La responsabilité de l'architecte lorsque le relevé de la situation existante et l'étude de stabilité ont été contractuellement exclus de sa mission globale
Présentation des faits 1
Un contrat d'architecture a été conclu le 23 février 2006 entre Monsieur M. et Madame R., d'une part, et l'architecte P., d'autre part, portant sur une mission d'architecture relative à des travaux dans une maison située à Bruxelles, dont Monsieur et Madame M.- R. sont propriétaires.
Cette maison est mitoyenne à celle dont monsieur D. est propriétaire.
Les travaux portaient notamment sur le placement d'une poutrelle au rez-de-chaussée de la maison, au moyen d'achelets en béton.
Il résulte d'un procès-verbal de visite de chantier, daté du 5 décembre 2006 que, lors du placement d’une poutre, l’entrepreneur général a percé l'épaisseur du mur mitoyen et abîmé la finition intérieure du mur chez le voisin (plafonnage et papier peint). Malgré les demandes du maître de l’ouvrage, l’entrepreneur général n'a jamais réparé ces dégâts.
Monsieur D. a introduit une action contre Monsieur et Madame M.-R. fondée sur l’article 544 du Code civil afin d’obtenir la réparation du dommage qu’il a subi.
Monsieur et Madame M.-R. demandent, quant à eux, la condamnation de Monsieur P. Ils lui reprochent d'avoir manqué à son devoir de conseil et d'information, et d'avoir commis des fautes de conception et de coordination des études, en relation causale avec le dommage subi par Monsieur D. et par eux-mêmes.
Décision du Tribunal civil de Bruxelles
Le Tribunal commence par rappeler que Monsieur et Madame M.-R. supportent la charge de la preuve de la réalité et de l'imputabilité d'un manquement fautif à charge de Monsieur P., de même que de l'existence d'un dommage réparable en lien causal avec ce manquement.
A cet égard, les juges constatent que le contrat d'architecture démontre que l'architecte P. s'est vu confier une mission globale, portant sur la conception et l'exécution des travaux. Il est cependant tout à fait possible que les parties aient modalisé les obligations reposant sur l’architecte.
En l’espèce, le contrat prévoit que les prestations de l'architecte comprennent les études préliminaires, l'avant-projet, l'établissement des plans et documents du dossier administratif nécessaires à la demande d'autorisation de bâtir, l'établissement des plans d'exécution nécessaires pour les soumissions des corps de métier et la coordination des études de stabilité, notamment avec les plans généraux de la construction.
Le Tribunal observe toutefois qu’en l’espèce le contrat prévoit que sont notamment hors mission : le relevé de la situation existante et l'étude de stabilité des ouvrages.
Pour le surplus, les juges estiment qu’aucune des règles déontologiques invoquées par Monsieur et Madame M. - R. ne s'oppose à un tel aménagement des tâches entre le maître de l'ouvrage et l'architecte.
Il n'est en outre pas contesté que Monsieur M. a communiqué à l'architecte P. le relevé de la situation existante. Ce relevé est particulièrement précis, réalisé à l'échelle, et permet donc aisément d'établir l'épaisseur du mur mitoyen litigieux.
Le Tribunal considère que la convention précisait clairement que le relevé de la situation existante était hors mission. Le maître de l'ouvrage l'a lui-même fourni à l'architecte.
Par conséquent, il n’appartenait pas à l’architecte de mesurer lui-même les lieux avant de procéder à l'établissement des plans nécessaires au permis de bâtir et aux soumissions. Aucun élément objectif du dossier ne permettait de mettre en doute la pertinence du relevé communiqué par Monsieur M.
Ainsi, il n'est pas fautif, dans le chef de l'architecte P., d'avoir établi des plans représentant un mur mitoyen de 30 centimètres d'épaisseur, sur la base dudit relevé.
Monsieur P. n'a, par ailleurs, pas souscrit d'obligation de résultat de réaliser des plans correspondant à la situation réelle, mais bien correspondant au relevé de cette situation tel qu'il lui a été communiqué. Ce résultat a été atteint, comme en attestent les plans déposés à la commune reprenant cette même largeur.
Le Tribunal estime également qu’il n'incombait pas à Monsieur P. d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage sur des risques qui ne devaient pas être envisagés compte tenu des études de stabilité réalisées, ni de proposer une autre méthode (colonnette de renfort) qui ne s'indiquait, aux dires de l'ingénieur en stabilité lui-même, que si les travaux avaient dû être conçus sur la base d'un mur de 20 centimètres d'épaisseur.
En conséquence, le Tribunal estime que la preuve d'une faute de l'architecte de P., et du lien causal entre cette faute et le dommage subi par Monsieur et Madame D M. - R., ou Monsieur D., n'est pas établie.
Bon à savoir
L’architecte a pour mission, en droit belge, d’assurer non seulement la protection de l’intérêt du maître de l’ouvrage mais également de l’intérêt public 2. C’est pourquoi la Cour constitutionnelle a estimé qu’il n’était pas disproportionné de mettre à sa charge une obligation d’assurance 3.
La loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d’architecte 4 prévoit, en son article 2, un monopole de l’exercice de la profession d’architecte au profit des architectes diplômés, des ingénieurs et officiers assimilés ainsi qu’au profit des personnes morales disposant de la personnalité juridique et répondant aux conditions posées par cette disposition.
Plusieurs obligations reposent sur l’architecte et notamment celle de réaliser une étude préalable. Cette étude comprend le relevé de tous les éléments et paramètres à prendre en compte et qui sont de nature à déterminer l’exécution du projet faisant l’objet de sa mission 5. Il est en effet tenu d’intégrer les contraintes s’imposant à lui, que celles-ci soient de nature technique ou de nature administrative.
Toutefois, les parties peuvent tout à fait exclure contractuellement de la mission globale de l’architecte le relevé de la situation existante ainsi que l’étude de stabilité. Dans ce cas, l’architecte n’est pas tenu de vérifier le relevé de la situation existante qui lui a été fourni ou de mesurer lui-même les lieux 6.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Civ. Bruxelles (16e ch.), 18 novembre 2011, J.L.M.B., 2013, p. 854.
2. J.-P. VERGAUWE et R. DE BRIEY, Code de droit de la construction commenté, Bruxelles, Kluwer, 2000, p. 2.
3. Cour constitutionnelle, 12 juillet 2007, RG 100/2007, R.G.D.C., 2008, p. 390.
4. M.B., 25 mars 1939.
5. A. Delvaux, B. De Cocqueau, R. Simar et F. Pottier, La responsabilité des professionnels de la construction – volume 2 (Particularités de la responsabilité par profession ou par qualité d’intervenant), dans X., Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre II, Livre 23bis, p. 14.
6. Civ. Bruxelles (16e ch.), 18 novembre 2011, J.L.M.B., 2013, p. 854.