Les devoirs de probité et de loyauté de l'avocat vis-à-vis de son adversaire
Présentation des faits 1
Un litige, de nature commerciale, est survenu en 1989 entre une S.A. de droit français et son concessionnaire exclusif pour la Belgique et le Luxembourg, Madame H.
La S.A. de droit français réclamait à Madame H des arriérés de factures pour un total de plus de 1.100.000 francs français.
L’importance de ces arriérés a été contestée par Madame H. Son avocat, Maître X, a écrit au conseil de la S.A. de droit français pour l’informer que Madame H avait consigné des fonds entre ses mains, selon des modalités qui avaient reçu son agrément.
Par citation du 29 juin 1989, la S.A. de droit français a été assignée en justice par Madame H devant le Tribunal de commerce de Charleroi, et ce, afin d’obtenir la résolution du contrat de concession exclusive conclu entre les parties.
Lors de l’audience d’introduction du 1er août 1989, Maître X a certifié que sa cliente, Madame H, a consigné des fonds entre ses mains.
Un jugement a été rendu par le Tribunal de commerce de Charleroi le 8 avril 1993, lequel a débouté Madame H et a prononcé la résolution du contrat de concession exclusive aux tords de Madame H et de son époux, Monsieur L, celui-ci étant intervenu volontairement à la procédure.
Les consorts LH ont, alors, interjeté appel contre le jugement du 8 avril 1993. Dans leur requête d’appel, ils ont invoqué le fait que Madame H a consigné des fonds entre les mains de Maître X pour démontrer sa bonne foi et assurer la sécurité des relations entre parties. Toutefois, Madame H en a demandé la restitution le 5 décembre 1991, mais selon Maître X, elle était en droit de le faire en raison du caractère unilatéral de la consignation. Après le prononcé d’un arrêt définitif du 5 janvier 2004, le juge d’appel a condamné Monsieur L (qui a repris l’instance en son nom après le décès de Madame H en 2000) à payer une somme de 405.070,53 euros, à la S.A. de droit français.
La S.A. de droit français a entretemps saisi en justice Maître X, avocat des consorts LH, estimant qu’il avait commis une faute. Par un jugement du 16 avril 2002, le premier juge a considéré qu’une stipulation pour autrui avait été conclu entre les consorts LH et leur avocat X, consistant en la promesse faite aux consorts LH de transmettre les fonds consignés en faveur de la S.A. de droit français à un moment donné, et que, dès lors, aucune faute ne pouvait être reprochée à l’avocat X.
La S.A. de droit français a, alors, interjeté appel de cette décision judiciaire.
Décision de la Cour d’appel de Mons
La Cour d’appel de Mons constate tout d’abord qu’en l’espèce, Maître X et la S.A. de droit français n’ont pas pu conclure une convention de séquestre fondée sur l'article 1956 du Code civil, dans la mesure où ils n’ont pas eu l’intention certaine de créer entre eux des obligations avec effets juridiques. De même, une stipulation pour autrui ne saurait être admise entre les consorts L.-H. et leur avocat X, puisque rien n'indique que l'avocat X avait promis aux époux L.-H. de transmettre les fonds consignés en faveur de la S.A. de droit français, à un moment donné.
Par contre, en écrivant au conseil de la S.A.de droit français que sa cliente avait consigné des fonds entre ses mains, selon des modalités qui ont reçu son agrément, et en le confirmant, à l'audience d'introduction du 1er août 1989, l'avocat X s'est personnellement engagé dans l'organisation des circonstances du procès débutant pour conforter le sérieux de la garantie de la solvabilité de sa cliente.
La Cour précise ensuite que ces circonstances particulières ont assurément créé, dans le chef de la S.A. de droit français, l'apparence d'une situation sécurisante pour elle et l'autorisait raisonnablement à escompter que l'avocat X garderait les fonds sur son compte bancaire jusqu'à la fin du procès ou qu'il l'avertirait s’il lui était impossible de maintenir l'argent sur ce compte jusqu'au terme de la procédure.
Elle estime que Maître X, en se dessaisissant de ladite somme, dès le 5 décembre 1991, sans en avertir préalablement la S.A. de droit français ou son conseil, a gravement trompé la légitime confiance de son adversaire. Cette tromperie, qui est un manquement au respect dû à l'anticipation légitime de la S.A. de droit français, constitue une faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Par conséquent, la Cour condamne Maître X à payer à l'appelante la somme de 92.375,23 euros à titre de dommages et intérêts, à majorer des intérêts compensatoires aux taux légaux successifs depuis le 5 décembre 1991 et des intérêts judiciaires.
Bon à savoir
Il ne fait aucun doute que l’avocat est tenu à un devoir de loyauté et à un devoir de probité à l’égard des tiers, spécialement vis-à-vis d’une partie adverse non assistée d’un conseil 2.
L’obligation de probité, dont le fondement se trouve dans l’article 456 du Code judiciaire, « consiste à observer rigoureusement les devoirs de la justice et de la morale » 3.
Le devoir de loyauté 4, fondé sur une exigence de bonne foi et de fair-play, implique, quant à lui, que l’avocat donne des informations exactes et complètes à son adversaire, au confrère et aux magistrats. Par contre, il n’inclut pas, à l’égard de la partie adverse, d’obligation d’information 5, ni a fortiori de devoir de conseil 6 et de mise en garde. En effet, l’avocat n’est tenu à de tels devoirs que dans l’hypothèse où il interviendrait comme conseil des deux parties ou si le client en a ainsi décidé 7.
La liberté de se taire de l’avocat trouve ses limites là où l’omission devient mensongère. « L’allégation d’un fait exact comme tel devient mensonger et déloyal », lorsque l’avocat omet de parler d’autres faits qui annulent ou relativisent les effets juridiques du premier 8.
En l’espèce, la Cour d’appel de Mons a décidé, à juste titre, que le manquement aux obligations déontologiques de la profession constituait, en outre, une faute pouvant engager la responsabilité civile de l’avocat sur base des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Mons, 16 novembre 2004, J.L.M.B., 2005, liv. 7, p. 305, obs. J.-P. Buyle.
2. Liège, 24 janvier 2002, J.L.M.B., 2003, p.338 et note J.-P. Buyle, « Loyauté et responsabilité de l’avocat à l’égard des tiers ? ».
3. J.-P. Buyle, « Les devoirs de loyauté et de probité de l’avocat à l’égard de la partie adverse », sous Mons, 16 novembre 2004, J.L.M.B., 2005, liv. 7, p. 310.
4. Recommandation du barreau de Bruxelles du 22 juin 2004 sur le devoir de loyauté de l’avocat, Lettre du barreau de Bruxelles, 2003-2004, p.381.
5. « La résolution de l’Ordre français du barreau de Bruxelles du 17 juin 1969 sur la contrariété des intérêts », Recueil des règles professionnelles, n°275.
6. J.P. Liège, 4 septembre 1998, J.L.M.B., 1999, p. 459, obs. J.-P. Buyle.
7. J.-P. Buyle, « Loyauté et responsabilité à l’égard des tiers ? », sous Liège, 24 janvier 2002, J.L.M.B., 2003, liv. 8, p. 341.
8. J.-P. Buyle, « Les devoirs de loyauté et de probité de l’avocat à l’égard de la partie adverse », sous Mons, 16 novembre 2004, J.L.M.B., 2005, liv. 7, p. 310.