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AVOCAT

Bon a savoir

24 Avril 2015

La conception factuelle de la cause

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Présentation des faits 1

L’exploitant d’un garage fait appel à un entrepreneur pour la construction d’un hangar attenant à ses bâtiments. Cet entrepreneur a recours aux services de deux sous-traitants dans le cadre d’une opération de montage. Au cours de celle-ci, une poutrelle s’effondre accidentellement d’une grue et sa chute endommage le toit du hangar.

Assigné en paiement de factures impayées par l’entrepreneur, le maître d’ouvrage sollicite reconventionnellement la condamnation dudit entrepreneur à réparer le dommage subi par la faute de ce dernier et de ses sous-traitants. Il fonde sa demande exclusivement sur l’article 1382 du Code civil.

Réformant sur ce point la décision du Tribunal de commerce de Bruxelles, la Cour d’appel de Bruxelles rejette cette prétention reconventionnelle, dans la mesure où, à l’appui de sa prétention, le maître de l’ouvrage n’avait pas invoqué la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur, mais uniquement sa responsabilité quasi-délictuelle. Elle estime donc ne pouvoir rechercher d’office si celle-ci est engagée et déboute le maître de l’ouvrage de sa demande.

 

Décision de la Cour

La Cour de cassation rappelle, tout d’abord, que le juge est tenu de trancher le litige conformément à la règle de droit qui lui est applicable.

La Cour précise, ensuite, qu’il a l'obligation, pour autant qu’il respecte les droits de la défense, de relever d'office les moyens de droit dont l'application est commandée par les faits spécialement invoqués par les parties à l’appui de leur demande ;

Il ressort des constatations de l'arrêt qu'un accident est survenu lors du montage du hangar, que l’entrepreneur était contractuellement chargé de fournir au maître de l’ouvrage et, que, pour obtenir la réparation de son préjudice, celui-ci a recherché la responsabilité de l’entrepreneur et celle des deux sous-traitants auxquels ce dernier a fait appel pour exécuter le montage ;

L'arrêt relève que le maître de l’ouvrage n'invoque pas la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur, mais seulement sa responsabilité quasi-délictuelle et décide qu'il ne peut, dès lors, examiner si l’entrepreneur n'a pas engagé sa responsabilité contractuelle ;

La Cour décide qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, sur la base des faits que la demanderesse invoquait à l'appui de sa demande, la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur trouvait à s’appliquer, l'arrêt n'a pas justifié légalement sa décision ;

Par conséquent, la Cour casse l’arrêt attaqué.

 

Bon à savoir

Selon la conception classique de l’office du juge, admise dans notre système judiciaire, le juge est tenu de statuer sur la base des seuls faits que les parties allèguent au soutien de leurs prétentions et en fonction de la qualification juridique donnée par les parties.

Toutefois, la Cour suprême a décidé à plusieurs reprises que, pour autant qu’il respecte les droits de la défense, le juge peut se fonder sur des faits qui, bien que régulièrement soumis aux débats, n’ont pas été mis en avant par l’une des parties à l’appui de sa demande. De manière générale, le juge peut appréhender l’ensemble des faits invoqués par les parties, constituant la cause de la demande 2, et procéder lui-même à la qualification juridique de ces mêmes faits.

La Cour s’éloigne ainsi de la conception classique de l’office du juge et franchit une étape supplémentaire à l’occasion de cette affaire, en dévoilant un nouveau visage de l’office du juge, plus actif. L’arrêt du 14 avril 2005 3 s’exprime, en effet, en termes d’obligation et non plus en termes de faculté 4.

Comme le prévoit le droit français, le juge, lorsqu’il s’appuie sur les faits que les parties invoquent spécialement à l’appui de leurs prétentions, ne peut demeurer passif. Si ces faits n’ont pas été – ou ont mal été – qualifiés juridiquement, il doit, en quelque sorte, se substituer aux parties « défaillantes », ce que la Cour d’appel se refusait à faire en l’espèce 5.

Par cet important arrêt, la Cour consacre la conception factuelle de la cause en droit judiciaire, et la confirme dans différents arrêts 6. Avec cette nouvelle conception, les anciens adages reprennent tout leur sens : le juge étant censé connaître le droit (Iuria novit curia), les parties peuvent se contenter d’exposer les éléments de fait auxquelles il devra donner la qualification juridique appropriée (Da mihi factum, dabo tib ius) 7.

 

Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.

_______________

1. Cass., 14 avril 2005, J.T., 2005, p.659, obs. J. Van Compernolle, « La cause de la demande : une clarification décisive ».

2. Article 1138, 2° du Code judciaire ; Cass., 18 novembre 2004, R.G. n°C.040062.F).

3. Sur cet arrêt, voy. : G. De Leval, « Un arrêt fondamental et attendu », obs. sous Cass., 14 avril 2005, J.L.M.B., 2005, p. 856 ; J. Van Compernolle, « La cause de la demande : une clarification décisive, obs. sous Cass., 14 avril 2005, J.T., 2005, p. 659. Voy. également J.-F. van Drooghenbroeck, « Le juge, les parties, le fait et le droit », in Actualités en droit judiciaire, CUP, Larcier, 2005, pp. 187-197.

4. J.-F. Van Drooghenbroeck, « La requalification judiciaire du contrat et des prétentions qui en découlent », R.G.D.C., 2014, P. 301 ; J-F. Van Drooghenbroeck, « Le juge et le contrat », R.G.D.C.,2007, p. 602.

5. I. Verougstraete, J.-F. Leclercq, P. Lecroart et S. Lierman, « Rapport annuel de la Cour de cassation de Belgique de 2005 », disponible sur http://justice.belgium.be/fr/binaries/cass2005fr_tcm421-210523.pdf (consulté le 24 avril 215).

6. Cass., 24 mars 2006, J.T., 2006, p. 680, note. J-F. Van Drooghenbroeck, « Les faits tirés du dossier » ; Cass., 12 octobre 2006, R.G. n°C.040481.F, inédit.

7. S. Gilson, K. Rosier et E. Dermine, « La preuve en droit du travail », in La preuve. Questions spéciales, Liège Anthemis, 2008,  P. 183.