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AVOCAT

Bon a savoir

3 Octobre 2014

L'avocat et la déontologie : Recours contre une décision du bâtonnier

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Présentation des faits 1

Madame A et Monsieur B sont les héritiers de Monsieur C. Un litige successoral les oppose à Madame D.

Dans le cadre de ce litige, deux lettres ont été écrites par Me Y, avocat de Madame D, à Me X, ancien conseil des consorts A et B qui les communiqua à ses clients.

Ces lettres contiendraient des informations que les consorts A et B estiment essentielles à la démonstration de la thèse qu'ils soutiennent dans le cadre des procédures en cours et qui tendent, notamment, à faire admettre l'existence d'un recel successoral dans le chef de Mme D.

Maître X a demandé au bâtonnier de l'Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles l'autorisation de pouvoir produire, devant le tribunal correctionnel de Luxembourg, un protocole qui aurait fait état d'un extrait de la lettre confidentielle.

Le bâtonnier a fait interdiction à Me X de faire la moindre référence, dans le cadre des procès en cours, à ce courrier confidentiel.

Ultérieurement, le conseil luxembourgeois (Me Y) sollicitait de son propre bâtonnier la même autorisation qui lui fut également refusée.

En raison d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Gand, Me X interpella à nouveau le bâtonnier de Bruxelles. Ce dernier lui a répondu que si Monsieur B était libre d'agir comme il l'entendait, n'étant pas soumis à l'autorité et à la déontologie de l'Ordre des avocats, il n'en était pas de même de Me X qui devrait s'abstenir de poursuivre la défense de ses clients si ceux-ci prenaient l'initiative de déposer le courrier confidentiel au regard des règles déontologiques régissant la profession d'avocat.

Lors d'une audience du tribunal correctionnel de Luxembourg, Monsieur B a pris l'initiative de déposer la correspondance confidentielle, en réponse à une note d'audience déposée par Mme D.

Me X a alors quitté la salle d'audience afin d'en référer à son bâtonnier, qui intimait à Me X l'ordre de se déporter de la défense de ses clients.

Par exploit, Madame A, Monsieur B et Me X ont fait citer le bâtonnier devant le premier juge afin notamment, à titre principal d'« entendre dire pour droit que n'est pas couverte par la confidentialité la lettre ou, à tout le moins, que ne sont pas couverts par la confidentialité les passages de cette lettre qui retransmettent les déclarations de la cliente sur ses moyens de subsistance et ceux de son ex-compagnon, feu Monsieur C » et « d'entendre autoriser Me X à continuer la défense (de ses clients) au fond, sans qu'il ne doive se déporter du fait que (ceux-ci) auraient, le cas échéant, fait usage personnellement de ladite lettre ».

Le premier juge a admis la recevabilité de la demande mais a estimé, par contre, que la condition de l'urgence n'était pas admissible et, par conséquent, que la demande n'était pas fondée.

Les consorts A et B et Me X relèvent appel de l'ordonnance. 

Décision de la cour d'appel de Bruxelles

La cour rappelle que la compétence du juge des référés ne se justifie en l'espèce que dans la perspective et les limites suivantes : il ne peut s'agir pour lui de se substituer au bâtonnier dans l'exercice de sa compétence en matière de déontologie, en appréciant par exemple si telle norme a bien été appliquée ou correctement interprétée dans tel cas d'espèce, en exerçant ainsi un contrôle d'opportunité qui lui échappe totalement; que son intervention doit donc se limiter à un contrôle marginal de la légalité de la décision déontologique, en vérifiant si celle-ci ne met pas gravement en péril des droits civils légitimes et, comme tels, protégés par la Constitution, les lois nationales ou la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En outre, l'article 584 du Code judiciaire dispose que le président du tribunal statue au provisoire dans les cas dont il reconnaît l'urgence et en toutes matières, sauf, à titre exceptionnel, celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire, que cette compétence peut, en particulier, être exercée chaque fois que des droits subjectifs sont menacés.

Etant donné que c'est le cas en l'espèce, dans la mesure où des droits civils légitimes sont effectivement en jeu, la cour considère que la compétence du juge des référés en la matière est admissible.

En effet, les appelants ont un intérêt à soumettre au juge des référés l'appréciation de la situation qu'ils estiment gravement préjudiciable pour eux.

Concernant l'urgence, celle-ci est établie lorsque la crainte d'un dommage grave ou d'inconvénients sérieux rend nécessaire l'aménagement d'une situation d'attente par le juge des référés.

En l'espèce, la Cour estime que sur base des éléments et de l'argumentation des appelants, l'urgence n'est pas admissible et que c'est donc à bon droit que le premier juge a déclaré la demande non fondée. 

Bon à savoir

Le juge des référés ne peut constituer une juridiction de recours en matière déontologique sous peine de porter atteinte à la compétence légale exclusive qui est conférée dans ce domaine aux autorités de l'Ordre des avocats et, en particulier, à son chef, le bâtonnier en exercice. 2

La possibilité d'intervention du juge de l'ordre judiciaire est limitée à l'hypothèse où ces autorités auraient, dans l'exercice de cette compétence, commis une voie de fait, portant gravement atteinte et de manière manifestement irrégulière, à des droits civils dont la protection requiert le rétablissement, par la pesée des intérêts et droits réciproques en jeu, de l'équilibre menacé. 3

En outre, le pouvoir judiciaire est compétent pour connaître d'une demande portant sur la suspension ou la rétractation d'une injonction 4 ordonnée par un bâtonnier, dans la mesure où la demande a pour objet la protection d'un droit subjectif, tel que le respect du droit pour l'avocat de faire de la publicité et du droit de la défense. 5

_______________

1. Bruxelles (2e ch.), 17/10/2002, J.T., 2003/15, n° 6093, pp. 294-296.

2. J. Englebert et X. Taton, « La balance des intérêts ou l'incertitude traditionnelle du référé », in Question de droit judiciaire inspirées de « l'affaire Fortis », Bruxelles, Ed. Larcier, 2011, pp. 155-176.

3. J.-P. Buyle, « Le recours contre une décision du bâtonnier », J.L.M.B., 2003/8, pp. 352-354.

4. J. Cruyplants et Y. Oschinsky, « Les pouvoirs d'injonction du bâtonnier », J.T., 2000, p. 288.

5. Tribunal civil Namur (référés), 28/06/2005, J.L.M.B., 2006/29, pp. 1285-1291.