Les prestations d'architecte préparatoires : l'étude de faisabilité du projet
Présentation des faits 1
En 2008, les époux X ont confié au bureau d'architecture SPRL Y, un projet de construction d'un immeuble à appartements sur un terrain dont ils étaient propriétaires à Arlon.
Aucun contrat n'a cependant été établi par écrit.
Le 8 septembre 2009, il a été adressé aux époux X une note d'honoraires, intitulée « Première tranche : avant-projet », s’élevant à 13.915 euros TVAC, à la suite de laquelle ceux-ci ont versé, à titre d'acompte, 9.000 euros.
En février 2010, la SPRL Y a sollicités auprès de l'administration communales un certificat d'urbanisme n°2 (CU2) ; et le 20 août 2010, le Collège communal a rendu un avis défavorable au projet, après consultation du fonctionnaire délégué.
Par courrier de leur conseil du 26 octobre 2010, les époux X ont mis en demeure l'architecte de leur rembourser la totalité de l'acompte versé.
Face au refus de l'architecte, ils ont entamé la procédure en remboursement de la somme de 9.000 euros, majorée des intérêts depuis son décaissement.
A titre reconventionnel, la SPRL Y a réclamé le paiement du solde de sa facture, soit un montant de 4.915 euros, majoré des intérêts depuis le 8 septembre 2009.
Dans son jugement du 24 octobre 2012, le Tribunal de première instance d’Arlon retient la responsabilité de l'architecte qui a manqué à son devoir de conseil en omettant de prendre les mesures élémentaires pour s'assurer de la faisabilité du projet. Il constate que l'architecte ne démontre pas l'accord des époux X pour rémunérer son travail préparatoire et, partant, déclare la demande principale fondée, contrairement à la demande reconventionnelle.
La SPRL Y forme alors appel de cette décision. Elle réitère en degré d'appel les moyens développés devant le premier juge. A titre subsidiaire, elle demande la désignation d'un expert chargé de donner un avis sur les prestations normalement applicables pour un certificat d’urbanisme CU2.
Les époux X sollicitent la confirmation du jugement, sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité de procédure dont ils demandent la majoration.
Décision de la Cour
Dans son arrêt, la Cour d’appel commence par rappeler le contenu de l'obligation de conseil qui pèse sur l'architecte, en particulier celui d'éclairer son client sur la faisabilité du projet au regard des prescriptions urbanistiques.
En l'espèce, la SPRL Y devait prioritairement, au vu de la nature du projet envisagé (construction d'un immeuble à appartements dans une rue où l'urbanisme existant était constitué de maisons unifamiliales avec un ou deux niveaux), s'informer des prescriptions urbanistiques applicables auprès de l'instance communale compétente pour définir dans quelles conditions un permis d'urbanisme pourrait être délivré.
A cet effet, il lui incombait, avant de se lancer dans la réalisation d'avant-projets, de solliciter un certificat d'Urbanisme n°2, document officiel par lequel le Collège communal et le Fonctionnaire délégué, sur base d'une esquisse du projet, donnent un avis sur sa faisabilité.
La Cour poursuit en soulignant que la manière de procéder de la SPRL Y est fautive et justifie la demande de remboursement des honoraires versés pour la réalisation de ces avant-projets inutiles.
En effet, entre mai 2008 et décembre 2009, la SPRL Y a établi de nombreux plans du bâtiment, constituant des avant-projets, sans avoir préalablement obtenu de la ville d'Arlon des renseignements sur la faisabilité de la construction.
En outre, l’introduction de la demande de CU2, en février 2010, soit après l’établissement des plans d’avant-projet, était tardive.
De plus, l'avis du Collège communal, rendu suite à la demande de CU2, indique clairement que le projet est inadapté à l'urbanisme existant et qu'un nouveau projet devrait envisager la construction d'une maison unifamiliale. Dès lors, les époux X ne pouvaient qu'abandonner leur projet de construction d'un immeuble à appartements.
La Cour décide ensuite que si les honoraires ne sont pas dus pour l'avant-projet, il convient néanmoins d'admettre que sans la faute de la SPRL Y, les maîtres de l’ouvrage auraient dû rémunérer l'architecte pour les prestations nécessaires à l'introduction d'une demande de CU2.
C'est à tort à cet égard que le premier juge estime que la SPRL Y ne démontre pas que les époux X, qui n'ont signé aucun contrat d'architecture, se seraient engagés à payer ce travail préparatoire.
Il existe généralement des prestations d'architecte préalables à la définition d'une mission et à la signature d'un contrat. Lorsque les relations restent précontractuelles, l'architecte ne commet pas de manquement professionnel s'il n'a pas fait signer d'écrit à son client et il est admis qu'il puisse prouver par toutes voies de droit l'existence du pré-contrat.
En l'espèce, l'existence d'un contrat n'est d’ailleurs pas contestée.
La Cour souligne enfin que les prestations d'architecte préparatoires donnent en principe droit à rémunération en raison de l'activité créatrice qu'elles impliquent. C'est au maître d'ouvrage qui prétend que les prestations d'un architecte sont à titre gratuit qu'il incombe d'en rapporter la preuve.
En l’espèce, cette preuve n'est pas rapportée par les époux X qui ont partiellement honoré la facture d'acompte. Dès lors, la SPRL Y doit être indemnisée pour le travail qui a été nécessaire et suffisant pour l'introduction d'une demande de CU2.
Sur cette base, le coût de ce travail, qui consiste en une esquisse des travaux et une étude du programme, peut être fixé ex aequo et bono à 1.000 euros HTVA, ou 1.210 euros TVAC, montant qui sera déduit des honoraires à rembourser par la SPRL Y.
Par conséquent, la Cour reçoit partiellement l’appel, confirme la décision entreprise mais modifie le montant de la condamnation prononcée à charge de la SPRL Y, qui est ramenée à 7.790 euros majorés des intérêts moratoires au taux légal depuis le 10 novembre 2009 jusqu'à complet paiement.
Bon à savoir
L’architecte est tenu d'éclairer et de conseiller le maître de l’ouvrage sur la faisabilité du projet au regard des exigences réglementaires et administratives 2. Ainsi, eu égard à la nature du projet, il doit s'informer quant aux prescriptions urbanistiques applicables auprès de l'instance communale compétente pour définir dans quelles conditions un permis d'urbanisme pourrait être délivré.
A cet effet, il lui incombe, avant de se lancer dans la réalisation d'avant-projets, de solliciter un certificat d'Urbanisme n°2, document officiel par lequel le Collège communal et le Fonctionnaire délégué, sur base d'une esquisse du projet, donnent un avis sur sa faisabilité 3.
Il s’agit là de prestations d'architecte préalables à la définition d'une mission et à la signature d'un contrat. Ces prestations d'architecte préparatoires donnent en principe droit à rémunération en raison de l'activité créatrice qu'elles impliquent. C'est au maître d'ouvrage qui prétend que les prestations d'un architecte sont à titre gratuit qu'il incombe d'en rapporter la preuve.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cour d'appel de Liège du 27 mars 2014- arrêt n° F-20140327-17 (2012/RG/1787), disponible sur www.juridat.be.
2. A. Delvaux, B. De Cocqueau, R. Simar et F. Pottier, « La responsabilité des professionnels de la construction », in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Vol. II, Livre 23bis, Kluwer, 2008, pp. 15-16.
3. Article 150bis, §2, CWATUP.