L'avocat et la déontologie : les mesures conservatoires ordonnées par le bâtonnier
Présentation des faits 1
Deux avocats exercent leur profession en société et proposent sur leur site internet un contrat d'assistance juridique, accordant au client, moyennant le paiement d'une somme forfaitaire, un suivi juridique limité à un nombre déterminé de prestations (consultations, examen d'actes, intervention judiciaire) pendant une durée d'un an renouvelable.
Ces avocats, membres de la Chambre du Commerce et de l'Industrie de Namur, adressent à l'ensemble des personnes faisant partie de cette association un courrier dans lequel ils vantent les mérites de leur service d'assistance juridique.
Informé de l'existence de ce courrier, le bâtonnier les invite à s'expliquer quant à la conformité de cette pratique au regard de la déontologie de l'avocat.
Malgré la réponse des avocats, le bâtonnier décide de transmettre le dossier à un membre du conseil de l'Ordre afin de procéder à une information disciplinaire sur le caractère acceptable du procédé de publicité dès lors que ce dernier semble s'apparenter à du démarchage de clientèle.
Dans l'attente de la décision du conseil de l'Ordre, le bâtonnier leur donne injonction de supprimer la publication relative au contrat d'assistance juridique. Les deux avocats n'obtempèrent pas malgré un rappel du bâtonnier et décident de saisir en référé le tribunal pour qu'il ordonne au bâtonnier de rétracter provisoirement les injonctions de cessation.
Décision du juge des référés
Le juge fait référence à un arrêt de la Cour de cassation du 20 septembre 1979, dans lequel la Cour a considéré que les mesures prises par le bâtonnier, en application de l'article 464 du Code judiciaire, constituent des mesures de nature conservatoire et non des sanctions disciplinaires.
L'article 464 du Code judiciaire confère au bâtonnier un pouvoir largement discrétionnaire, qui ne peut cependant être exercé que dans des circonstances présentant une certaine gravité, et dans le respect d'un rapport de proportionnalité avec le but que la loi assigne à cette prérogative.
Il en découle que le contrôle que le juge peut exercer sur ces mesures conservatoires est limité aux seules questions de la compétence de leur auteur et de la proportionnalité des mesures par rapport à l'intention recherchée.
En l'espèce, la juge estime que la mesure conservatoire de suppression pure et simple est disproportionnée eu égard à la nature des faits reprochés aux avocats sur le plan déontologique. L'injonction du bâtonnier apparaît ici comme une anticipation, dépourvue de justification, sur la décision qu'il appartiendra au conseil de l'Ordre de prendre ultérieurement.
La juge invite dès lors le bâtonnier à ne pas maintenir l'injonction et ce, jusqu'à ce que le conseil de l'Ordre se soit prononcé.
Bon à savoir
Le bâtonnier se voit reconnaître un pouvoir d'injonction, lequel lui permet en vertu de l'article 464 du Code judiciaire de prendre « les mesures conservatoires que la prudence exige », « lorsque les faits reprochés à un avocat font craindre que l'exercice ultérieur de son activité professionnelle ne soit de nature à causer préjudice à des tiers ou à l'honneur de l'Ordre » 2.
Les mesures prises en exécution de l'article 464 du Code judiciaire ne sont pas des mesures disciplinaires sensu stricto mais des mesures d'ordre de nature conservatoire 3. On peut en effet les comparer à des mesures de police interne, en ce qu'elles sont prises de manière unilatérale par le bâtonnier de l'Ordre, afin d'éviter des incidents ultérieurs 4.
Le caractère conservatoire de ces mesures entraîne trois conséquences : il n'est pas impératif que le bâtonnier ouvre effectivement une instruction disciplinaire pour adopter des mesures conservatoires ; la décision du bâtonnier n'est en principe pas susceptible d'un recours devant le conseil de discipline d'appel et l'adoption de mesures conservatoires n'empêche pas que des mesures disciplinaires ultérieures puissent être prononcées 5.
Le bâtonnier ne peut user de ce pouvoir d'injonction que dans des circonstances présentant une certaine gravité, et dans le respect d'un rapport de proportionnalité avec le but que la loi assigne à cette prérogative 6.
Par ailleurs, l'article 144 de la Constitution dispose que « les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux ». Il en découle que le pouvoir judiciaire est compétent pour connaître d'une demande portant sur la suspension ou la rétractation d'une injonction ordonnée par un bâtonnier, dans la mesure où la demande a pour objet la protection d'un droit subjectif de l'avocat 7.
Le contrôle juridictionnel doit cependant être limité aux seules questions de la compétence de l'auteur des ces mesures et de la proportionnalité de celles-ci par rapport à l'intention recherchée.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Civ. Namur (réf.), 28 juin 2005, J.L.M.B., 2006/29, p. 1285.
2. Article 464 du Code judiciaire.
3. Cass., 20 septembre 1979, J.T., 1980, p. 172.
4. Civ. Namur (réf.), 26 mai 2006, J.T., 2008/18, p. 317.
5. J. Cruyplants et Y. Oschinsky, « Les pouvoirs d'injonction du bâtonnier », J.T., 2000/14, n° 5964, p. 273.
6. Civ. Namur (réf.), 16 mars 1993, J.L.M.B., 1993, p. 561.
7. Civ. Namur, 28 juin 2005. – J.L.M.B., 2006, p. 1285 ; Civ. Bruxelles (réf.), 14 août 2001, J.L.M.B., 2003/08, p. 346.