La preuve du manquement par l'avocat à son devoir de conseil
Présentation des faits 1
Monsieur K. et Monsieur F., en leur qualité d'héritiers de Monsieur Z., ont mandaté Maître X en vue d'assurer leur défense, à la suite d’un accident de la circulation survenu à Liège le 7 août 1996, ayant entraîné le décès de Monsieur Z.
Cet accident de circulation a donné lieu à la constitution de partie civile de Monsieur K. et de Monsieur F., devant le Tribunal de police de Liège. Cela a débouché sur un jugement rendu le 28 février 2003 par le Tribunal de première instance de Liège statuant en degré d'appel, aux termes duquel l'action de Monsieur K. et Monsieur F. à l'encontre du Fonds commun de garantie automobile a été déclarée fondée.
Le Fonds commun de garantie automobile a soumis cette décision à la censure de la Cour de cassation, laquelle, par son arrêt du 2 septembre 2005, a cassé partiellement cette décision et renvoyé la cause telle que limitée devant le Tribunal de première instance de Huy.
Ensuite de quoi, Monsieur K. et Monsieur F. ont négocié avec le Fonds commun.
Monsieur K. et Monsieur F. reprochent à Maître X de ne les avoir informés à aucun moment de la possibilité de faire couvrir les frais des procédures par leur assurance protection juridique, alors qu’elle était opérante dès 1996, et/ou de ne pas leur avoir demandé s'ils disposaient d'une telle assurance.
Monsieur K. et Monsieur F. ont alors cité en justice la compagnie d’assurances E., en qualité d'assureur RC professionnelle de Maître X, afin de la condamner à leur payer une indemnité de 10.125, 88 EUR en principal, à titre de réparation de leur préjudice consécutif à un manquement au devoir d’information et de conseil de Maître X.
Pour faire échec à l’action de Monsieur K. et Monsieur F., la compagnie d’assurances E. fait valoir qu'aucun élément objectif ne réfute la teneur du courrier adressé par son assuré le 27 avril 2006 au nouveau conseil des demandeurs, libellé comme suit :
« (...) Je me souviens parfaitement avoir demandé à madame J.K. si elle connaissait l'existence d'une police " Défense en justice " qui aurait été susceptible de prendre en charge l'état de frais et honoraires justifié par mon intervention. Je me souviens également qu'à ce moment, madame J.K. m'a répondu de la manière la plus formelle qu'elle ne possédait pas une quelconque police " Protection juridique ". Je me souviens également parfaitement lui avoir signalé qu'à ce moment, et dans cette mesure, il lui appartiendrait de prendre en charge l'état d'honoraires et frais justifié par mon intervention (...). Vous n'ignorez pas que cette affaire a perduré pendant plusieurs années et qu'à aucun moment madame J.K. et ses enfants ne m'ont fait part qu'ils étaient titulaires d'une assurance " Protection juridique " (...) ».
Décision du Tribunal civil de Charleroi
Le Tribunal civil de Charleroi rappelle tout d’abord que tout manquement par l’avocat à son devoir de conseil et d'information doit être démontré avec le degré de certitude requis, la charge et les risques de cette preuve étant supportés par le client. Cela découle de la nature de l’obligation contractuelle et de moyen qui incombe à l’avocat dans le cadre de son mandat de droit commun.
Le Tribunal civil précise ensuite que sauf si la nécessité l’impose, l'accomplissement du devoir de conseil et d’information de l’avocat ne doit pas être matérialisé par des écrits où serait consignée toute la substance des conseils et informations dispensés par l'avocat lors de ses contacts avec son client.
Dès lors, ne devant en principe pas prendre note de la teneur de ses consultations ou à faire certifier par son client la réception de l'information requise, l'avocat ne pourrait se voir inquiété sur la seule parole de son client, à moins que des éléments sérieux ne confortent la version présentée par celui-ci et la rendent suffisamment vraisemblable.
Tel n'est pas le cas dans la présente cause. Les pièces du dossier montrent en effet que Maître X. a rempli de bout en bout sa mission avec diligence, et même avec brio, eu égard aux éloges de son confrère Maître R., conseil de Madame V., consort des demandeurs.
Aucune pièce ne démontre, par ailleurs, que Maître X. n’aurait pas attaché les mêmes soins à tous les aspects de la procédure qu'il menait, dont son coût. Son courrier du 4 juin 2003 révèle qu'il y a été attentif. A tout le moins, le contenu de ce courrier ne permet pas de présumer que le fait, pour Maître X, de ne pas y avoir abordé la question de l'assurance litigieuse signifierait qu'auparavant, il ne s'en était jamais informé auprès de Monsieur K. et Monsieur F.
Enfin, ces derniers n'établissent pas avoir averti Maître X. de l'existence de cette police.
Au surplus, il apparaît que Monsieur K. et Monsieur F. n'ont pu s'en assurer qu’après une démarche effectuée auprès de la SA Winterthur-Europe en 2006.
Au vu de toutes ces considérations, le Tribunal civil de Charleroi décide que la demande ne satisfait pas au prescrit des articles 1315 du code civil et 870 du code judiciaire, et, partant, déclare la demande non fondée.
Bon à savoir
L’avocat est tenu à un devoir de conseil et d’information, de sorte que sa responsabilité peut être engagée, dans le cas où un manquement à cette obligation occasionne un préjudice à son client 2.
C’est au client qu’il appartient de démontrer avec certitude que l’avocat a manqué à son devoir de conseil et d’information 3. Cette conséquence résulte de la nature de l’obligation contractuelle et de moyen 4 qui incombe à l’avocat dans le cadre de son mandat de droit commun 5. Il s’agit d’une simple application de l’article 870 du Code judiciaire.
Hormis en cas de nécessité, l'accomplissement du devoir de conseil et d’information de l’avocat ne doit pas être matérialisé par des écrits où serait consignée toute la substance des conseils et informations dispensés par l'avocat lors de ses contacts avec son client 6.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Tribunal civil de Charleroi (5e chambre), 20 novembre 2008, J.L.M.B., 2009/30, pp. 1435-1437.
2. R.-O. DALCQ et G. SCHAMPS, « Examen de jurisprudence (1987 a` 1193). La responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle », R.C.J.B., 1995, p. 137.
3. C. MELOTTE, « La responsabilité professionnelle des avocats », in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre II, Dossier 28bis, p. 23.
4. Bruxelles, 16 mai 2002, J.L.M.B., 2003, liv. 38, p. 1673.
5. J.-P. BUYLE, « L'étendue du devoir d'information et de conseil de l'avocat », J.L.M.B., 2003, pp. 1688-1690
6. Liège, 22 décembre 1998, J.L.M.B., 2000, p. 242, et note J.-P. BUYLE ; Liège, 14 décembre 1993, J.L.M.B., 1994, p. 137.