confie à la seconde les travaux de construction d'un immeuble d'appartements conformément aux plans dressés par l'architecte F.
Les travaux débutent le 4 octobre 2004 et doivent être terminés dans un délai de 180 jours ouvrables. Cependant, divers problèmes surviennent en cours d'exécution des travaux.
Le 7 juin 2005, la SA M. introduit une procédure à l'encontre de l'entrepreneur et de l'architecte sollicitant une expertise judiciaire.
Le tribunal de première instance désigne un expert judiciaire qui dépose son rapport au greffe le 8 mai 2008. Dans ce rapport, l'expert conclut à la responsabilité prépondérante de l'entrepreneur concernant les malfaçons et inachèvements. Il suggère que 30 à 40 % de la responsabilité soient délaissés à l'architecte pour manquement à son devoir de conseil.
Le tribunal condamne la SPRL D. à payer à la SA M. la somme de 149.691,07 euros et déboute la SA M. de sa demande dirigée contre l'architecte F.
La SA M. fait appel de ce jugement en demandant que l'architecte F. soit tenu, in solidum, avec la SPRL D. au paiement de la somme due.
Décision de la Cour
La Cour examine les différentes fautes reprochées à l'architecte F.
La Cour estime que les deux premiers reproches, étant une erreur de conception ainsi que l'absence d'une étude d'ingénieur préalable, ne sont pas de nature à justifier l'allocation de dommages et intérêts au maître de l'ouvrage.
Concernant le contrôle de l'exécution des travaux par l'architecte, la Cour constate qu'il ressort des différents éléments que l'architecte a été très présent sur le chantier et que les procès-verbaux de suivi de chantier reprennent, en grande partie, les carences mises en évidence par l'expert judiciaire.
La Cour considère, dès lors, qu'il apparait que l'architecte a correctement réalisé sa mission de contrôle, sous réserve de quelques défauts sans lien causal avec le dommage allégué. Par ailleurs, il ne peut être reproché à l'architecte le fait que les malfaçons n'ont pas été corrigées par l'entrepreneur. En effet, l'architecte n'a pas de pouvoir coercitif sur celui-ci.
Quant au devoir de conseil incombant à l'architecte, la Cour constate, tout d'abord, que malgré la constatation que l'entrepreneur ne donnait pas suite à ses injonctions, l'architecte F. a laissé se poursuivre les travaux sans informer le maître de l'ouvrage de l'état exact de la situation.
Or, il appartenait à l'architecte, en vertu de son devoir de conseil et d'information, d'informer complètement le maître de l'ouvrage des carences répétées de l'entrepreneur. Il devait également être attentif aux factures et aux montants qui pouvaient être payés en fonction de l'avancement des travaux et des malfaçons. L'architecte a, toutefois, autorisé le paiement des factures en sous-estimant l'importance des malfaçons et inachèvements.
La Cour vérifie, ensuite, si les fautes retenues à charge de l'architecte F. sont en relation causale avec le préjudice dont se prévaut le maître de l'ouvrage.
Quant au manque d'information du maître de l'ouvrage, la Cour considère qu'il n'est pas suffisamment démontré que si l'architecte avait averti le maître de l'ouvrage de la situation exacte, celui-ci aurait pu prendre des mesures afin d'éviter tout ou partie de son dommage.
Par contre, si l'architecte avait correctement évalué les malfaçons et inachèvements lors de la vérification des factures, il n'aurait pas agréé celles-ci au-delà de ces valeurs, ce qui aurait limité le dommage du maître de l'ouvrage.
La demande du maître de l'ouvrage est, par conséquent, fondée en ce qu'elle réclame la condamnation in solidum de l'architecte et de l'entrepreneur au paiement du montant excessif de la facture. Elle ne peut, par contre, réclamer à l'architecte le paiement direct du montant de la correction des malfaçons, ni l'indemnisation des retards dans l'exécution du chantier puisque rien n'indique qu'ils sont dus à une faute de l'architecte.
Bon à savoir
Lorsque les procès-verbaux de chantier révèlent la présence assidue de l'architecte et reprennent en très grande partie les carences de l'entreprise relevées par l'expert judiciaire, l'absence de mention de quelques défauts d'exécution est sans lien causal avec le dommage invoqué par le maître de l'ouvrage dès lors que la réception provisoire n'est pas encore intervenue.
L'architecte n'a pas de pouvoir coercitif sur l'entrepreneur « en raison de l'indispensable indépendance entre les deux professions 2 érigée en principe fondateur et d'ordre public du droit de la construction en Belgique » 3. La persistance de l'entrepreneur dans ses carences ne peut lui être reprochée.
Par ailleurs, le devoir d'information et de conception de l'architecte lui impose d'informer complètement le maître de l'ouvrage des carences répétées de l'entrepreneur en l'avertissant que l'entrepreneur ne corrige pas les défauts relevés et en lui suggérant, au besoin, d'autres mesures. 4
En outre, l'architecte commet une faute en autorisant le paiement de factures en sous-estimant manifestement l'importance des retenues à opérer en raison de malfaçons ou inachèvements.
Il est, toutefois, nécessaire d'examiner le lien causal entre les fautes reprochées à l'architecte et le préjudice subi par le maître de l'ouvrage. Le dommage du maître de l'ouvrage en lien causal avec les fautes de l'architecte consiste uniquement dans les montants des factures approuvés à tort par l'architecte et payés sur cette base par le maître de l'ouvrage.
L'architecte n'a pas à supporter le coût de la correction des malfaçons, ni l'indemnisation des retards, ni le surcoût dû à l'intervention d'un autre entrepreneur, tous éléments qui sont la conséquence exclusive de la défaillance, puis de la faillite, de l'entrepreneur et non de la faute de l'architecte.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cour d'appel de Liège (20ème chambre), 26 mai 2011, J.L.M.B., 2013/15, pp. 841-845.
2. Article 6 de la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et la profession d'architecte, M.B., 25 mars 1939.
3. Voy B. Louveaux, « Entrepreneur défaillant, rôle et responsabilités de l'architecte », J.L.M.B., 2013/15, pp. 845-847.
4. Pour plus d'informations sur la mission de contrôle de l'architecte, voy. B. Louveaux, « Inédits du droit de la construction », J.L.M.B., 2011/19, pp. 884-915.